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Par Lybertaire le 19 Septembre 2012 à 09:00
Du journalisme après Bourdieu
Daniel Schneidermann
Éditions Fayard
1999
Oui, mais...
Daniel Schneidermann, ancien journaliste au Monde et présentateur de l’émission méta-journalistique Arrêt sur images, s’adresse à Pierre Bourdieu : oui, vous avez raison quand vous dénoncez les ennemis du journalisme, lesquels sont « Urgence, Simplification, Suivisme, Présupposés non explicités, Pensée unique, Audimat et Sensationnalisme, Connivence, Cynisme, Autocensure1. » Mais…
Par le biais d’exemples (la couverture médiatique de la mort de la princesse Diana, des banlieues, de l’affaire Mazarine Pingeot), il reprend une à une les attaques du sociologue quasi incontesté du Collège de France. Il atteste des vérités que l’éminent sociologue pointe, tout en justifiant et nuançant certains faits. Et soucieux de préserver l’objectivité de son travail, il remet également en cause la démarche sociologique de Bourdieu, qu’il estime pauvre en preuves et en débats avec contradicteurs.
Les travers du journalisme
« Le journalisme de masse est un champ de ruines. Sa crédibilité est saccagée. Sous le vernis du 20 heures affleure en permanence l’évidence du divertissement2. »
Ce petit ouvrage reprend les fondements du métier de journaliste : comment définit-on le bon journalisme ? Comment choisir entre information rapide et information précise ? « Est-il préférable de publier le lendemain un article amputé ou bien d’attendre le surlendemain pour offrir un compte rendu complet3 ? » Quelle importance donner au fait divers ? Comment couvrir un événement en peu de mots/temps sans trahir les faits ? Faut-il simplifier au risque de tromper le lecteur/spectateur ?
« Toute saga économique ou diplomatique, toute crise internationale, tout conflit social, tout fait divers […] comporte toujours des éléments que les journalistes sont tentés de gommer ou d’atténuer parce qu’ils leur paraissent nuire à la "lisibilité" de l’affaire qu’ils relatent4. »
« Ils braquent aussi les projecteurs sur les détails extrêmes, sur le paroxysme des crises, laissant dans l’ombre la quasi-totalité de la réalité, coupable d’être trop banale, terne, sans intérêt5. »
Si Schneidermann revendique la nécessité des débats contradictoires dans Arrêt sur images, Bourdieu et d’autres intellectuels rejettent ces débats avec les contradicteurs et préfèrent argumenter leurs idées lors d’une conférence ou dans un ouvrage.
« [L’intellectuel] doit-il se contenter de publier, dans des livres arides, le résultat de ses recherches, ou bien doit-il s’efforcer de gagner à ses théories le public le plus large possible ? Refuser de s’exprimer dans les médias, n’est-ce pas renoncer à transmettre son savoir au plus grand nombre ? Mais aller aux médias, n’est-ce pas prendre le risque de la dénaturation, de la simplification6 ? »
Au cœur de toutes les problématiques liées au journalisme, se trouve le temps : combien de temps faut-il pour réunir toutes les informations nécessaires au traitement d’un sujet ? combien de temps lui consacrer au journal ? combien de temps de parole accorder aux personnalités du débat ?
Mon avis
Schneidermann brosse un portrait tout en nuance du journalisme : la télévision publique, privée ou câblée, la presse écrite, les présentateurs, les animateurs… Tout le monde y passe, pour une meilleure approche d’un milieu qui colle notre quotidien.
Certes, les propos de Schneidermann, tout comme ceux de ses contradicteurs, sont discutables : en ce sens, Du journalisme après Bourdieu mérite le détour, mais ne suffit pas. Se contenter de lire cet ouvrage serait réducteur : pour aller plus avant dans la réflexion sur le journalisme et sa fonction dans la société, d’autres lectures et documentaires se rapportent aux dérives du journalisme français.
Lisez aussi
Sur la télévision Pierre Bourdieu
Les Nouveaux Chiens de garde Serge Halimi
Journalistes précaires, journalistes au quotidien Collectif
La guerre des mots. Combattre le discours politico-médiatique de la bourgeoisie Selim Derkaoui et Nicolas Framont
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Pas vu, pas pris
Pierre CarlesLes Nouveaux Chiens de garde
Gilles Balbastre et Yannick KergoatEnfin pris ?
Pierre Carles1. Page 8. -2. Page 13. -3. Page 29. -4. Page 35. -5. Idem. -6. Page 6.
Du journalisme après Bourdieu
Daniel Schneidermann
Fayard
1999
150 pages
13,50 €
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Par Lybertaire le 5 Septembre 2012 à 15:50
Altergouvernement. 18 ministres-citoyens pour une réelle alternative
Collectif
Éditions Le Muscadier
2012
Opération Libfly La voie des indés
Utopie ou bon sens ?
En janvier 2012, date de publication de cet ouvrage, rien n’est joué, le nouveau gouvernement n’a pas encore été formé : qui du PS ou de l’UMP sera élu ? Et si une révolution des pensées, mettant fin au bipartisme étroitisant, entraînait l’élection d’un parti alternatif de gauche, le Mirac, le Mouvement indépendant pour une réelle alternative citoyenne ? Partant de cette hypothèse, les éditeurs du Muscadier — jeune maison indépendante qui a frappé haut et fort — ont réuni 18 intellectuels et spécialistes, tous engagés dans la lutte pour un monde juste.
Devenus les ministres du gouvernement issu du Mirac, ils ont élaboré un programme pour relever le pays de ses difficultés, loin des mesurettes qui alimentent la bonne conscience. Des mesures relèvent de l’évidence : la sortie du nucléaire, le renouvellement du parc immobilier en conformité aux principes environnementaux et une meilleure gestion des ressources naturelles.
Des idées, des chiffres et beaucoup d'engagement
Au-delà des impératifs immédiats, le Mirac, porteur d’une solide idéologie de gauche, ouvre une nouvelle voie à la société : sortir d’une logique destructrice dirigée par Messieurs Profit et Rendement, et fonder les bases d’une société non marchande, solidaire où l’État-providence revient au cœur de la vie citoyenne. Résolument opposé à l’individualisme, vécu comme l’allié du libéralisme sauvage, il impulse un enracinement des valeurs par une évolution profonde des usages et des comportements.
« L’extension de la sphère non marchande qui va être menée sous l’égide de la puissance publique locale, nationale et européenne, sera réellement productive parce que des ressources humaines et matérielles auront été consacrées à travailler pour créer des biens et services de qualité, ayant une véritable utilité. La sphère marchande, mue hier par la seule recherche du profit, va devoir à son tour répondre de plus en plus aux exigences que la démocratie lui dictera2. »
Parmi ces valeurs, on décèle l’ambition de revenir à l’humain, aux droits fondamentaux de l’homme et à ceux de la terre, en associant gouvernance et nature. Celui qui fournit les idées, l’organisation et le savoir-faire, le travailleur, est remis au cœur de la production, chassant les prestidigitateurs financiers de l’entreprise, laquelle est, comme la société, le résultat d’une activité commune.
Partant des principes républicains, le Mirac redonne leur sens et leur force aux services publics dans une perspective de décentralisation des pouvoirs : pourquoi acheter des produits venus de loin, lorsqu’on peut se fournir tout près, à qualité supérieure, à moindre coût pour soi et pour la société ? Outre la revalorisation de la communauté, le Mirac bouscule le quantitatif pour réhabiliter le qualitatif au plus grand nombre, plus uniquement à une poignée de privilégiés. Par la révision des usages, il valorise la jouissance des objets plutôt que leur possession, ou encore celle d’une culture en tant que mode de vie pour tous, et pas seulement artistique et élitiste.
Pour assurer leur réussite, les ministres mettent en avant leurs compétences dans leur domaine respectif et la concertation, indispensable pour mener à bien une politique cohérente. Le débat public et l’éducation citoyenne, instaurés par diverses instances propres à chaque secteur, imposent de revenir aux fondements de chaque décision : pourquoi sommes-nous dans cette situation ? pour quoi œuvrons-nous dans tel sens ? quelles sont les valeurs défendues ? En étudiant en assemblées les finalités de l’action, on revient à ce qu’on appelle la démocratie.
Mon avis
On ne pourra plus dire que les gauchistes sont davantage porteurs d’idéalisme que d’idées concrètes : ici et maintenant, le Mirac a élaboré un programme complet, à l’usage de ses partisans et de ses détracteurs. Les auteurs et leurs éditeurs ont donné beaucoup d’eux-mêmes pour poser les bases d’un gouvernement véritablement de gauche, et le résultat est à la mesure de leur travail. Ils ont poussé leur engagement ministériel jusqu’à la représentation théâtrale à Paris, entre février et mai. Bien sûr, les questions et les débats affluent à la lecture, mais les ministres développent suffisamment leurs projets pour être cohérents. Et donner beaucoup d’espoir.
Le Mirac, notons-le, ne mentionne pas le nom du président : en tournant le dos à la Ve république qui donne les commandes à un seul homme, il revendique qu’ici comme en vrai, le gouvernement comporte une majorité et des coalitions qui multiplient les rapports de force. Il interroge surtout sur la qualité des individus au pouvoir. Les ministres miraquiens sont à l’opposé d’un Alain Juppé ou d’une Roselyne Bachelot qui ont occupé successivement des ministères variés, avec la même nonchalance que lorsqu’on postule à des jobs d’été.
Les ministres sont des spécialistes en leur matière : ils ne font pas carrière dans la politique, mais dans leur secteur d’activité, parce qu’ils croient en leurs idées et tentent de les faire appliquer. Les ministres sont aussi des citoyens et cet ouvrage interpelle le lecteur dans ce sens : on pense à tort que les représentants du peuple doivent être rompus à l’art de la politique et de la parole, mais toi ? que proposes-tu pour résoudre cette situation ? es-tu d’accord avec notre solution ? Tu, car les hommes et femmes que voici sont de simples citoyens.
Avec cette démarche participative, les miraquiens disent aussi ceci : tout acte a un sens politique. Que ce soit la culture, l’art, l’achat, tout choix est politique. C’est donc au quotidien que nous pouvons agir politiquement. Altergouvernement propose un concentré d’informations sur des secteurs peu évoqués à l’échelle du grand public − l’agriculture, la défense, l’enseignement, la recherche −, assorties de dessins humoristiques et de chronologies du libéralisme et du droit du travail. Car s’il y a des mesures, il y a aussi des explications sur l’ordre mondial, de sorte que l’on n’entre pas ignorant, et que l’on en sort beaucoup plus fort !
Affaires étrangères
Susan George
Agriculture
Marc Dufumier
Culture
Franck Lepage
Défense
Philippe Leymarie
Écologie
Geneviève Azam
Économie, Travail et Finances
Jean-Marie Harribey
Éducation
Marie Duru-Bellat
Enseignement supérieur
et Recherche
Jacques Testart
et Fabien PiaseckiInformation
Aline Pailler
Intérieur
Laurent Mucchielli
Justice
Clarisse Taron
Logement
Jean-Baptiste Eyraud
Réforme de l’État
Michel Pinçon
et Monique Pinçon-CharlotSanté
Claude Egullion
Solidarités
Nathalie Péré-Marzano
Ville et Commerce
Paul Ariès
Dessins
Rodolphe Urbs
Annexes
Gérard da Silva
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Paul Ariès Nos rêves ne tiennent pas dans les urnes
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Jean-Eric Boulin Nous aurons de l'or
Nathalie Peyrebonne Rêve général
Guillaume Paoli Éloge de la démotivation
Marie-Monique Robin Les Moissons du futur
Du même éditeur
Les réseaux sociaux sont-ils nos amis ?
Faut-il renoncer au nucléaire ?
Faut-il arrêter de manger de la viande ?
Agriculture biologique : espoir ou chimère ?
1. Page 102.
Altergouvernement
Collectif
Éditions Le Muscadier
2012
288 pages
14 euros
Offert par Libfly
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Par Lybertaire le 20 Août 2012 à 17:57
Sur la télévision
Suivi de L’emprise du journalisme
Pierre Bourdieu
Éditions Raisons d’agir
1996
Le monopole de la télévision
La télévision, média dominant, a profondément transformé les champs journalistique, politique, scientifique, littéraire, dans lesquels elle s’est imposée. Pierre Bourdieu, éminent sociologue, a fait une intervention télévisée au Collège de France sur le sujet, retranscrite dans ce court ouvrage. En 96 pages, il aborde la structure et les mécanismes sociologiques de la télévision et du champ journalistique, et comment celle-ci impose son pouvoir économique et symbolique à l’ensemble des autres champs. Ce monopole sur les instruments de production et de diffusion à grande échelle de l’information lui fournit un pouvoir de consécration, lequel n’est pas sanctionné, de manière ni positive ni négative qui régule normalement un champ social.
En roue libre, les acteurs de la télévision opèrent dans les rapports de force, les valeurs intrinsèques des champs sociaux et imposent de nouvelles contraintes aux acteurs d’autres champs. Comment s’exerce la domination de la télévision ? Quels sont les effets ?
Mon avis
L’urgence, le scoop, la manipulation, le fait divers, les fast-thinkers, l’anti-intellectualisme : Bourdieu évoque de la télévision tous ses travers, quitte à être davantage désaimé des journalistes. Comme il l’explique lui-même, il lui faudrait des heures pour démonter et démontrer les mécanismes de la télévision, mais opérant par la synthèse, il conquiert un public plus large que le rang des initiés.
Sur la télévision, ouvrage tant mis en avant, traite d’un large sujet, comme son titre l’indique. Qu’entendons-nous par télévision ? Des émissions, des débats, des journaux télévisés, des films ? Les journalistes, les programmateurs, les animateurs, les rédacteurs, les techniciens ? Sans préambule, Pierre Bourdieu tire des ficelles, dont les unes sont des exemples, les autres des théories, et les relie bout à bout sans articulation. Ce texte souffre d’un manque de construction, d’approfondissement sur des problématiques essentielles et d’exemples concrets et expliqués, défauts intrinsèquement liés à la nature du texte : ici, c’est un discours fait à une assemblée, et non un essai. Pourquoi alors Bourdieu n’a-t-il pas pris le temps d’écrire un ouvrage plus complet, plus fouillé pour prolonger ce premier travail ?
À coup sûr, s’il avait été signé d’une main moins prestigieuse, le livre n’aurait pas rencontré un tel succès. À coup sûr, la lecture de Sur la télévision est une introduction mais ne se suffit pas à elle-même ! Elle laisse un sentiment de frustration qu’il faut vite combler pour se faire une meilleure idée de cette entité multiforme : la télévision.
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Du journalisme après Bourdieu Daniel Schneidermann
Les Chiens de garde Paul Nizan
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La guerre des mots. Combattre le discours politico-médiatique de la bourgeoisie Selim Derkaoui et Nicolas Framont
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Pierre Carles
Les Nouveaux Chiens de garde
Gilles Balbastre et Yannick Kergoat
Pierre Carles
Sur la télévision
Suivi de L’Emprise du journalisme
Pierre Bourdieu
Éditions Raisons d’agir
1996
96 pages
6 €
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