• Le FN et la société française ≡ André Koulberg

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    Le FN et la société française
    L’extrême droite banalisée

    André Koulberg

    Éditions Utopia

    2017

    Quelles sont les véritables intentions du FN, sous le vernis du parti démocratique ? Comment lutter contre la banalisation des idées frontistes ? Voilà un ouvrage accessible qui nous encourage à répondre systématiquement aux arguments fallacieux pour ne pas laisser courir des idées fausses et des préjugés.

    « Ainsi, lorsque les frontistes ne trouvent aucun relais à leur discours de peur et à leurs fantasmes autoritaires, ils échouent lamentablement1. »

    Depuis 2011-2012, le Front national, par l’intermédiaire de Marine Le Pen, a policé son image de parti démocratique. Cette banalisation a permis de rendre respectables le parti et ses idées, de décomplexer les autres partis politiques qui s’approprient les arguments frontistes pour récupérer cet électorat, sans compter la complicité des médias dominants, les journalistes, éditorialistes et commentateur·rice·s médiatisé·e·s, parmi lesquel·le·s Zemmour, Houellebecq et Finkielkraut.

    Toutefois, les idées du FN sont toujours aussi dangereuses malgré le vernis démocratique. André Koulberg définit les éléments qui fondent son identité : le fantasme d’une communauté française homogène, immuable, pure de tout métissage, ces « Français·e·s de souche », qu’il faudrait préserver d’une « invasion » des communautés étrangères elles-mêmes immuables et typées (on pense aux préjugés sur les personnes juives qui existent depuis des siècles). Ce sont les « immigré·e·s », ces cibles faciles que sont les personnes noires et arabes, lesquelles sont pourtant de nationalité française, ou vivent depuis plusieurs générations en France, mais qui sont toujours considérées comme des étrangères par le FN et forcément musulmanes (mettez tout dans le même paquet, s’il vous plaît) ! Le sentiment que rien ne doit changer entraîne une crispation identitaire. Ce danger justifierait un état autoritaire et des mesures liberticides pour protéger « l’identité française » : la violation des droits fondamentaux, individuels et collectifs, la répression de celleux qui ne ressemblent pas aux « Français·e·s », et dont les droits seraient inférieurs.

    Malgré l’autocensure interne et cette « dédiabolisation », terme qui sert largement les intérêts du FN, c’est toujours un parti raciste, discriminant, antiféministe, paranoïaque et à tendance fasciste. André Koulberg décrypte quelques procédés rhétoriques utilisés pour retourner le cerveau. Par exemple, quand Marine Le Pen emploie le mot « laïcité », il n’a pas le sens véritable (la séparation de l’église et de l’État, le respect des libertés individuelles et collectives et des religions minoritaires) mais il définit plutôt une vision catholique et antimusulmane de la société, ce qui n’est absolument pas laïque. Le parti reprend également des arguments économiques de gauche pour faucher l’électorat de tous les bords politiques. Ce parti, volontiers élitiste et familial, propose pourtant des mesures antisociales pour mettre les salarié·e·s sous pression et fustige les prétendu·e·s nombreux·ses « assisté·e·s ». J’ai aussi trouvé ce genre d’astuces rhétoriques chez Macron, d’ailleurs : ses phrases commencent par une valeur de gauche (l’égalité, la solidarité), et se terminent par une solution de droite…

    La manipulation des mots s’accompagne aussi d’une campagne d’intimidation des journalistes qui oseraient présenter le FN tel qu’il est vraiment : agressions, insultes, interdiction d’accès aux meetings… La liberté de la presse, comme tant d’autres libertés, n’est pas au programme du FN, et on l’a bien vu pendant la campagne électorale de 2017 !

    « Outre la volonté d’imposer des distinctions ethniques et de multiplier les discriminations, le Front national se caractérise par ses options très déterminées en faveur de la répression, de l’exclusion, de la censure, son refus du pluralisme, son mépris pour les droits des individus, des libertés collectives, pour l’indépendance de la presse, des professeurs, des associations2… »

    Rencontre avec le livre

    La banalisation, aussi appelée « dédiabolisation », est un terme qui sert largement le FN à devenir un parti plus fréquentable, et a un effet pervers sur notre société. La banalisation est l’idée que nous nous accoutumons aux idées frontistes qui infiltrent progressivement la société. A fortiori, il me semble que ces dernières décennies, l’ensemble des partis politiques glissent sensiblement vers les idées individualistes et libérales de droite, ce qui contribue à émousser notre conscience politique, à réduire notre sentiment collectif d’indignation. Les idées frontistes sont si présentes dans les prises de parole publiques que nous ne percevons pas l’urgence vitale à réagir.

    Cette banalisation n’aurait pas pu se faire sans la complicité des médias dominants (télé, journaux), eux-mêmes sympathisants des idées de droite. La logique de production de l’information est incriminée : la course à l’audience, la surproduction d’informations, les investigations trop courtes, l’actionnariat et les publicitaires qui musèlent la parole, ne permettent pas aux journalistes de faire un travail honnête. Iels rapportent les déclarations des frontistes sans les décrypter ni les mettre en perspective.

    J’ai peu d’illusions sur les différents partis politiques, même ceux de gauche, comme vous le savez sûrement. À grands renforts de symboles et de valeurs nobles mais pourris jusqu’à la moelle (la devise « liberté, égalité, fraternité », le drapeau français, la Marseillaise…), notre société n’a rien d’une démocratie et d’une république.

    À mon sens, pour lutter contre l’extrémisme du FN, il faut aussi contrer l’ensemble des partis à tendance fasciste et les discours haineux qu’on entend quotidiennement. Je comprends qu’André Koulberg, dans Le FN et la société française, s’attache à mettre à distance le FN. Mais tous les partis sont potentiellement fascistes et xénophobes, et la République en marche prépare lentement et sûrement le terrain des frontistes. Il faut donc s’attaquer à tous les propos fascistes, quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent.

    Comment ? En combattant chaque jour les idées qu’on entend ici et là, en ne laissant pas sans suite des propos racistes ou méchants, en les contrecarrant par l’argumentation. C’est en laissant dire, laissant faire, sans opposer d’arguments, que les idées malveillantes, intolérantes, font leur chemin dans la société et dissolvent les liens. Pour celleux qui croient au vivre-ensemble, ne pas s’opposer, ne pas s’indigner, c’est contribuer à la montée du fascisme, c’est favoriser son expansion, c’est accepter sa banalisation.

    Justement, la démocratie n’est pas un état immuable, géré par des institutions élitistes et sclérosées qui débattent à l’abri des regards citoyens. La démocratie est un mouvement, c’est tous les jours qu’elle se vit, et elle demande l’implication de chacun et chacune. L’opinion publique se travaille chaque jour dans nos vies quotidiennes, il faut parler de politique avec nos proches. Je trouve ça vraiment intéressant, car avant j’avais plutôt tendance à penser que les gens qui votent FN sont des cas perdus et qu’il était inutile de débattre, et il est vrai que je garde souvent le silence pour avoir le statu quo familial. Désormais je compte bien m’exprimer davantage quand j’entendrai ou lirai des idées fausses (par exemple : « les réfugié·e·s viennent en France pour nos allocations »), quitte à passer pour une rabat-joie. D’une part parce que c’est dans mon tempérament de rechercher le dialogue et l’honnêteté, et d’autre part parce que je commence à avoir une certaine assise dans mes positions politiques, qui me permet de réagir solidement et respectueusement.

    Vous l’aurez compris : il n’y a pas de parti politique qui cherchera à vous défendre et à vous représenter. Pourquoi continuer docilement à leur donner les moyens, avec un bout de papier tous les cinq ans, de nous écraser, de nous museler, de nous éliminer ?

    Lisez aussi

    Le fond de l'air est jaune Collectif

    Nos rêves ne tiennent pas dans les urnes Paul Ariès

    La Force de l'ordre Didier Fassin

    En finir avec les idées fausses sur les pauvres
    et la pauvreté
    Collectif

    Sur la télévision Pierre Bourdieu

    Propaganda Edward Bernays

    Opinion, sondages et démocratie Roland Cayrol

    Les Nouveaux Chiens de garde Serge Halimi

    Journalistes précaires, journalistes au quotidien Collectif

    La Violence des riches Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot

    1. Page 181. -2. Page 74.

    Le FN et la société française

    L’extrême droite banalisée

    André Koulberg

    Éditions Utopia

    Collection Ruptures

    2017

    208 pages

    10 euros

    « Pétrole ! ≡ Upton SinclairZone 2 ≡ Mary Aulne »
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  • Commentaires

    1
    Jeudi 30 Août 2018 à 18:41
    Lison

    Cet ouvrage m'a l'air très intéressant ! Même si je pense que je fais déjà partie des "convaincus" sur le sujet, j'imagine que ce livre permet d'avoir davantage d'arguments et de références historiques pour contrer la montée du FN, et ainsi, un meilleur esprit critique sur la question. Merci pour la suggestion ! 

      • Mardi 4 Septembre 2018 à 20:36

        Tout le catalogue des éditions Utopia est super intéressant ! J'ai envie de tous les lire, mais le temps me manque ;)

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