• Salon du livre Paris 2016J'entends ta voix Kim Young-ha

    J'entends ta voix
    Kim Young-ha

    Rentree litteraire 2015 Bibliolingus

    Éditions Philippe Picquier
    2015

    L'histoire de Jeï, un jeune ado charismatique, qui devient le leader d'une bande de jeunes vagabonds à Séoul.

    « Que ce soit un objet, une machine, un animal ou un humain, quand quelqu'un ou quelque chose subit une souffrance qu'il ne mérite pas, je la ressens aussi1. »

    Séoul. Le narrateur, Dongkyu, témoigne de l'histoire de Jeï, un jeune homme né dans les toilettes publiques d'une mère adolescente. Recueilli puis abandonné, Jeï mène une vie de vagabond. Autodidacte, empathique et ascète, Jeï développe une grande sensibilité envers les autres, qu'ils soient humains, animaux ou objets. Il ressent la souffrance et fait corps avec l'autre.

    Très vite, il sait qu'il n'est pas comme les autres. Conscient de la misère, de la précarité et de l'exclusion d'une frange de la jeunesse sud-coréenne dont il fait partie, il sent bouillir en lui une colère que rien ne peut éteindre. Chaque jour, il voit les jeunes qui vivent dans la rue, en marge de la société, qui se prostituent et sont persécutés dans le déni le plus total. Chaque jour, il voit comment ces jeunes, qui ne sont pas faits pour les études ou qui n'ont pas les moyens de les payer, sont traités comme des chiens par la société sud-coréenne.

    Hors du commun, doté d'une aura mystérieuse et envoûtante, Jeï est écouté de ses semblables. Il sent qu'il est voué à faire quelque chose d'exceptionnel. Il ignore encore comment utiliser son don de sensibilité, mais il sait qu'il entrera dans la légende.

    Pour finir

    J'entends ta voix, sorte de roman biographique, raconte l'histoire de Jeï, un jeune homme de Séoul qui a été le leader, ou le gourou, d'une bande de jeunes vagabonds sud-coréens. Jeï a vraiment existé, et si le roman de Kim Young-ha a pu naître, c'est parce qu'il a rencontré Dongkyu, son ami d'enfance, qui lui a confié tous ses souvenirs et ses journaux intimes.

    Bien documenté, Kim Young-ha donne à voir un monde souterrain violent, précaire, dégradant, ignoré ou nié par l'État et la majorité de la population. Cette jeunesse muette, qui occupe la couche sociale la plus basse avec des jobs de merde ou humiliants, ne parvient pas à crier sa colère à la face du monde. Seule la police, qui se confronte à elle et abuse de sa position de pouvoir, l'entend et la réprime. Dans ce contexte, on observe les rapports de domination entre les individus, les pressions sociales qui s'exercent sur les individus, la formation des groupes et des leaderships.

    Kim Young-ha, auteur résolument engagé et sensible, nous livre un texte fort, porté par la légende de Jeï, et publié par les éditions Philippe Picquier. Encore une belle découverte coréenne !

    « Ce que décrivait Jeï, c’était exactement ce que j'étais en train de vivre. La seule odeur de la pizza me donnait la nausée. Chaque nuit, épuisé, en m'endormant je me demandais si je ne devais pas rentrer à la maison et retourner en cours. Dans ce cas, j'aurais bénéficié d'une illusoire sécurité pendant deux ans au maximum. Ensuite, avec les mauvaises notes que j'aurais eues, je n'aurais aucune chance d'intégrer une bonne université. Retourner en classe n'avait donc pas de sens. Pour autant, je n'aimais pas la vie que je menais. Les jeunes dans la précarité étaient au même niveau que les immigrés clandestins, ou presque. Ils touchaient le minimum et se faisaient humilier, mais ils ne pouvaient rien dire. La plupart n'avaient même pas conscience d'être traités comme des chiens2. »

     

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    1. Page 146. -2. Pages 183-184.

    J'entends ta voix Kim Young-ha
    (titre original : Noewi moksorika deulyeo)
    Traduit du coréen par Kim Young-sook et Arnauld Le Brusq
    Éditions Philippe Picquier
    2015
    320 pages
    19,50 euros

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  • Salon du livre Paris 2016

    Mina Apple Kim Bibliolingus

     

     

     

    Mina
    Apple Kim
    Decrescenzo éditeurs
    2013

    En un mot

    À travers l'amitié étrange qui lie Mina et Sujeong, Apple Kim met en scène la jeunesse dorée de Séoul.

    « Mina est le symbole parfait de la lycéenne qui, malgré qu'elle vient d'apprendre le suicide de son amie, demeure sagement assise sur sa chaise1. »

    Mina et Sujeong, deux lycéennes sud-coréennes, sont liées par une étrange relation amour-haine. Entre tendresse et admiration, jalousie et méchanceté, elles se chamaillent et se réconcilient sans arrêt. Élèves brillantes, ultra-formatées et dociles, elles cumulent l'école publique et les cours particuliers, comme tous les ados des familles riches, dans une compétition effrénée aux bons résultats et à la réussite professionnelle.

    Le jour où l'amie d'enfance de Mina se suicide, leur relation se dégrade. Tandis que Mina est effondrée et renonce à l'excellence scolaire, Sujeong ne sait comment réagir face à la détresse de son amie. Peu à peu, l'esprit conditionné de Sujeong se fissure et se détraque complètement.

    Pour finir

    Mina, roman inspiré d'un fait divers et qui fait froid dans le dos, met en scène la jeunesse sud-coréenne huppée de Séoul. Pour cette génération anesthésiée, agressive, ultra-formatée, hyper-consommatrice, la carte bancaire est le sésame de tout : être libre, c'est pouvoir consommer ; consommer c'est posséder ; posséder c'est exister. Mina et Sujeong, liées par une amitié ambivalente entre amour et haine, voient une forme d'accomplissement dans la possession matérielle.

    Dès leur plus jeune âge, on inculque à ces adolescents l'excellence scolaire et professionnelle. À un point tel qu'ils peuvent être les meilleurs de la classe, ils n'ont pourtant aucune intelligence émotionnelle. Tels des robots dressés pour obéir et acquérir un statut social élevé, ils n'ont pas appris à aller vers l'autre. Leur incapacité à être empathique et curieux de l'autre est effroyable. Ceux qui n'entrent pas dans ce formatage sont broyés ; rappelons que la Corée a l'un des taux de suicides de sa jeunesse les plus élevés au monde.

    Le plus affreux, c'est probablement la manière dont les sentiments sont compartimentés et mis de côté, au détriment du bien-être et de la santé mentale, car la réussite scolaire passe avant tout. On observe avec stupeur une structure mentale d'une grande paresse intellectuelle, qui supprime toute introspection et tout esprit critique, ce qui est bien retranscrit par le style d'Apple Kim. Fait révélateur d'ailleurs, dans l'univers décrit par Apple Kim, ces adolescents, qui sont de futurs adultes immatures, évoluent en cercle fermé au seul contact de leurs amis et professeurs, mais les parents ne sont jamais présents jusqu'à la fin du roman.

    « Comme elle n'a pas d'expérience particulière, les concepts académiques qu'elle s'est fabriqués représentent tout ce qu'elle possède, au point qu'ils se confondent avec elle-même. Elle sait développer en anglais ses idées sur Rousseau, avec une prononciation et un accent corrects, en employant les temps verbaux, les prépositions et les pronoms convenables, et en cela, elle est remarquable. Voyons maintenant, saisissez votre clavier et tapez à la suite : Rousseau, les temps verbaux, les pronoms relatifs en utilisant le style formel de l'anglais et vous aurez une idée de la pensée de Sujeong. L'important n'est pas qu'elle ait réfléchi sur Rousseau ou bien qu'elle aime Rousseau. L'important est qu'elle soit capable de présenter Rousseau en utilisant les pronoms corrects, de commenter Les Confessions en utilisant les temps verbaux adéquats, après avoir maîtrisé correctement la prononciation et les structures de liaison. Si elle débite des propos sur Rousseau avec la prononciation et l'accent de la région Est des États-Unis, et qu'elle utilise correctement la grammaire, il résulte qu'elle connaît bien Rousseau. C'est don un jeu où il suffit de satisfaire à certains critères d'évaluation. Si les évaluateurs sont satisfaits, la réussite est un bout2. »

    J'ai bien sûr beaucoup aimé les thèmes de ce roman, très intimes et psychologiques, et la manière dont ils sont abordés. Le style brut se veut au plus près de la pensée mentale, fait de répétitions, de boucles mentales, de dialogues à bâtons rompus. Si de nombreux passages m'ont plu, alternant les points de vue des personnages et du narrateur, d'autres m'ont laissé dubitative. Les dialogues sont en effet particulièrement difficiles à suivre, car les interlocuteurs ne sont presque jamais indiqués. J'ai été lassée de devoir lire chaque dialogue trois fois pour bien suivre l'histoire. Enfin, je regrette aussi que le livre, publié par les éditions Decrescenzo dédiées à la littérature coréenne, comporte quelques fautes de ponctuation et des espaces en trop ou manquantes.

    Au final, c'est un roman coréen très intéressant, franchement glaçant, mais je conclue avec ces deux conseils : 1) lisez la préface à la fin ; 2) âme sensible s'abstenir !

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    1. Page 35. -2. Page 72.

    Mina
    (titre original)
    Traduit du coréen et préfacé par Kim Hye-gyeong et Jean-Claude De Crescenzo
    Decrescenzo éditeurs
    2013
    328 pages
    20,50 euros

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