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     Crépuscule du tourment Miano Bibliolingus

     

     

    Crépuscule du tourment

    Léonora Miano

    Éditions Grasset

    2016

     

    Un jour d’orage, probablement au Cameroun, quatre femmes intimement liées s’adressent à un seul homme. Ce roman a un procédé narratif puissant, des thèmes intimes, nécessaires, politiques et dérangeants autour de l’Afrique post-coloniale, mais si j’ai moins aimé son côté métaphysique et spirituel, il m’a fait découvrir l’œuvre passionnante de Léonora Miano.

    « À qui réclamer l’héritage que nos parents prirent soin de ne pas nous transmettre1 ? »

    Quelque part en Afrique subsaharienne, probablement au Cameroun, le temps d’une nuit orageuse, quatre femmes intimement liées s’adressent à un seul homme, Dio. Il y a sa mère, obsédée par l’honneur de la famille, qui dissimule ses souffrances sous une rigidité terrifiante ; sa sœur, qui face au couple improbable que forment ses parents, cherche sa propre voie ; son ex qui s’empare du passé de son peuple spolié par la colonisation ; sa fiancée, qui s’est enfermée dans la solitude.

    Mais Dio ne les entend pas ; il étouffe de fureur, de rancœur, de honte. Il rejette en bloc ses origines familiales bourgeoises, à commencer par son grand-père qui a collaboré pendant la colonisation, et par sa mère qui n’a pas quitté son père violent.

    « Tu cultives la rancœur. Tu fais partie de ces personnes qui viennent au monde munies de deux sacs : un pour les bienfaits de la vie, l’autre pour toutes les saloperies. Le premier étant troué, il ne contient rien, au bout de quelque temps. Le second, au contraire, a un fond renforcé, des coutures à toute épreuve. C’est celui-là que tu emportes, où que tu ailles2. »

    Mon avis

    Crépuscule du tourment aborde les thèmes propres à Léonora Miano, lesquels me plaisent beaucoup même s’ils sont dérangeants : la construction de son identité, de sa sexualité, à la fois à travers celle de ses parents, de ses origines, et celle de son peuple dépossédé par le colonialisme.

    Les personnages tout en contrastes de Léonora Miano, qui apparaissent des années plus tôt dans Tels des astres éteints, tentent de vivre malgré leurs blessures et celles de leurs parents. C’est Dio, brillamment dessiné en creux à travers les quatre récits des femmes, qui m’a intimement interpelée, et de nombreux passages ont raisonné en moi. La plupart d’entre nous porte les secrets familiaux que les parents s’évertuent à cacher, mais les enfants sentent beaucoup de choses, deviennent adultes et souffrent de ce qui leur est caché.

    Le colonialisme, la spoliation et l’humiliation séculaires, le rapport au Nord (essentiellement la France) sont aussi évoqués sans complaisance. Pour une Européenne comme moi, ça dérange, mais c’est important d’être face à son histoire coloniale. Avec Léonora Miano, je comprends combien nos contemporains africains peuvent encore souffrir des siècles d’exhérédation, que ce soit aux niveaux culturel, linguistique, spirituel et historique, et combien il peut être difficile de se construire avec des origines aussi troublées.

    Le procédé narratif est très bien amené. Chaque femme est incarnée par un style littéraire et des histoires qui s’entrecroisent, et brosse en profondeur le portrait de Dio. Mais si le procédé est intéressant, il a été choisi pour laisser la place à la métaphysique et à la spiritualité, ce qui n’est pas ma tasse de thé. J’ai trouvé le style pesant, dramatique, et j’ai été autant déstabilisée qu’intriguée par la manière dont elle se réapproprie les noms et les lieux : ainsi on parle du Continent pour l’Afrique, du Nord pour la France, de Per-Isis pour Paris, des Kémites pour le peuple africain, des leucodermes et des Babyloniens pour les Blancs…

    La lecture m’a plu, les problématiques autour de l’histoire de l’Afrique et de ses contemporains me paraissent essentiels, notamment par le point de vue, le combat, de Léonora Miano ; mais elle a été laborieuse, déstabilisante et pesante émotionnellement. Malgré la nécessité du combat que mène l’autrice, j’ai trouvé le tout trop métaphysique pour moi et le ton très dramatique. Mais ce livre marque pour moi le début d’une grande rencontre avec une auteure formidable : je suis en train de lire le reste de son œuvre et mon ressenti est vertigineux.

    De la même autrice

    L'Intérieur de la nuit

    Contours du jour qui vient

    Tels des astres éteints

    Les Aubes écarlates 

    Lisez aussi

    Littérature

    L’amour de nous-mêmes Erika Nomeni 

    Black Girl Zakiya Dalila Harris 

    Histoire d'Awu Justine Mintsa (Gabon)

    Petit pays Gaël Faye (Burundi et Rwanda)

    Americanah Chimamanda Ngozi Adichie (Nigeria)

    Beloved Toni Morrison

    Notre case est à Saint-Denis 93 Bouba Touré (Mali, Sénégal)

    Les Maquisards Hemley Boum (Cameroun)

    Voici venir les rêveurs Imbolo Mbue

    Une si longue lettre Mariama Bâ (Sénégal)

    Essais

    Nous sommes tous des féministes Chimamanda Ngozi Adichie

    Le Ventre des femmes Françoise Vergès

    Françafrique, la famille recomposée Association Survie

    Heineken en Afrique Olivier Van Beemen

    1. Page 258. -2. Page 71. 

    Crépuscule du tourment

    1. Melancholy

    Léonora Miano

    Éditions Grasset

    2016

    288 pages

    19 euros

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  • chroniques-zone-libre-bibliolingus

    Chroniques de la zone libre
    Des zad au maquis, fragments de l’imaginaire autonome

    Cosma Salé

    Le Passager clandestin

    2016

    Masse critique Babelio

     

    En un mot

    Cosma Salé témoigne de ce qu’est la vie dans les zones à défendre (zad) et les communautés autogérées. Un livre qui montre une forme de société anarchiste : à vitesse humaine, solidaire, écologique.

    « Vivre en zad, c’est se déclarer ingouvernable1. »

    Les zones à défendre (zad) sont des communautés dressées sur les grands projets inutiles et imposés (GPII, comme Notre-Dame-des-Landes, Sivens, le Larzac, Testet…) pour les empêcher de se construire. Au-delà du lieu à défendre, il s’y crée un véritable espace anarchiste, alternatif, écologique, qui concrétise l’utopie d’une société solidaire et à vitesse humaine.

    Cosma Salé vit depuis plusieurs années dans les zad et les communautés autogérées et il ne se voit plus vivre autrement. Cet ouvrage réunit des textes écrits durant ses voyages tissés de la mémoire collective et du bouche-à-oreilles. Les chapitres sont consacrés à des sujets en particulier : le voyage, la cabane comme lorsqu’on est un enfant de la campagne, les barricades, l’installation et la désinstallation d’un squat…

    Résider dans une zad ou dans une communauté, c’est imaginer une autre manière de vivre, vivre des moments hors du temps, hors de ce qui est quantifié, cloisonné, surveillé. Quand la propriété privée et l’Etat ont tout dévoré, il s’agit d’occuper l’inoccupé, mais aussi de faire un choix de vie différent des voies qui sont toutes tracées.

    À travers des anecdotes, Cosma Salé raconte la lutte, les stratégies pour défendre un lieu de façon créative, résister et survivre dans des milieux souvent inhospitaliers. Les communautés visent l’autonomie dans la construction et l’isolation de l’habitation, dans l’alimentation et l’énergie.

    Il évoque rapidement les galères inhérentes à toute vie en communauté, les violences policières, et notamment la mort de Rémi Fraisse, et le fait que casser devient nécessaire, car c’est le seul langage que comprennent les flics et les dominants.

    Rencontre avec le livre

    Tôt ou tard, j’aurais tenu ce livre entre mes mains, car les zad et les communautés m’intéressent beaucoup depuis quelque temps. Ce qui est curieux, c’est que le mot « anarchiste » n’est jamais écrit chez Cosma Salé, alors que ces initiatives en sont indiscutablement une concrétisation.

    Pour vivre comme Cosma Salé et les autres, il faut un goût certain pour la vie clandestine, l’aventure, l’intranquillité, l’imprévu, la conspiration. Il faut aussi une bonne dose de débrouille, d’ingéniosité, de savoir-vivre et aimer la campagne pour mener une vie entre sédentarité et nomadisme. Ce mode de vie me séduit certes beaucoup, mais d’une part j’ai pu voir sur le terrain que je n’avais pas ces qualités, étant foncièrement une citadine, et d’autre part j’aime trop le livre pour quitter mon métier.

    Cosma Salé considère que nous faisons partie de la « génération zéro » (on a le même âge), celle qui a connu les changements écologiques irréversibles (« avec nous, le déluge2 »), qui conduisent un certain nombre d’entre nous à se détourner des chemins dictés. On dit souvent qu’on n’aura pas de retraite. Mais comment envisage-t-il le moment où il sera trop vieux pour manier un outil et être actif au sein de la communauté ? C’est une question qui tourne en boucle dans ma tête.

    Peu d’écrits sont consacrés à ce sujet vital, mais cet ouvrage est trop court, trop elliptique pour assouvir ma soif de détails sur la vie quotidienne et sur ce qui a poussé à la « désertion ». Il est sans commune mesure avec le très gros livre-somme Constellations. Trajectoires révolutionnaires du 21e siècle qui m’apporte davantage de réponses (je vous en parle bientôt). Et bien sûr, rien ne vaudra d’aller voir par soi-même !

    Allez voir aussi

    Constellations. Trajectoires révolutionnaires du jeune 21e siècle Collectif Mauvaise Troupe

    Un job pour tous Christophe Deltombe

    Le petit livre noir des grands projets inutiles (non chroniqué) Camille

    Documentaire Notre Dame des luttes !

    Mes chers contemporains. Les flics (vidéo sur la répression policière)

     

    1. Page 49. -2. Page 152.

    Chroniques de la zone libre
    Des zad au maquis, fragments de l’imaginaire autonome
    Cosma Salé
    Le Passager clandestin
    2016
    160 pages
    15 euros

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