•  

    Les Maquisardsles maquisards hemley boum bibliolingus 

    Hemley Boum

    Éditions La Cheminante

    2016

     

    Entre saga familiale et histoire vraie, Les maquisards raconte la lutte pour l’indépendance du mouvement politique pacifiste l’Union des populations du Cameroun, porté par Ruben Um Nyobé, dans les années 1950. Un roman précieux pour sa valeur historique, son humanité et pour la voix qu’il donne à une femme africaine.

    « Pas une minute de ma vie je n’oublie
    ma responsabilité dans la mort des hommes
    et des femmes qui luttent pour libérer ce pays1. »

    Depuis plusieurs décennies, le Cameroun est sous la tutelle de la France et de la Grande-Bretagne, par mandat de la Société des nations, qui se sont engagés à amener le pays à l’indépendance. Mais il n’en est rien, les exactions des colons sont nombreuses : la spoliation des richesses, l’exploitation des enfants, les travaux forcés, les violences sexuelles…

    Au Cameroun dans les années 1950, l’Union des populations du Cameroun (UPC) conquiert l’adhésion du peuple colonisé. Le mouvement démocratique est porté par Ruben Um Nyobé, « Mpodol » (porte-parole) et son sens aigu de l’histoire, qui a su convaincre les populations, de village en village, de l’importance de la lutte pour la réunification des régions « françaises » et « britanniques » et pour l’indépendance. Le mouvement visait à conquérir le pouvoir par le vote, à se défendre sur le terrain de la législation de manière pacifique. Interdit par la France, le parti de l’UPC prend le maquis pour continuer la lutte, et c’est cette histoire, entre fiction et réalité, que raconte Hemley Boum.

    Mon avis

    Les Maquisards, roman de mémoire, s’essaie au délicat équilibre entre l’histoire de l’indépendance du Cameroun et une saga familiale sur plusieurs générations. J’aurais aimé que les faits politiques et militants aient davantage de place, mais l’humanité est racontée avec tant de passion que je me suis laissée emporter facilement.

    Chez Hemley Boum, les femmes ont une place essentielle : elles sont l’âme des villages. Partagées entre la tradition et leur émancipation, elles sont aussi victimes des abus des colons mais aussi des coutumes de leur propre peuple. Il y est aussi question d’amour impossible, de la complexité des relations familiales, de l’engagement politique, du « vivre ensemble », notamment autour de croyances différentes mais complémentaires (les croyances africaines et le christianisme), du colonialisme bâti pour des raisons économiques et légitimé par des prétextes racistes. J’ai toutefois ressenti un peu de manichéisme, entre le courage sans faille des militants (est-il idéalisé ?) et le personnage de Pierre Le Gall qui m’a semblé caricatural, cumulant tous les travers des colons (étaient-ils nombreux à être aussi affreux ?), mais je me trompe peut-être.

    Si j’ai trouvé que la chronologie était difficile à suivre et que l’usage des virgules était grammaticalement faux, il n’en reste pas moins que ce roman, publié par les très belles éditions indé La Cheminante, vaut carrément le détour, pour sa valeur historique qui m’a permis de mieux connaître ce pays, sa vitalité indéniable, et plus simplement parce qu’il a été écrit par une écrivaine africaine.

    J’ai aimé le format des éditions La Cheminante, la couverture, la mise en page et les compléments biographiques et lexicaux apportés à l’œuvre. Voilà aussi une maison d’édition qui suscite l’intérêt !

    Lisez aussi

    Littérature

    L’amour de nous-mêmes Erika Nomeni 

    L'Intérieur de la nuit Léonora Miano (Cameroun)

    Crépuscule du tourment

    Contours du jour qui vient

    Tels des astres éteints

    Les Aubes écarlates 

    L'Autre moitié du soleil Chimamanda Nogzi Adichie (guerre du Biafra, Nigéria)

    Histoire d'Awu Justine Mintsa (Gabon)

    Petit pays Gaël Faye (Burundi et Rwanda)

    Americanah Chimamanda Ngozi Adichie (Nigeria)

    Beloved Toni Morrison

    Notre case est à Saint-Denis 93 Bouba Touré (Mali, Sénégal)

    Voici venir les rêveurs Imbolo Mbue

    Une si longue lettre Mariama Bâ (Sénégal)

    Essais

    Le Ventre des femmes Françoise Vergès

    Françafrique, la famille recomposée Association Survie

    Heineken en Afrique Olivier Van Beemen

    Le rapport Brazza Mission Pierre Savorgnan de Brazza, Commission Lanessan 

    Décolonial Stéphane Dufoix

    Récits

    Tant que je serai noire Maya Angelou

    1. Page 61.

    Les Maquisards

    Hemley Boum

    Éditions La Cheminante

    2016 (2015 pour la première édition)

    392 pages

    22 euros

    Pour ne pas manquer les prochaines chroniques, inscrivez-vous à la newsletter !

    Partager via Gmail Pin It

    4 commentaires
  • Rentree litteraire 2015 Bibliolingusva et poste une sentinelle harper lee bibliolingus

     

    Va et poste une sentinelle

    Harper Lee

    Éditions Grasset

    2015

    La suite de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur (1960) a enfin paru en 2015 ! J’ai eu la chance de découvrir les deux ensemble mais promis, cette chronique est garantie sans spoil !

    « Je n’aime pas qu’on chamboule mon univers
    sans m’avertir, c’est tout1. »

    Écrit avant le célèbre Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, ce roman se déroule pourtant vingt ans après, lorsque Scout vit désormais à New York et rentre à Maycomb, sa petite ville d’Alabama, pour deux semaines de vacances.

    Scout retourne chez Atticus, son père droit et intransigeant qu’elle adore, l’oncle Jack un peu excentrique, la tante Alexandra aux mœurs rigides, et son amoureux (dont je tairai le nom).

    Entre les souvenirs d’enfance, les messes qui prônent la tolérance et les réunions entre femmes du quartier, Scout se sent de plus en plus en décalage avec sa ville natale. Elle ne veut pas être une femme « domestique » avec un foyer, un mari et des enfants, et le fait de vivre seule à New York a de quoi intriguer ou choquer ses camarades d’enfance, aux idées bien bornées, et qui n’ont jamais quitté Maycomb.

    Au début de son séjour, une affaire de racisme éclate lorsque le petit fils de Calpurnia, l’ancienne gouvernante de Scout, tue accidentellement un homme au volant d’une voiture sans avoir le permis. Incidemment, Scout se rend compte que quelque chose a changé à Maycomb ; ou bien c’est elle qui a changé en devenant adulte ? Ce qu’elle découvre au sein même de sa famille, et notamment sur son père, est bien pire encore.

    « À quarante-huit ans, Atticus s’était retrouvé seul avec deux jeunes enfants à charge et une cuisinière noire nommée Calpurnia. Rien ne laisse à penser qu’il se posa jamais de grandes questions, il fit de son mieux pour élever ses enfants et, à en juger par l’affection que ceux-ci lui portaient, il fit très bien : il n’était jamais trop fatigué pour jouer à la balle au prisonnier ; jamais trop occupé pour inventer des histoires merveilleuses ; jamais trop accaparé par ses propres soucis pour prêter l’oreille à un gros chagrin ; tous les soirs il leur lisait des histoires jusqu’à ce que sa voix le lâche2. »

    Rencontre avec le livre

    Va et poste une sentinelle souffrira toujours de la comparaison à Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur à l’immense succès. Certes, comme sa publication n’était pas prévue, il y a quelques répétitions sur les origines de Maycomb et des incohérences avec le premier livre (des erreurs sur l’âge de certains personnages, le fait que Tom Robinson soit acquitté, Mme Dubose qui est décédée…), et c’est parfois un peu confus (utilisation du « je » ou du « elle ») mais ce n’est pas grand chose. Le charme opère moins parce que le personnage a grandi ; la fraîcheur d’une Scout éveillée et maligne laisse place à une jeune adulte de 26 ans au franc-parler.

    Quand bien même, c’est un excellent roman qui se concentre sur les thèmes du racisme, sur la bigoterie et surtout sur l’émancipation. Concernant le racisme, les différents personnages évoquent longuement la déségrégation et la guerre de Sécession pour lesquelles des notes de bas de page plus instructives auraient été les bienvenues. Mais c’est avant tout l’histoire d’une jeune femme qui, en grandissant, doit s’extraire du giron de son père pour devenir adulte. La chute est vertigineuse lorsque Scout apprend des choses peu reluisantes sur sa famille, et sur son père qui finalement a des failles, comme tout un chacun. J’ai adoré cet élément central de l’histoire, pour la simple raison que j’en passe aussi par là.

    Tout comme Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, ce roman a ses parts d’ombre et de mystère (quel métier exerce Scout à New York ?) qui lui confère une attraction rare. Roman moins « total » que l’autre, il est tout de même excellent et les thèmes qui y sont abordés me sont chers et intimes.

    « Elle n’était pas seule au monde, mais ce qui la soutenait véritablement, la force morale la plus puissante de toute son existence, c’était l’amour de son père. Elle n’avait jamais douté de cet amour, elle n’y avait jamais réfléchi, elle ne s’était même jamais rendu compte que, chaque fois qu’il lui fallait prendre une décision importante, la question réflexe « Que ferait Atticus ? » lui traversait l’esprit sans qu’elle en eût conscience ; elle ne s’était jamais rendu compte que ce qui la faisait tenir debout et tenir bon face à l’adversité, c’était son père ; que tout ce qu’il y avait de noble et de louable dans son caractère, c’était à son père qu’elle le devait ; elle ne savait pas qu’elle le vénérait3. »

    De la même autrice

    Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur Harper Lee

    Lisez aussi

    Mon histoire Rosa Parks

    À jeter aux chiens Dorothy B. Hughes 

    Beloved Toni Morrison

    L'Œil le plus bleu Toni Morrison

    Americanah Chimamanda Ngozi Adichie

    Voici venir les rêveurs Imbolo Mbue

    L'Histoire de Bone Dorothy Allison

    L’amour de nous-mêmes Erika Nomeni 

     

    1. Page 94. -2. Page 140. -3. Page 143.

     

    Va et poste une sentinelle
    (titre original : Go Set A Watchman)
    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Demarty
    Harper Lee
    Éditions Grasset
    2015
    336 pages
    20,90 euros

    Partager via Gmail Pin It

    1 commentaire