• Quelques ombres Pierre Charras

     

    Quelques ombres

    Pierre Charras

    Le Dilettante

    2007

     

    Les Lauriers

    « Je » est un comédien, un comédien qui a poli les planches depuis plusieurs dizaines d’années. Un homme sûr de lui, peut-être un peu pédant, beaucoup macho. Le voilà qui se rend à la cérémonie des Lauriers qui va décerner le prix du meilleur comédien, auquel il pense prétendre à qui de droit, lui, un tragédien de grande renommée. Mais la cérémonie, qui dure, lui laisse tout le loisir d’étudier l’assemblée réunie ce soir. Il porte un regard désabusé sur le petit milieu du théâtre où tous les artistes se connaissent, rivalisent de talents et d’hypocrisie. Les prétendants sont si nombreux ! Il est si difficile de pénétrer dans la sphère, et si facile d’être oublié dès qu’on n’a plus les pieds sur scène. Et la cérémonie, quelle mascarade. Chacun se revendique de la plus grande authenticité lors des remerciements, alors qu’en secret il n’y a pas un seul comédien qui ne se soit entraîné, devant son miroir...

    Mon avis

    Il est si facile de se glisser dans la peau des personnages de Pierre Charras ! Dans Quelques ombres, un recueil de huit nouvelles, il parvient à brosser des portraits en des temps très courts, s’attachant aux petits détails, à des instants fugaces. Pierre Charras s’inspire du quotidien, des faits divers, de la vie parisienne, comme les gens qu’on croise dans le métro et dont on essaie d’imaginer leur vie, leur métier, leurs loisirs.

    Mais toujours, dans les petits et les grands événements qu’il raconte, il y a peu de choses qui commencent, et surtout beaucoup de choses qui se terminent dans un grand vertige. Il nous parle de l’amour, de la vie, de la mort, mais il le fait bien. Rendez-vous, Pas d’école et surtout, La Toilette, sont des nouvelles troublantes, dont on se souvient plusieurs mois après avoir refermé le livre.

    Un beau moment de lecture, qui ne doit pas faire peur à ceux qui sont réfractaires aux nouvelles !

    Du même auteur

    Dix-neuf secondes

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    Côté cour Leandro Avalos Blacha

    Jusqu'ici tout va bien Collectif

    Protégeons les hérissons Olivier Bordaçarre

    Macadam Butterfly Tara Lennart

     

    Quelques ombres

    Pierre Charras

    Le Dilettante

    2007

    192 pages

    16 euros

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  • Les Renards pâles Yannick Haenel Bibliolingus

    Rentrée littéraire 2013

    Les Renards pâles

    Yannick Haenel

    Éditions Gallimard

    2013


    « C’est à cet instant précis, un peu après 20 heures, que j’ai décidé de vivre dans la voiture1. »

    Un jour, le jour des élections présidentielles, il est contraint de quitter son appartement dont il ne payait plus le loyer depuis des mois. Chômeur, reclus, il commence à vivre dans sa voiture. Peu à peu, il se détache de sa vie d’avant et se marginalise.

    « J’aimais bien cette idée d’être au volant d’une voiture sans démarrer ; je trouvais l’idée meilleure qu’un voyage. Et puis, n’y avait-il pas, dans cette fantaisie, quelque chose qui relevait de l’enfance et de ses cabanes suspendues dans les arbres ? »

    Pas d’adresse, pas de téléphone, il n’existe plus. Il entre alors, excité et plein de rêves, dans une nouvelle vie, celle qu’il appelle « l’intervalle ». Il parcourt le XXe arrondissement de Paris où il rencontre des gens, des artistes, des signes, qui peu à peu, forment un tout, forment l’envers de la société.

    Des voix fusent. Ce nouveau président qui fustige les chômeurs et les « assistés », fait partie d’un système qu’il rejette. La vacuité de la politique, l’inutilité du vote, la réflexion sur le travail qui asservit l’homme, toutes ces pensées tournent autour de lui jusqu’à ce qu’il les assemble pour raconter l’histoire des Renards pâles...

    « On veut nous faire croire que le travail est la seule façon d’exister, alors qu’il ruine les existences qui s’y soumettent. Ceux qui s’imaginaient survivre grâce à un travail cherchent désormais comment survivre à celui-ci. Et si chacun parvenait à en finir avec sa propre docilité — à briser dans sa vie la sale habitude d’obéir ? Une grève générale éclaterait enfin, qui plongerait le pays dans le tumulte. Avec un plaisir ambigu, j’imaginais la France étouffée dans son chaos. »

    « Surdité, surdité, surdité : voilà votre devise. »

    Les Renards pâles, ceux qui soulèvent Paris. Ce « nous », ceux qui marchent vers l’effondrement de la société, qui s’adresse à ce « vous », vous qui n’entendez pas, qui ne voyez pas, qui vous prend à parti, qui met mal à l’aise.

    Les Renards pâles, ceux qui amènent la révolution, ceux qui entendent les voix, guidés par la mémoire collective, portés par les révoltes passées, écrasées et tues, comme la Commune de Paris, en France et dans les colonies.

    « Que vous soyez nantis ou exploités, que vous fassiez partie de ceux qui prospèrent ou de ceux qu’on dépouille, en acceptant d’être à la fois les employés et les clients du fonctionnement, vous avez laissé celui-ci vous avaler. Des chômeurs en fin de droit s’immolant devant les "pôles emploi" : voilà l’image terminale de votre beau système, celle qui en couronne la réussite. »

    Une seule voix, celle du narrateur de la première partie, puis toutes les voix qui s’élèvent dans la seconde partie, toutes ces solitudes réunies derrière des masques anonymes, invitent à s’interroger sur une société qui s’empare de nos identités pour mieux nous contrôler, qui nous fiche pour taire le danger ; une société qui invoque la crise comme explication à tous les malheurs, alors que la crise est le fonctionnement même de la société, inégalitaire.

    Mon avis

    Il y a quelque chose de vieux comme le monde dans Les Renards pâles, quelque chose que tous les jeunes portent en eux quand ils naissent véritablement au monde. Un souffle d’idéalisme, ancien mais beau, traverse ce roman qui, comme toujours, est sur la tangente, entre fiction et vérité. C’est un texte pétri d’idéalisme, de colère, mais flou, parce qu’on ne sait pas trop qui on accuse ni quel système on dénonce.

    Yannick Haenel livre un texte politique et lyrique, mais trop lyrique, trop poétique, jusqu’à devenir abstrait, ce qui atténue la force politique de ce texte. Car si la politique est remise en cause, ce texte est néanmoins politique en ce sens que toute action ou non-action est un geste politique.

    Ce texte est étrange à appréhender, notamment parce qu’il est scindé en deux parties liées mais dont le ton est différent. D’autre part, les signes qui ont mené à la révolte sont un peu déjà vus ; les masques, le Père Lachaise, la Commune de Paris, le SDF broyé dans le camion-poubelle des éboueurs... Enfin, l’idée est noble et forte, mais l’emploi du « vous », accusateur, place davantage le lecteur du côté de ceux qui ont intégré la société sourde. Le « nous » fédérateur de ceux qui rejettent le système ne résonne pas pour le lecteur. Les frissons d’une révolution telle qu’on la rêverait, qui enflammerait Paris, la ville des pouvoirs et des inégalités par excellence, ne sont pas au rendez-vous.

    challenge album3/6 

     

     

     

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    1. Lu en format numérique.

     

    Les Renards pâles

    Yannick Haenel

    Éditions Gallimard

    Collection L'Infini

    Août 2013

    192 pages

    16,90 euros

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