• le jeu des ombres louise erdrich bibliolingus blog livre

    Le Jeu des ombres

    Louise Erdrich

    Éditions Albin Michel

    2012

     

    En un mot

    Gil et Irene, l’artiste peintre et sa muse, s’aiment à se déchirer devant leurs trois enfants. Même si je n’ai pas été véritablement attachée aux personnages, j’ai trouvé ce huis-clos intime bien mené, malsain et saisissant, et j’ai dévoré le livre comme une voyeuse pour connaître le dénouement de cette relation toxique.

    « Lui volait-il quelque chose en la peignant1 ? »

    Irene et Gil, tou·te·s deux américain·e·s d’origine indienne, sont marié·e·s et ont trois enfants. Gil est devenu un peintre connu grâce à son œuvre qui depuis vingt ans n’a qu’un seul sujet : son épouse Irene est sa muse, son modèle qu’il a peint obsessionnellement dans les différents moments de leur vie.

    Alors que le couple est sur le point de voler en éclats, Irene découvre un jour que Gil lit son journal intime, car il la soupçonne de la tromper avec un ami du couple. Irene décide alors de commencer un second journal intime, le vrai qu’elle met en lieu sûr, et d’utiliser le premier pour manipuler son mari.

    Entre chantage, menaces et mensonges en escalade, le couple se déchire et révèle une relation malsaine et toxique. Gil porte à sa famille un amour obsessionnel, possessif et violent qui fait peur aux enfants, tandis qu’Irene est manipulatrice, dissimulatrice et un peu passive.

    Pendant que les parents se déchirent et s’aiment avec violence, les enfants sont uni·e·s, pelotonné.e.s ensemble dans l’orage. L’aîné, Florian, devient un génie en mathématiques et Stoney, à six ans, se révèle très doué pour le dessin ; il dessine tout ce qu’il voit. Quant à Riel, visiblement affectée par la relation tumultueuse de ses parents, elle puise dans leurs racines indiennes le courage pour échafauder en secret des plans afin de survivre à la fin du monde, et aux attaques du père.

    « Dans ses tableaux, [Gil] mettait son chagrin, la nature insaisissable d’Irene, l’avidité de son étreinte, le rejet d’Irene, l’amertume de son espoir, la rage maussade d’Irene. Il avait pris conscience que plus leurs rapports étaient tendus, plus son travail en bénéficiait2. »

    Rencontre avec le livre

    Le Jeu des ombres est un huis-clos familial qui alterne brillamment les passages des deux journaux intimes et la narration à la troisième personne. L’impression de voyeurisme, plutôt que d’intimité, est habilement renforcée par la suppression des tirets d’incise et des guillemets des dialogues.

    Les personnages se livrent une guerre psychologique destructrice et déroutante, car la violence de cet amour est momentanément masquée par des moments complices entre Irene et Gil, ce qui rend la relation d’autant plus fascinante. Le drame de Gil, c’est que le bonheur ne lui permet pas de faire de belles toiles, et ce constat donne un relief réellement malsain à cette relation.

    Comme dans La Chorale des maîtres bouchers, j’ai remarqué et apprécié la place qui est faite aux chiens, considérés comme des êtres intelligents, attentifs aux humeurs des parents et des enfants, et faisant partie de la famille. C’est assez rare pour que je le souligne !

    J’ai dévoré avec avidité ce roman, car j’ai vraiment eu envie d’en connaître le dénouement. La fin est surprenante, mais fait finalement écho aux toutes premières pages du roman. Voilà une histoire puissante, bien menée, de qualité, et qui m’a saisie et intriguée sur le moment, mais je n’ai pas été assez attachée aux personnages pour en conserver une émotion durable.

    De la même autrice

    la chorale des maitres bouchers louise erdrich bibliolingus La Chorale des maîtres bouchers    

    1. Page 50. 2. Page 85.

    Le Jeu des ombres

    Louise Erdrich

    (Shadow Tag, titre original)

    Traduit de l’américain par isabelle Reinharez

    2012

    Éditions Albin Michel

    Collection Terres d’Amérique

    262 pages

    19 euros

    (disponible en poche)

    Partager via Gmail Pin It

    votre commentaire
  • la chorale des maitres bouchers louise erdrich bibliolingus

    La Chorale des maîtres bouchers

    Louise Erdrich

    Albin Michel

    2005

     

    Louise Erdrich raconte l’histoire du jeune allemand Fidelis Waldvogel qui émigre avec sa femme Eva aux États-Unis après la Première Guerre mondiale. Les personnages évoluent dans une ambiance douce-amère, entre le drame familial et la douce banalité du quotidien, au-dessus duquel plane toujours un sentiment diffus de danger. Si vous aimez ce genre d’ambiance, cette chronique familiale est faite pour vous !

    « Si je ne t’avais pas rencontrée, lui déclara-t-elle, j’aurais peut-être poursuivi ma route1. »

    Le jeune allemand Fidelis Waldvogel impressionne par sa voix, sa force sereine, sa faculté d’immobilité, son adresse exceptionnelle qui lui ont permis de survivre à la Première Guerre mondiale. Quelques années après la guerre, Fidelis Waldvogel émigre avec sa femme Eva aux États-Unis, où il devient boucher comme son père. Dans la petite ville d’Argus du Dakota du Nord, à la frontière du Canada, il devient réputé pour les saucisses de Frankfort.

    Le couple Waldvogel emploie Delphine Watzka, d’origine polonaise, dont le père est un alcoolique invétéré. Delphine a parcouru la région avec son ami Cyprian en faisant des tours d’équilibriste, mais la santé de son père alcoolique l’incite à rester à Argus.

    Tandis que Fidelis, homme mutique et réservé, peine à trouver ses mots en anglais, ses fils s’adaptent parfaitement à la culture américaine. Mais la Seconde Guerre mondiale approche et marquera à jamais l’histoire des Waldvogel.

    « Puis Gast se mit à faire danser le ballon d’avant en arrière d’un bout à l’autre de la scène. Au milieu des rires et des cris, il feignit d’avoir du mal à maintenir Cyprian en l’air. Ils restèrent en équilibre sur un bras, sur une jambe, puis il se passa quelque chose d’horrible et de merveilleux. Le peu séduisant postiche que portait Vilhus Gast glissa petit à petit de sa tête. Au grand ravissement des garçons et au milieu des cris perçants des dames, la vilaine perruque s’avéra être une araignée géante. D’une démarche délicate, effrayante, la chose remonta tranquillement le long du bras de Gast, s’avança vers le coude de Cyprian, puis, tandis que celui-ci redescendait à terre, enlaça son crâne nu et y demeura2. »

    Rencontre avec le livre

    L’univers de La Chorale des maîtres bouchers évolue dans une ambiance douce-amère. Louise Erdrich voue une affection toute particulière à ses personnages, et cela se ressent. Cette chronique familiale s’appuie beaucoup sur les détails du quotidien, que l’autrice a su rendre étonnamment intéressants, tout en parvenant à faire planer un sentiment diffus et constant de danger. Je n’aurais pas cru me laisser prendre par des événements infimes, racontés avec pudeur et une certaine densité. J’ai été très touchée par l’amitié qui unit Delphine et Eva, et la plupart des personnages sont attachants, mais je garde surtout en mémoire les femmes en quête de leur autonomie, comme Clarisse, Un-Pas-Et-Demi, Tante et surtout Delphine, qui souhaitait faire du théâtre et dont le parcours a dévié vers les Waldvogel.

    Toutefois, j’ai trouvé l’équilibre fragile, car le roman côtoie le drame familial autant que la douce banalité d’une vie ordinaire, mais chapitre après chapitre, Louise Erdrich reprend du souffle, chasse l’ennui en apportant de nouveaux rebondissements, si infimes soient-ils, dans les cœurs de ses personnages. Pourtant, là où le bât blesse, c’est lorsqu’elle utilise trop facilement la mort comme joker pour créer des rebondissements supplémentaires.

    Par ailleurs, la relation aux animaux aurait pu avoir davantage de place. Ils sont tués avec habileté et fermeté par Fidelis, puis découpés et assaisonnés par ses soins, à la façon allemande ; tandis qu’au quotidien les chiens domestiques font partie intégrante de la famille. Alors pourquoi, page 66, Fidelis pleure-t-il, pour la seule et unique fois, la mort du cochon qu’il est en train de tuer, ce cochon qui se débat parce qu’il sent qu’il va mourir ?

    Si vous aimez les ambiances douces-amères, faites des petites choses du quotidien et des grands élans du cœur, de personnages attachants rattrapés par l’histoire du XXe siècle, cette chronique familiale est pour vous !

    De la même autrice

    Le Jeu des ombres

    Lisez aussi

    Upton Sinclair La Jungle

    1. Page 505. -2. Page 468.

    La Chorale des maîtres bouchers

    (The master butchers singing club)

    Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez

    Louise Erdrich

    Le Livre de poche

    2014

    578 pages

    Pour ne pas manquer les prochaines chroniques, inscrivez-vous à la newsletter !

    Partager via Gmail Pin It

    2 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique