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Par Lybertaire le 31 Juillet 2017 à 14:00
Rêves de garçons
Laura Kasischke
Éditions Christian Bourgois
2007
Trois cheerleaders de 17 ans qui s’échappent quelques heures de leur camp d’entraînement estival croisent le regard de deux jeunes garçons à bord de leur vieux break. Dans Rêves de garçons, l’atmosphère malsaine et macabre très réussie de ce thriller psychologique dépeint la pression sociale, la quête de la perfection qui régissent l’univers de ces jeunes filles.
« Quand vous êtes dans les bois, ne quittez le chemin sous aucun prétexte1. »
A la fin des années 1970 aux Etats-Unis, trois cheerleaders filent à bord d’une Mustang rouge flamboyante. Kristy, Desiree et Kristi bis s’échappent le temps d’une journée de leur camp d’entraînement de pom-pom girls pour se baigner dans le lac des Amants. Toutes trois issues de familles aisées ont été envoyées dans ce camp pour parfaire les techniques que doivent maîtriser les pom-pom girls pour faire vibrer les supporters. Elles ont 17 ans, elles sont belles, insouciantes, sûres d’elles et se sentent invincibles.
Racontée par Kristy, cette journée qui s’annonce radieuse vire à l’étrange lorsqu’elles croisent le regard de deux ados dans leur vieux break à la station-service.
Mon avis
Chez Laura Kasischke, l’atmosphère s’appuie sur l’imaginaire collectif et souvent cinématographique, pour faire naître l’étrange et le macabre. Dans le roman Rêves de garçons, dominé par le chant entêtant des cigales et la chaleur étouffante de l’été, on pénètre dans l’univers maintes fois vu des adolescentes populaires, riches et pom-pom girls, pour le voir se transformer en une histoire d’horreur qui se raconte autour d’un feu de camp.
L’histoire est simple, prenante mais efficace. La tension est constante, même si au final la narration est très ramassée dans le temps et l’action très lente. Si les dernières pages ne m’ont pas autant convaincue que celles du magistral Esprit d’hiver publié quelques années plus tard, j’ai beaucoup aimé Rêves de garçons. Dès le début, Laura Kasischke parvient à évoquer un sentiment de danger à travers la distillation d’éléments, comme la persistance du champ lexical du macabre, les odeurs fétides qui entourent les souvenirs de Kristy, les rengaines morbides et animales (le lapin qui agonise, le porte-clés en patte de lapin douce et écœurante, le fœtus de porc à disséquer en cours, la viande fade et dégoûtante). C’est ce sens du détail qui m’a tenu en haleine et qui m’a fait relire de nombreux passages pour être certaine de ne rien manquer, un peu comme si je menais moi-même l’enquête.
Au-delà de l’histoire, j’ai beaucoup aimé le background, car l’autrice montre une certaine vision de l’Amérique blanche, individualiste et patriotique des années 1970. Laura Kasischke retranscrit bien l’état d’esprit que l’on a à 17 ans, et elle raconte la pression sociale que subissent, inconsciemment ou non, les jeunes filles : elles se doivent d’être toujours parfaites, belles et souriantes en toutes circonstances, bonnes élèves et prudentes en amour. Leur univers est peuplé d’interdits et d’injonctions, et ces jeunes cheerleaders des milieux aisés apprennent à contrôler les apparences et leur vie comme elles mèneraient une carrière professionnelle. Ainsi, Kristy apparaît comme une personne brillante mais aussi froide. C’est à mon avis ce qui donne davantage de vigueur et de plaisir à la lecture de ce thriller psychologique a priori simple et convenu. Je l’ai savouré, et je l’ai même fait durer pour en profiter plus longtemps !
« Les filles, disait-elle, faire du cheerleading c’est comme travailler dans les relations publiques. Non seulement vous devez vous entendre avec vos partenaires, mais vous devez aussi montrer à l’équipe, aux officiels, au public et à la communauté que vous avez l’esprit d’équipe, que vous êtes le genre de personne sur qui on peut toujours compter. […] Vous devez ressembler à cette fille pleine de charme qui en impose sans être trop autoritaire, celle qui se fait rapidement des amis et qui, même de mauvaise humeur, garde le sourire. Une pom-pom girl se doit d’être parfaite2. »
De la même autrice
1. Page 79. -2. Page 236.
Rêves de garçons
Boy heaven, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy
Laura Kasischke
Editions Le Livre de poche
2009
256 pages
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4 commentaires -
Par Lybertaire le 30 Novembre 2016 à 11:31
Accidents
Olivier Bordaçarre
Éditions Phébus
2016
En un mot
Accidents raconte l’histoire parallèle de Sergi Vélasquez, artiste peintre qui tombe amoureux de Rébecca, et de Roxane victime d’un accident de voiture qui la laisse défigurée. C’est un roman au procédé narratif bien construit, bien maîtrisé, sur les thèmes du double et des apparences, que j’ai lu avec plaisir mais qui ne m’a pas totalement convaincue par certains côtés.
« Il m’a parlé d’elle de long en large. Il est en train de se planter, murmura Julia1. »
Sergi Vélasquez est un artiste peintre qui utilise de la matière, des cailloux, du sable, pour faire des tableaux. À 32 ans, il vit à Paris dans l’appartement en face de celui de sa sœur Julia, qui vit avec Paul et leurs deux filles.
Sergi, pourtant un grand célibataire, vient de rencontrer Rébecca avec laquelle tout va très vite. Seulement, Rébecca, qui n’est autre qu’une patiente de Julia, qui est psychanalyste, semble être assez instable et excessive dans ses comportements.
Ailleurs en France, Roxane se remet d’un accident de voiture. Depuis plusieurs années, elle vit en solitaire, car elle ne supporte pas son visage défiguré dont la moitié a été brûlée.
« Les autres femmes, elles, ont cette bosse sur le nez, cette petite ride au coin de la bouche, ce grain de beauté sur le menton, cette infime dissymétrie de l’ensemble. Elles procèdent à quelques arrangements, elles accentuent, éclairent, masquent, embellissent. Elles coiffent cette mèche, là, qui rebique toujours, c’est comme ça depuis l’enfance, ça les agace : elles disent : « C’est mon épi », comme s’il s’agissait d’un fardeau. Elles papotent de leurs défauts. Elles ont bien de la chance… Elles se maquillent pour faire disparaître cette ombre, là, jugée disgracieuse, la recouvrent d’un peu de poudre, soulignent leurs paupières d’un trait noir. Les arrangements produisent les effets escomptés, et ces rituels perdurent, inchangés dans leurs gestes et leurs objectifs, tout au long de la vie2. »
Rencontre avec le livre
Accidents est un roman agréable à lire, sans temps mort, mais je ne pense pas en garder un souvenir à long terme. Je n’avais pas lu la 4e et heureusement, car l’intrigue m’a semblé assez transparente et la fin prévisible. Le procédé des deux narrations qui s’entrecroisent est assez courant et fonctionne néanmoins très bien, le tout est bien rythmé car Olivier Bordaçarre n’en est pas à ses débuts, mais je n’ai pas trop aimé le côté hyper réaliste et parisianiste consistant à indiquer à chaque début de chapitre le lieu exact où se déroule la scène.
Même si j’ai trouvé, par exemple, que le personnage de Valentine réduite à son côté ado rebelle, j’ai apprécié ceux de Rébecca en femme névrosée et possessive, et de Roxane qui doit vivre avec son nouveau visage et les regards des autres.
Olivier Bordaçarre se moque gentiment de ses personnages, comme Sergi, l’artiste peintre victime des apparences (!), ainsi que du milieu de l’art contemporain, perçu comme consensuel, superficiel et spéculateur, et qui fait le bonheur des classes aisées. Il soulève aussi la question éternelle des artistes, à savoir : peut-on vivre de son art sans dévoyer son talent ? Les thématiques m’ont paru intéressantes mais effleurées avec légèreté.
Voilà un roman bien mené, maîtrisé et sympathique autour du double, des apparences et des névroses, mais je ne suis pas fan des chroniques familiales. En revanche, j’avais été impressionnée par Protégeons les hérissons du même auteur.
Du même auteur
Protégeons les hérissons 1. Page 89. -2. Page 100.
Accidents
Olivier Bordaçarre
Éditions Phébus
Collection Littérature française
2016
224 pages
18 euros
4 commentaires
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