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    Black Girl

    Zakiya Dalila Harris

    Éditions Calmann-Lévy

    2022

    Black Girl, le premier roman de Zakiya Dalila Harris, est dévorant et surprenant. Il opère un vrai tour de force en utilisant les ressorts de deux genres littéraires populaires, habituellement dévalorisés par les péteux·ses de l’édition, pour en faire quelque chose de subversive. Laissez-vous embarquer dans l’histoire de Nella Rogers, une jeune assistante d’édition états-unienne…

    « Je veux être éditrice. Combien y a-t-il de jeunes éditrices noires ? Aucune1. »

    Nella Rogers, 26 ans, est assistante d’édition chez Wagner Books, à Manhattan (New-York). Depuis son embauche deux ans auparavant, elle est la seule salariée noire du service éditorial : les seules autres personnes racisées travaillent à l’accueil et au courrier. 

    Nella se sent bien seule et subit au quotidien des micro-agressions en tant que personne noire, mais elle ne les dénonce pas toujours car elle veut absolument travailler dans l’édition et devenir elle-même éditrice, c’est-à-dire choisir les textes qui seront publiés et lus, et même ceux qui seront écrits.

    Nella sait qu’elle doit travailler deux fois plus dur que les personnes blanches pour espérer accéder aux postes de pouvoir. Chaque jour, elle doit composer avec des collègues blanc·hes qui peuvent se montrer au mieux maladroit·es, au pire racistes. 

    « Ce métier a besoin de plus d’éditeurs noirs, de plus de mentors noirs… cette société a besoin de plus de Noirs partout2. »

    Nella a tout de même initié un mouvement autour de la question raciale au sein de l’équipe : grâce à elle, le service des « ressources humaines » a organisé un cycle de réunions sur la « diversité ». Mais très vite, Nella a déchanté : pour ses collègues blanc·hes, la question raciale est visiblement un tabou, et la « diversité » a vite bifurqué sur des questions plus triviales. Iels ont parlé de l’âgisme, des gaucher·ères, des dyslexiques, et même des hypermétropes ! 

    Seulement, la diversité concerne aussi les auteurices et les livres eux-mêmes. Les auteurices sont majoritairement des hommes blancs bourgeois d’un certain âge : leur point de vue situé, leur vécu, sont loin d’être neutres et représentatifs d’une majorité de la population. Quant aux personnages, il ne suffit pas d’y faire figurer une personne racisée pour créer une œuvre inclusive. Tout personnage, quel qu’il soit, doit avoir son propre arc narratif, sa singularité, hors des clichés. La diversité n’est pas juste une case à cocher ! C’est pour cette raison que les maisons d’édition états-uniennes font de plus en plus appel à des sensitivity readers : ce sont des lecteurices qui accompagnent des auteurices pour élaborer des personnages ayant un point de vue différent (celui d’une personne racisée, de l’autochtone, de la personne handicapée, etc.) et pour éliminer les propos racistes, sexistes, LGBT-phobes.

    « Tu as habitué ces Blancs chez Wagner. Pendant deux années entières, tu les as préparés à ne pas dire de conneries dans les réunions3. »

    La situation de Nella est amenée à changer lorsqu’elle découvre que Hazel, une deuxième assistante d’édition noire, a été recrutée. Malgré son manque de confiance en elle et sa peur d’être taxée de communautarisme, Nella voit en Hazel son alliée, avec qui elle pourra partager le fardeau de la charge raciale au sein d’une équipe exclusivement blanche. Entre femmes noires, on doit être sororales et se serrer les coudes !

    Seulement, Hazel, qui brille par son assurance, son look vestimentaire incroyable, ses dreadlocks magnifiques, commence à adopter un comportement étrange…

    Mon avis

    J’ai lu ce roman dans le cadre de la lecture commune proposée par la youtubeuse Jeannot se livre en mai. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que je l’ai dévoré !

    D’abord, il parle de mon milieu professionnel. J’ai savouré les échanges autour des manuscrits, les rencontres avec les auteurices qu’il faut ménager, ainsi que les réunions sur les choix des couvertures, même si l’édition anglophone est un marché beaucoup plus grand que celui de la francophonie. Les tirages sont beaucoup plus importants, et les enjeux commerciaux et intellectuels tout autant ! 

    Cependant, l’édition française rencontre les mêmes problématiques, elle est blanche, sexiste et bourgeoise : les postes de direction et de représentation sont majoritairement occupés par des hommes, tandis que les travaux invisibles, ingrats et précaires (coucou les correcteurices !) reviennent aux femmes. 

    On gagnerait en France à interroger nos pratiques, car notre pouvoir est énorme : qui décide des livres que vous allez acheter, emprunter, aimer ou détester ? Les maisons d’édition, les librairies, les bibliothèques, les diffuseurs-distributeurs, les journalistes et les blogueur·ses/bookstagrameur·ses agissent sur les opinions, les modes de pensée et les luttes. Les livres ont le pouvoir d’infuser des idées dans la société. Depuis 2012, ces questions innervent Bibliolingus, et j’avais même consacré un article à la bibliodiversité.

    Ensuite, Black Girl est un vrai tour de force, car il utilise les ressorts classiques de la chick-lit et du thriller (deux genres populaires, accessibles et communément dévalorisés par les péteux·ses de l’édition), au profit d’une lecture profonde et subversive. Tu pensais lire l’histoire classique d’une jeune working girl qui raconte son ascension professionnelle et ses déboires autour de sa vie sentimentale et de ses cheveux afro avec humour ? Te voilà embarqué·e malgré toi dans des enjeux qui vont bien au-delà de ce que tu imaginais au départ…

    Lisez aussi

    Americanah Chimamanda Ngozi Adichie (cheveux afro, racisme afro-états-uniens et africain)

    Utopies féministes sur nos écrans Pauline Le Gall (représentations de la diversité et pouvoir de l’amitié entre femmes)

    L’Amour de nous-mêmes Erika Nomeni (black love et point de vue situé d’une femme noire, grosse et lesbienne)

    Amours silenciées. Repenser la révolution amoureuse depuis les marges Christelle Murhula (les femmes noires sur « le marché de l’amour »)

    Beloved et L’Œil le plus bleu Toni Morrison (esclavage)

    Retour dans l’œil du cyclone James Baldwin (racisme et LGBT)

    Correcteurs et correctrices. Entre prestige et précarité Guillaume Goutte (mon métier)

    Des femmes et du style Azélie Fayolle (feminist gaze et écriture féministe)

    Tirons la langue Davy Borde (le pouvoir des mots sur la représentation du monde)

    Décolonial Stéphane Dufoix (universalisme et point de vue situé dans la recherche)

    « Arrête-toi ! » Makan Kebe (témoignage de violences policières racistes)

    La Domination policière Mathieu Rigouste (panorama des violences policières racistes)

    Et aussi

    Voici venir les rêveurs Imbolo Mbue

    Mon histoire Rosa Parks

    Assata, une autobiographie Assata Shakur

    L'Intérieur de la nuit Léonora Miano

    Tels des astres éteints Léonora Miano

    Crépuscule du tourment Léonora Miano

    Les Aubes écarlates Léonora Miano

    Le Ventre des femmes Françoise Vergès

    À jeter aux chiens Dorothy B. Hughes  

    Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur Harper Lee

    La Force de l’ordre Didier Fassin

    1. Page 204. -2. Page 59. -3. Page 123.

    Black Girl

    (The Other Black Girl)

     traduit de l’anglais (États-Unis) par Maureen Douabou

    Zakiya Dalila Harris

    Editions Calmann-Lévy

    2022

    384 pages

    21,50 euros

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 1er Juin 2023 à 15:16
    Alex-Mot-à-Mots

    Il va donc plus loin que la chick-litt et le thriller.

      • Lundi 3 Juillet 2023 à 12:00

        Coucou ! Désolée pour l'absence de réponse (déménagement) ! Ce n'est ni tout à fait l'un, ni tout à fait l'autre : entre les deux, effectivement !

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