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Le Deuxième Sexe
Les faits et les mythes (partie 1)Simone de Beauvoir
Éditions Gallimard
1949
Après avoir lu quelques livres sur le féminisme, je me suis enfin décidée à ouvrir l’un des ouvrages les plus fondamentaux sur la question : Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir. Certes, la lecture du volume 1 n’est pas toujours facile, et la situation a beaucoup évolué depuis l’autorisation de la contraception et de l’IVG en France, mais ce n’est pas pour autant que les propos de Beauvoir m’ont paru datés. Au contraire, cet ouvrage très riche, très dense me permet de lister l’ensemble des points que je souhaite approfondir dans les mois et les années à venir. Sans être exhaustive, je souhaite revenir sur quelques points de la pensée beauvoirienne qui m’ont paru fondamentaux et accessibles.
« La représentation du monde comme le monde lui-même est l’opération des hommes1. »
La première partie du volume 1 vise à expliquer que, de tous temps, les hommes ont cherché à s’approprier et à circonscrire le pouvoir extraordinaire d’enfanter des femmes, et dont ils ne sont pas pourvus. « La dévaluation de la femme représente une étape nécessaire dans l’histoire de l’humanité : car c’est non de sa valeur positive mais de la faiblesse de l’homme qu’elle tirait son prestige2. » Quels que soient l’époque et le lieu, la femme est objectivée, elle est un patrimoine, un héritage, une monnaie d’échange que les hommes ont possédé et asservi dans leur propre intérêt. Au Moyen-Âge, les femmes étaient la propriété de leur mari, au même titre que les terres et les autres biens matériels. Même lorsqu’en apparence des femmes ont eu davantage de liberté et de pouvoir, dans les faits elles n’avaient pas les moyens concrets de les exercer. Par défaut, le masculin constitue la norme, et le féminin est considéré comme un sous-genre, l’Autre qui n’est pas tout à fait un individu.
« La femme mariée est une esclave qu’il faut savoir mettre sur un trône3. » (Balzac)
Simone de Beauvoir parle beaucoup des concepts de transcendance et d’immanence que je vais essayer d’expliquer à ma manière : la transcendance est l’attitude visant à créer, à se dépasser, tandis que l’immanence est l’idée de maintenir la vie. De fait, l’un ne va pas sans l’autre pour pérenniser la vie, et le propos de Beauvoir consiste à dire que les femmes ont toujours été reléguées à l’immanence : tandis que les hommes cherchent à contrôler et conquérir le monde extérieur, par la guerre, la chasse, la pêche, les femmes sont vouées à tenir le foyer et à faire des enfants pour que la vie demeure.
« Chaque fois qu’elle se comporte en être humain on dit qu’elle imite le mâle4. »
Au cours de l’Histoire, des sciences comme la biologie et la psychanalyse (Freud…) ont cherché à légitimer l’infériorité féminine et l’oppression masculine. Pourquoi ? Parce que les sciences ont été forgées par les hommes qui n’ont pas d’intérêt à perdre leurs privilèges et à reconnaître l’intégrité des femmes.
En cherchant à justifier la domination masculine, la religion, particulièrement le christianisme, a donné à la femme un caractère démoniaque et impur. Il en va ainsi d’Ève ou de Pandore qui sont responsables de tous les maux de l’humanité.
Bien sûr, avant le XXe siècle, certaines rares femmes, comme celles qui ont participé à la « querelle des femmes » dont je vous parlerai bientôt, sont parvenues à se hisser au rang des hommes, mais cela restait des exceptions. Aujourd’hui encore, les femmes sont toujours circonscrites à certains domaines spécifiques, et lorsqu’elles commencent à acquérir du pouvoir ou de la renommée, le retour de bâton de la communauté masculine est très sévère (ce qui fera l’objet d’une prochaine chronique aussi).
« Les romans de chevalerie ne connaissent guère d’autre prouesse que la délivrance des princesses captives5. »
La troisième partie du volume 1, consacrée aux mythes, développe beaucoup des clichés associés aux femmes. Parmi ceux qui m’agaçaient dès le plus jeune âge, il y a celui de la princesse sauvée qui n’a d’autre fonction que d’applaudir les exploits du preux chevalier. Par l’admiration, la reconnaissance éternelle qu’elle éprouve, l’homme l’asservit plus étroitement, se perçoit comme un héros, rassure sa virilité et sa puissance.
« La femme est exclusivement définie dans son rapport à l’homme6. »
La femme, intimement associée à la nature, est de fait un objet éminemment poétique dans l’art et la littérature : tantôt associée à la faune, à la flore, aux pierres précieuses, elle est l’Autre mystérieux, la Muse qui nourrit le désir et la créativité des hommes. L’image de la prostituée attise aussi le désir, car c’est celle dont tous les hommes peuvent disposer, à n’importe quel moment. Cette femme-là s’oppose à l’épouse devenue inoffensive, à l’épouse mère qui remplit sa fonction reproductrice, à l’épouse d’apparat pour les relations extérieures, à l’épouse ménagère pour l’intérieur, à l’épouse dévorante qui isole le mari de sa vie transcendante et le retient captif telle une mente religieuse. La belle-mère est également une image terrifiante, car par sa laideur, sa vieillesse, elle préfigure ce que deviendra l’épouse âgée.
« Trésor, proie, jeu et risque, muse, guide, juge, médiatrice, miroir, la femme est l’Autre dans lequel le sujet se dépasse sans être limité, qui s’oppose à lui sans le nier ; elle est l’Autre qui se laisse annexer sans cesser d’être l’Autre. Et par là elle est si nécessaire à la joie de l’homme et à son triomphe qu’on peut dire que si elle n’existait pas, les hommes l’auraient inventée7. »
Mon avis
Après avoir lu quelques livres sur le féminisme, je me suis enfin décidée à ouvrir l’un des ouvrages les plus fondamentaux sur la question : Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir.
Certes, la lecture du volume 1 n’est pas toujours facile, voir peu digeste. Je me suis accrochée, car Simone de Beauvoir manipule des concepts philosophiques que je n’avais pas étudiés avant. Mais même si on ne comprend pas tout du premier coup, il me semble que cette lecture est essentielle à la compréhension du féminisme et de l’histoire du mouvement. En fait, Le Deuxième Sexe constitue pour moi un nœud d’informations à partir duquel je vais pouvoir tirer d’autres lectures. Ainsi, j’aimerais approfondir mes réflexions sur certaines périodes historiques, comme les suffragettes, et sur les questions éthiques soulevées par la prostitution et l’avortement. J’aimerais également comprendre pourquoi beaucoup de femmes ne sont PAS féministes !
Par ailleurs, Simone de Beauvoir choisit de ne parler que de l’histoire et de la situation des femmes occidentales, tout en glissant à la va-vite quelques assertions expéditives sur les femmes du Moyen-Orient et/ou musulmanes. En fin de compte, son propos aboutit quand même à universaliser la femme. Du coup, j’aimerais vraiment compléter cette lecture par des points de vue sur les femmes et les cultures orientales, car il y a une vraie lacune à ce sujet.
Il est vrai que la situation a beaucoup évolué depuis l’autorisation de la contraception et de l’IVG en France au cours du XXe siècle, car ces deux lois ont permis aux femmes de maîtriser leur corps et de s’émanciper de la tutelle masculine, mais ce n’est pas pour autant que les propos de Beauvoir m’ont paru datés. Même si les faits les plus aberrants et grossiers ont disparu (le droit de voter, d’étudier, de travailler…), il reste encore des comportements intolérables soutenus par un ensemble solide et invisible de préjugés et de croyances que Françoise Héritier s’efforçait de démontrer (voir la chronique de Masculin/Féminin 1).
Et vous, avez-vous lu Le Deuxième Sexe ? Avez-vous aimé ?
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1. Page 244. -2. Page 129. -3. Page 193. -4. Page 97. -5. Page 301. -6. Page 244. -7. Page 305.
Le Deuxième Sexe
Les faits et les mythes (volume 1)
Simone de Beauvoir
1986 pour la première édition de poche, 2018 pour la réimpression
Éditions Gallimard
Collection Folio essais
414 pages
10,50 euros
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8 commentaires -
Camel Joe
Claire Duplan
Éditions Rue de l’échiquier
2018
Merci aux éditions Rue de l’échiquier de m’avoir offert cet ouvrage !
La première bande-dessinée de Claire Duplan met en scène une jeune dessinatrice, Constance, qui crée le personnage de Camel Joe, une super héroïne qui s’attaque aux machos ! Certes, malgré un trait à la va-vite et une chronologie un peu confuse, j’ai aimé le fait de prendre confiance en soi et de se défendre face aux agressions ordinaires et malheureusement quotidiennes, et je suis persuadée que les prochains albums gagneront en puissance.
L’histoire
Camel Joe met en scène Constance, une jeune illustratrice freelance qui en a marre de se faire emmerder dans une société patriarcale. Entre deux missions freelance pour des dessins de publicités sexistes au possible, elle invente le personnage de Camel Joe, une super-héroïne qui utilise ses pouvoirs contre les hommes machos !
À travers les aventures de Camel Joe, Constance donne libre cours à ses fantasmes, et aussi aux nôtres : qu’aimerions-nous sincèrement répondre quand on se fait agresser dans la rue par un énième relou ? Sommes-nous si démunies que ça face à leur violence ?
Mon avis
Vous le savez, je lis peu de bandes-dessinées, mais la thématique féministe de celle-ci ne pouvait que m’intriguer.
Certes, j’apprécie l’écriture manuscrite très naturelle des bulles, ainsi que l’expression et la spontanéité du dessin, mais les dessins des silhouettes, des mains, des genoux, auraient pu être plus aboutis et plus soignés, d’autant plus que j’aime beaucoup la façon dont elle fait les visages. À vrai dire, je trouve dommage de dessiner un peu à la va-vite alors que l’œuvre, imprimée sur un bon papier, avec une couverture et des rabats super beaux, est vouée à durer dans le temps.
Concernant l’histoire, la démarche de Claire Duplan de créer l’image d’une femme forte qui tient tête au patriarcat est pertinente, dans la mesure où il est important d’avoir des modèles féministes, ancien·ne·s ou actuel·le·s, pour inspirer et élaborer collectivement notre culture féministe. Là, je pense clairement aux femmes fortes de la série Buffy contre les vampires qui ont peuplé mon imaginaire, mais qu’aucune autre héroïne n’a encore pu rivaliser. Ces figures héroïques nous encouragent à lutter contre la prétendue toute puissance masculine qui dominerait fatalement les femmes. Nous pouvons nous défendre, et nous le devons pour nous toutes.
Je n’ai pas toujours été emballée par l’humour de Claire Duplan, sans trop pouvoir définir pour quelles raisons (bon d’accord, j’ai trop ri avec l’extrait ci-dessus sur les règles !!). C’est un défi de faire rire du sexisme, et je suis sensible à des humours très particuliers, comme le cynisme ou l’absurde, tant qu’ils ont une dimension politique. L’histoire m’a aussi paru bancale et décousue, car il me semble qu’il y a un manque de clarté dans la chronologie, notamment lors de l’affaire de violences sexuelles à la Weinstein.
Ce passage, dans une mise en abîme intéressante, est au demeurant assez évocateur à plusieurs égards, car il réunit quelques-uns des fameux arguments anti-féministes souvent entendus et montre comment cette affaire a libéré la parole de certaines femmes.
J’ai apprécié le quotidien de Constance. D’abord, son métier d’illustratrice freelance en galère évoque forcément mes propres déboires en tant qu’éditrice freelance ; et ensuite ses confidences et ses coups de gueule avec ses amies, ses échanges et ses malentendus avec son copain. Comme elle, on se débat avec les préjugés sexistes, les différentes représentations de la féminité et nos convictions féministes parfois contradictoires. La bande-dessinée met par exemple en scène les aléas souvent cocasses liés aux injonctions de l’apparence (devoir prendre le temps de s’épiler, de « se faire belle ») et à la dictature du plaisir masculin (porter un pantalon moulant pour susciter le désir, mais ne pas avoir le sexe qui moule à travers — le fameux camel toe — pour ne pas être traitée de pute). Ainsi, l’héroïne dessinée par Constance revendique sa liberté mais s’approprie aussi pleinement les codes de la féminité, ceux-là mêmes que l’humanité masculine a forgés à son goût, au détriment des femmes.
Je me retrouve un peu dans cette femme de son temps, ordinaire mais politisée, probablement inspirée de la vie de la Claire Duplan elle-même, qui d’ailleurs ne manque pas d’autodérision. Alors, s’il est vrai que ce tout premier album quelque peu maladroit, et d’ailleurs préfacé par Pénélope Bagieu, ne m’a pas totalement plu, je suis persuadée que les prochains gagneront en maîtrise. Pour moi, c’est clairement une première œuvre chouette à découvrir qui demande à être nourrie et affinée, mais qui va m’inspirer pour le thème de ma soirée d’anniversaire des trente ans...
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Retour à Cayro et L'Histoire de Bone de Dorothy Allison
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Histoire d'Awu Justine Mintsa
Une femme à Berlin Anonyme
On ne naît pas grosse Gabrielle Deydier
Camel Joe
Claire Duplan
Préface en images de Pénélope Bagieu
Éditions Rue de l’échiquier
Collection Rue de l’échiquier BD
2018
120 pages
16,50 euros
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