• opinion-sondages-et-democratie bibliolingus

     

    Opinion, sondages et démocratie

    Roland Cayrol

    Sciences Po presses

    2011

     

    Trop de sondages tuent le sondage

    Avec l’avalanche de sondages d’opinion – de l’ordre d’un sondage publié par jour – il est utile de s’offrir une petite initiation à ce que sont les sondages, leurs enjeux, leurs contraintes et leur légitimité. Roland Cayrol propose un ouvrage didactique avec une première partie explicative sur cet instrument du xxe siècle : que sont les sondages ? quels sont les instituts ? qui les commande ? comment sont-ils faits ? quels sont les avantages et les inconvénients de chaque méthode ? Les sondeurs sont soumis à une déontologie stricte – la neutralité et la rigueur – mais aussi à des contraintes fortes : outre l’exigence d’un travail rapide pour un faible budget, les sondeurs subissent une forte pression politique et économique de la part des commandeurs.

    La seconde partie fait un retour historique des élections présidentielles (et des erreurs de sondage) de 1995 à 2007, et évoque notamment la présence de Le Pen que les instituts n’avaient pas mesuré dans leurs enquêtes. Roland Cayrol revient sur l’influence des sondages d’opinion lors des élections présidentielles, surtout lorsqu’ils sont omniprésents dans les propos des journalistes.

    « Le phénomène a sans doute été renforcé par la relative “désidéologisation” des scrutins. N’ayant, sur le fond – les contenus, les programmes, les propositions des candidats –, rien de bien nouveau à commenter ou à discuter, les médias en sont venus à faire la “une” ou les titres du journal télévisé sur les derniers scores des sondages1. »

    Et cette influence, qui fait du sondage un outil d’aide à la décision pour l’électeur, explique le vote de la loi de 1977 interdisant la publication des sondages la semaine précédant les élections ; durée qui, d’ailleurs, a été ramenée à la veille des élections par la loi de 2002.

    Roland Cayrol

    Qui est Roland Cayrol ? En tant qu’ancien directeur de l’institut de sondage CSA, jusqu’à ce que l’institut soit racheté en 2008 par... Bolloré, un groupe industriel et de communication, il n’est pas neutre sur la question des sondages, et a été directement impliqué par les critiques faites sur les techniques de son institut. En fait, il ne peut pas avoir une opinion objective sur les sondages – surtout qu’il y a consacré sa carrière − mais veut-on une approche impartiale ? Probablement pas. Et celle-ci n’est-elle pas d’ailleurs idéaliste ?

    La partie concernant la légitimité du sondage d’opinion ressemble à une réponse à ses détracteurs, comme Pierre Bourdieu et Patrick Champagne.

    Mon avis

    Cet ouvrage est somme toute superficiel − c’est ce que l’on peut attendre pour une mise à niveau sur la question des sondages – mais il fait montre de consensualité car favorable aux sondages en tant qu’instrument favorisant la démocratie. Il ne met pas assez l’accent sur l’instrumentalisation des sondages par les médias et les entreprises privées, ainsi que les dérives nées de cette manipulation. Les sondages peuvent être une arme redoutable, d’autant plus qu’il est facile à biaiser.

    Si Roland Cayrol évoque les dérives, mais sans les développer, comme la façon de poser les questions qui induisent certaines réponses et la taille de l’échantillon, il ne cite pas d’exemples illustrant comment les mauvais sondages, ou leur mauvaise interprétation, peuvent pervertir la vision de l’opinion publique. Ainsi, le journal Le Monde avait été épinglé en avril 2012 pour avoir publié une enquête (« Marine Le Pen en tête chez les jeunes ») évaluant que les jeunes primo-votant de 18 à 22 ans élisaient majoritairement la présidente du Front national. Or, il s’était avéré que l’échantillon n’était pas fiable : il était trop réduit pour donner des conclusions significatives. Si Le Monde a dû publier un rectificatif à propos de ce sondage, le mal est fait : ce journal a une réputation de sérieux si ancrée dans les esprits que beaucoup de lecteurs (qui n’auraient pas lu le rectificatif de la semaine suivante) ont définitivement cru que les jeunes étaient fascistes. De tels sondages faussés peuvent avoir des conséquences importantes auprès de la population.

    Lisez aussi

    Le FN et la société française André Koulberg

    Nos rêves ne tiennent pas dans les urnes Paul Ariès

    Rêve général Nathalie Peyrebonne

    La Lucidité José Saramago

    Nous aurons de l'or Jean-Eric Boulin

    Les Renards pâles Yannick Haenel

    Altergouvernement. 18 ministres-citoyens pour une réelle alternative Collectif

    Éloge de la démotivation Guillaume Paoli

    1. Page 91. -2. CSA : Conseil, sondage et analyses.

    Opinion, sondages et démocratie

    Roland Cayrol

    Sciences Po presses

    Collection La bibliothèque du citoyen

    2011

    152 pages

    14 €

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  • lindustrie du mensonge bibliolingus

     

    L’Industrie du mensonge. Relations publiques, lobbying et démocratie

    John Stauber, Sheldon Rampton

    Éditions Agone

    2004

     

    « La propagande est à la démocratie ce que la violence est à l’État totalitaire1. » (Noam Chomsky)

    Qui sont les lobbyistes aux États-Unis ? Comment agissent-ils ? L’Industrie du mensonge, ouvrage hallucinant, répond à ces questions. Le tabac, le nucléaire, le traitement des déchets toxiques des industries, l’agriculture, les produits pharmaceutiques, les guerres… Le lobbying établit son emprise sur l’ensemble des secteurs qui rapportent de l’argent.

    Qui sont ceux qui font de la propagande ? Le gouvernement certes, mais, curieusement, ce n’est pas de lui dont on parlera le plus ici : les multinationales font appel aux services des agences de conseil, avec la complicité des pouvoirs publics et des médias, pour dissimuler des pratiques aussi immorales qu’illégales. La manipulation de l’« opinion publique » (mais celle-ci existe-t-elle ?) vise à améliorer leur image auprès du public, et à maintenir l’ordre social : ceux qui détiennent les pouvoirs décisionnels et qui sont membres de l’élite font en sorte que le peuple – vous et moi derrière l’écran, personnes anonymes et placées au bas de la hiérarchie du pouvoir – continue d’accepter sa soumission à l’ordre du monde. Le lobbying a pour objectif de taire les voix alternatives, de simuler la démocratie en apparence tout en occupant au maximum l’expression publique par divers moyens. Pour les lobbyistes d’aujourd’hui, les dissidents à abattre ne sont plus les communistes de la guerre froide mais les écologistes.

    Parmi les instigateurs des méthodes de lobbying, deux noms sont à retenir : Edward Bernays, après la Première Guerre mondiale, qui a transformé les cigarettes Lucky Strike en symbole de libération de la femme et encouragé le tabagisme durant tout le XXe siècle ; et Walter Lippman, qui a développé la théorie de la fabrication du consentement des opprimés.

    « Informer, éduquer, vendre et distraire2 »

    Cet ouvrage regorge d’exemples, tous plus hallucinants les uns que les autres, des méthodes employées par les agences de conseil et les multinationales. Outre la dissimulation de catastrophes et de faits alarmants, l’usage de la langue de bois et le matraquage par des campagnes publicitaires agressives, débilitantes ou faussement éthiques. Les méthodes insidieuses, malhonnêtes et illégales sont courantes car seul le résultat – le profit – compte.

    Le plus basique d’entre eux est de changer les noms des sociétés dont le passé est terni : ainsi en France, la Générale des eaux est devenue Vivendi puis Veolia environnement, comme si le terme « environnement » véhiculait une image plus positive. Le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) s’appelle désormais Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, comme s’il y avait, quelque part au gouvernement, l’intention de voler la vedette au nucléaire dont on sait tous combien c’est économique, propre et sans danger… Aux États-Unis, les boues toxiques des industries ne sont plus des déchets : ce sont des « biosolides » et ils entrent depuis 1977 dans la catégorie des engrais ; à ce titre, ils sont commercialisés et utilisés sur les terres américaines en toute légalité.

    Avec Hill & Knwolton et Burson-Marsteller en tête, les agences de conseil créent des associations, des comités et des mouvements bidons, en apparence indépendants, authentiques et légitimes, pour influencer les décisions des élus locaux et pour berner la population. Les lobbyistes engagent aussi des espions qui se glissent parmi les militants des associations et des partis politiques. Ils retournent les participants les moins investis pour neutraliser les boycotts par exemple – diviser pour mieux régner – et élaborent une base de données des militants pour mieux les surveiller.

    Et parce que la meilleure communication est celle qui ressemble à de l’information, les agences de conseil envoient couramment aux journalistes, pressés par le temps et la quantité de reportages à réaliser, des « reportages en kit ». Cette méthode pernicieuse et dangereuse qui brouille la frontière entre publicité et information existe aussi en France. Il suffit d’ouvrir n’importe quel journal gratuit et la presse bas de gamme pour constater que les produits et services mis en avant sont, la plupart du temps, présentés sans esprit critique : c’est de la publicité déguisée.

    Mais le lobbying s’exerce aussi sur les dictatures des pays en voie de développement ; les gouvernants états-uniens trouvent un intérêt à détruire la démocratie dans les pays qu’ils exploitent, et à ce sujet, l’œuvre de Noam Chomsky est édifiante. Comment les lobbyistes états-uniens légitiment-ils la guerre et la violence ? La guerre du Vietnam a été une grave erreur : la médiatisation des combats et des morts a été si forte qu’elle a entraîné la contestation des peuples du monde. Cette débandade a resserré le contrôle médiatique : les pouvoirs publics des États-Unis – mais n’est-ce pas aussi le cas en France ? – ont fait limiter la diffusion des images de la guerre en Afghanistan et des guerres suivantes. La guerre du Koweït a été légitimée auprès  du peuple états-unien par la soi-disant libération d’un peuple prisonnier ; mais cette propagande cachait un objectif économique essentiel : la récupération des ressources pétrolières.

    Pour les guerres suivantes, et pour celles qui déchirent le monde encore aujourd’hui, il s’agit de neutraliser l’action des journalistes envoyés sur le terrain et de mobiliser l’opinion pour rendre la guerre nécessaire ; on assiste alors à des guerres sans image – aux États-Unis comme ailleurs... et comme en France – qui limite la sensibilisation du peuple à ces conflits. Pas d’image, pas d’émotion, pas d’opposition, pas de mobilisation contre la guerre.

    Mon avis

    Comment les auteurs ont-ils obtenu leurs sources ? Ils ont fait comme Noam Chomsky, ils ont utilisé une loi américaine obligeant le gouvernement fédéral à rendre public tout document interne dont une personne a fait la demande. (la Freedom of Information act, loi sur la liberté de l’information, votée en 1966, « oblige le gouvernement fédéral à rendre public tout document interne à l’administration dont une personne, privée ou morale, lui demande communication. Sont cependant exclus de son champ d’application les documents classés confidentiels ayant trait aux affaires étrangères ou à la défense nationale. ») Cette loi n’existe pas en France… 

    L’Industrie du mensonge, paru aux États-Unis en 1995, est une œuvre de référence en matière de communication : bon nombre de livres découlent de ces constats. Et les éditions Agone l’ont servi intelligemment, avec un travail éditorial impressionnant : bibliographie, index, lexique des sigles et ajouts de chapitres sur le lobbying français. Le seul regret est de n’avoir pas encore rencontré le livre qui traite en profondeur la question chez nous.

    Lisez aussi

    Les Dessous de la politique de l’Oncle Sam Noam Chomsky

    Les Chiens de garde Paul Nizan

    Les Nouveaux Chiens de garde Serge Halimi

    Éloge de la démotivation Guillaume Paoli

    Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie Edward Bernays 

    Divertir pour dominer Collectif 

    Pétrole ! Upton Sinclair

    La guerre des mots. Combattre le discours politico-médiatique de la bourgeoisie Selim Derkaoui et Nicolas Framont

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    1. Page IX de la préface. -2. Page 37.

     

    L’Industrie du mensonge

    Relations publiques, lobbying et démocratie

    John Stauber et Sheldon Rampton

    Traduit de l’anglais par Yves Coleman

    Nouvelle édition préfacée, actualisée et complétée par Nicolas Chevassus-au-Louis et Thierry Discepolo

    Éditions Agone

    Collection Éléments (format poche)

    1995 pour l’édition américaine

    2004 pour la première édition française (chez Agone)

    2012 pour l’édition présente

    412 pages

    14 €

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  • le zebre jardin bibliolingus 

    Le Zèbre

    Alexandre Jardin

    Éditions Gallimard

    1988

     

    « Il y a des conversions mystiques, pourquoi n’y aurait-il pas des conversions amoureuses? »

    Gaspard Sauvage, dit le Zèbre, n’en fait qu’à sa tête. Notaire à Laval mais excentrique, courageux romantique mais plus pantouflard que voyageur, Gaspard a décidé de reconquérir l’amour de Camille, sa femme, usé par quinze ans de mariage et deux enfants.

    Ébranlé par l’accident qui a failli coûter la vie de Camille, le Zèbre se rue sur chaque instant partagé avec elle comme si c’était le dernier. Il met en scène des stratagèmes pour enrayer la routine et rejoue son amour plus qu’il ne l’éprouve. À défaut d’être un grand écrivain, Gaspard veut faire de son amour une œuvre magistrale.

    « Désormais tu m’appelleras “Papa” et moi “Maman”, nous porterons des charentaises à la maison, je te maltraiterai, nous roterons l’un en face de l’autre, chaque soir nous mangerons de l’ail, tu te coucheras avec des bigoudis, je laisserai mon dentier à tremper dans un verre sur la table de nuit, nous éviterons de nous parler, même de nous regarder, d’ailleurs nous installerons la télévision face à nos lits que nous séparerons, naturellement, et nous nous efforcerons de prendre des habitudes2. »

    « Quel plus joli parfum une femme peut-elle porter que celui de la peau de son amant3 ? »

    Mais Gaspard, si fougueux et malin soit-il, ne peut forcer l’éclosion de l’amour depuis longtemps devenus tendresse. Et d’autant plus que Camille reçoit les lettres de celui qu’elle appelle déjà l’Inconnu –  l’Inconnu qui sait rappeler combien les détails du quotidien, sa tenue, ses cheveux, en apparence anodins, nourrissent l’amour malgré les années qui passent. Tandis que Gaspard cherche dans leur rencontre et l’extravagance les origines de leur relation, l’Inconnu parvient à l’émouvoir de sa plume observatrice et sensible chaque jour.

    « Adieu la romance éternelle. Bonjour les trahisons conjugales, les placards, le mensonge, le vaudeville qui, comme les clowns, est drôle à la scène et triste à la ville. il connaîtrait alors les déclarations dans lesquelles on ne promet rien, les amours à responsabilité limitée, les coucheries d’où le sentiment d’éternité est banni et où l’on prend sans se donner vraiment4. »

    Mon avis

    Alexandre Jardin, lorsqu’il écrit ce texte en 1988, semble se retrouver dans chacun de ses personnages : le Zèbre, l’idéaliste qui veut dépasser les grands de la littérature pour rendre son amour éternel ; Camille qui recueille les ambitions romanesques de son mari par l’écriture ; Alphonse, l’ami dévoué de Gaspard. 

    Le Zèbre, c’est une fable sympathique, à l’appétit littéraire noble mais pas tout à fait comblé. Malgré tout, Jardin a le goût des mots ; il revisite les expressions d’une nouvelle manière qui donne à l’écriture une tournure élégante, théâtrale, poétique et légère. Et paradoxalement, c’est cette légèreté, cette façon de donner d’autres mots au drame qui guette la famille Sauvage, qui véhicule de l’émotion dans l’instant de lecture, mais qui n’ancre pas le roman dans la postérité. Une très belle lecture pourtant.

    « Il n’y a pas d’autre mort que l’absence d’amour. » (René Barjavel)


    1. Page 21. -2. Page 76. -3. Page 210. -4. Page 72.

    Le Zèbre

    Alexandre Jardin

    Éditions Gallimard

    Collection Folio n°2185

    2010

    224 pages

    7,5 €

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