• Abolir la contention ≡ Mathieu Bellahsen

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    Abolir la contention

    Mathieu Bellahsen

    Éditions Libertalia

    2023


    La contention en psychiatrie, qui consiste à attacher les patient·es lors des crises, est une privation de liberté, une torture, un traumatisme, et elle entraîne parfois la mort. Dans cet ouvrage accessible et émaillé de récits émouvants, le psychiatre Mathieu Bellahsen explique qu’il faut abolir cette pratique au profit d’une relation thérapeutique fondée sur le consentement et le droit des patient·es à s’autodéterminer. Qu’est-ce que ce « système contentionnaire » dit du corps médical et, plus largement, de notre société ? Qu’est-ce qu’un vrai soin thérapeutique ? Voilà un ouvrage intéressant sur un sujet mal connu, silencié, et pourtant essentiel, à l’heure où les sociétés érigent de plus en plus de murs partout dans le monde.

    « [La contention] est souvent vécue comme un traumatisme voire comme l’équivalent d’une agression physique, d’une agressions sexuelle ou d’un viol1. »

    Dans cet ouvrage, Mathieu Bellahsen explique qu’il faut abolir la contention mécanique en psychiatrie, qui consiste à attacher les patient·es par des sangles à un lit durant leurs crises, et/ou à les enfermer en chambre d’isolement.

    En France, 85 % des services psychiatriques ont recours à la contention. Chaque année, 10000 personnes sont attachées. Cette pratique est réapparue dans les années 2000 alors qu’elle avait été abandonnée après les atrocités de la seconde guerre mondiale. Depuis 2016, elle est encadrée par la loi, donc légitimée, mais seulement en « dernier recours ». Pourtant, la contention se généralise de plus en plus (et le confinement pour le Covid a été un prétexte supplémentaire pour y recourir) : aux urgences, dans les EHPAD, dans les structures pour personnes en situation de handicap, dans les ambulances…

    La contention relève tout simplement de la torture ! C’est une privation de liberté. Je n’ai jamais été en institut psychiatrique, mais j’imagine qu’elle ne fait qu’aggraver les souffrances des patient·es. Les personnes qui témoignent disent que c’est déshumanisant et traumatisant, autant qu’une agression physique ou sexuelle

    La contention tue par asphyxie positionnelle, comme la pratique du placage ventral dans la police (voir La Domination policière de Mathieu Rigouste).

    « [La personne psychiatrisée] n’a pas d’autre issue que d’accepter ce qui est attendu d’elle : qu’elle s’allonge et se laisse faire. Corps à corps pétri d’intimidation. Si la personne refuse, se débat, se révolte, l’action se transforme en corps à corps physique. Les corps de professionnels, le corps de la personne à contentionner. Derrière cette première scène s’en joue une autre entre le corps psychiatrique et les corps psychiatrisés, entre un corps qui domine et des corps dominés. Entre les deux, le poids du système contentionnaire2. »

    « La contention n’est pas un soin mais une mesure de contrôle3. »

    La contention est présentée comme un soin thérapeutique visant à « calmer » les patient·es et à les empêcher de se blesser. Elle est surtout une solution de facilité pour le personnel soignant, qui manque de temps et de moyens pour gérer les situations de crise. 

    Pour le personnel soignant, c’est un moyen de dealer avec la peur, l’angoisse d’être agressé·e par un·e patient·e, de ne pas avoir à faire face à la souffrance d’autrui et à ses propres difficultés psychiques. Pour supporter ces conditions de travail inhumaines, le personnel soignant en contact direct avec les malades se blinde, refoule la honte et la culpabilité, manifeste de l’indifférence ou justifie la contention en rejetant la responsabilité sur les patient·es qui ne sont pas dociles. Ces maltraitances banalisées, silenciées, légalisées, font souffrir les patient·es et le personnel soignant, tandis que la direction reste bien au chaud dans ses bureaux aseptisés, loin des drames humains.

    « Quand la contrainte et la domination structurent les relations, les institutions ont recours à des légitimations intellectuelles, à des rationalisations structurelles pour travestir une situation abusive en un état de fait objectif, objectivable, naturel et allant de soi4. »

    « Les thérapeutes sont des seconds au combat, combat que mène la personne en souffrance pour se reconstruire un monde habitable5. »

    Mathieu Bellahsen nous interroge sur ce qu’est véritablement le soin. On ne peut pas se contenter de contentionner et de médicamenter les patient·es sans chercher à comprendre le sens de leurs « catastrophes existentielles ». Les solutions technologiques de court terme, comme la vidéosurveillance ou les applis d’e-santé mentale, ne résoudront pas les problèmes plus profonds ; elles se contentent d’une gestion comportementale, sans considération humaine et émotionnelle. Le traitement des effets reste superficiel, les problèmes ne feront que resurgir d’une manière ou d’une autre.

    Mathieu Bellahsen défend la relation thérapeutique avant tout : ça consiste à échanger avec la personne en souffrance, à l’accompagner, l’aider à traverser et comprendre sa crise existentielle, à « redevenir le sujet de sa vie et de son histoire6 ». Mais, pour le·la soignant·e, cela demande de s’impliquer personnellement dans la relation, de se rapprocher physiquement et mentalement de la personne soignée. Par exemple, il défend une pratique sans blouse et sans bureau qui créent une hiérarchie, une domination, qui ne sont pas compatibles avec le soin thérapeutique. La guérison ne peut advenir qu’avec le consentement de la personne.

    Le soin thérapeutique tel que Mathieu Bellahsen le défend demande aussi du temps et davantage de personnel, à l’heure où l’institution psychiatrique, comme tous les services publics, voit ses moyens et ses budgets diminuer, et doit répondre à des logiques de productivité

    Il est possible de faire sans contention et sans enfermement : en augmentant le nombre de centres médicaux-psychologiques (CMP), en recrutant davantage de soignant·es et en les formant à d’autres pratiques, comme l’enveloppement (packing) qui est déjà utilisé pour les personnes autistiques.

    Face à l’augmentation des pratiques de contention, qui s’inscrivent dans ce que l’auteur appelle la « culture de l’entravement », un mouvement sans précédent s’est créé depuis 2018 autour de la dignité d’accueil pour les personnes soignées en psychiatrie. Plusieurs associations agissent, comme l’association Neptune, Le Fil conducteur psy et Collectif schizophrénies, à partir des premières personnes concernées : les malades.

    Mais, même si le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et le conseil de l’Europe se sont positionnés pour l’abolition de la contention, le gouvernement et les hautes sphères du milieu médical ne prennent pas de mesures pour changer le fonctionnement de l’institution psychiatrique…

    « Comme l’indiquent les témoignages et les enquêtes sur le vécu des personnes attachées, la contention est l’anti-soin par excellence en ce qu’il traumatise, voire retraumatise, les personnes qui y sont soumises. Si la personne est sous contrôle et calmée, il faudra déployer ensuite des trésors de patience et d’intelligence pour réparer ce qui a été brisé avec les sangles7. »

    Mon avis

    Je voulais absolument lire cet ouvrage car mon ex travaille dans un service psychiatrique d’urgence qui ne pratique pas la contention. Je découvrais à l’époque que cette pratique archaïque existe encore, et j’apprends avec la lecture de cet ouvrage qu’elle est même en augmentation !

    Facile d’accès et émaillé de récits émouvants, Abolir la contention de Mathieu Bellahsen, publié par les éditions indépendantes Libertalia, pose notre regard sur un sujet mal connu, silencié, et pourtant essentiel.

    Lisez aussi

    Martin Winckler Le Chœur des femmes

    Cara Zina Handi-Gang

    Amanda Eyre Ward Le Ciel tout autour

    Léa Castor Corps à cœur 

    Sante Notarnicola La révolte à perpétuité

    Abolir la contention. Sortir de la culture de l’entrave

    Mathieu Bellahsen

    Éditions Libertalia

    2023

    216 pages

    10 euros

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  • Commentaires

    1
    Benjamin
    Dimanche 14 Avril à 20:38
    Je ne peux qu'approuver. Je n'ai pas lu le livre, mais ta critique est vraiment intéressante et donne envie d'approfondir même si je connais bien le sujet. Merci de le faire débattre et connaître.
      • Lundi 15 Avril à 10:03

        Coucou ! Merci beaucoup pour ton message, qui me fait très plaisir ! J'espère ne pas avoir dit trop de bêtises dans ma chronique^^ J'espère avoir l'occasion de lire d'autres ouvrages de cet auteur, comme La Révolte de la psychiatrie, ou en tout cas d'autres livres sur la même question pour approfondir !

    2
    Adé
    Lundi 15 Avril à 10:04
    Un sujet hyper intéressant ! Dans un autre registre, j'ai travaillé dans le soin en job étudiant (auprès des personnes âgées en unité Alzheimer et fin de vie) et bien sûr la contention n'était pas pratiquée ni l'enfermement. Les personnes déambulaient librement, même si parfois cela pouvait choquer les familles pour le coup (car une personne avait tendance à se déhabiller et l'équipe soignante étant en sous-effectif, elle ne le voyait pas de suite). Bref, un sujet très intéressant à traiter !
      • Mardi 16 Avril à 13:51

        Coucou !! Merciiiii pour ta visite <3 D'après l'auteur, la contention est souvent utilisée par facilité (le plus souvent dans les services psy et les EHPAD), pas par sadisme ou quoi mais justement parce qu'il n'y a pas assez d'effectif pour gérer toustes les patient·es !

    3
    Mardi 16 Avril à 11:23
    Alex-Mot-à-Mots

    La contention existe encore en psychiatrie ? Quelle horreur.

      • Mardi 16 Avril à 13:52

        Oui, quelle horreur, je suis bien d'accord !!

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