• reves de garcons laura kasischke bibliolingus

    Rêves de garçons

    Laura Kasischke

    Éditions Christian Bourgois

    2007

     

     

    Trois cheerleaders de 17 ans qui s’échappent quelques heures de leur camp d’entraînement estival croisent le regard de deux jeunes garçons à bord de leur vieux break. Dans Rêves de garçons, l’atmosphère malsaine et macabre très réussie de ce thriller psychologique dépeint la pression sociale, la quête de la perfection qui régissent l’univers de ces jeunes filles.

    « Quand vous êtes dans les bois, ne quittez le chemin sous aucun prétexte1. »

    A la fin des années 1970 aux Etats-Unis, trois cheerleaders filent à bord d’une Mustang rouge flamboyante. Kristy, Desiree et Kristi bis s’échappent le temps d’une journée de leur camp d’entraînement de pom-pom girls pour se baigner dans le lac des Amants. Toutes trois issues de familles aisées ont été envoyées dans ce camp pour parfaire les techniques que doivent maîtriser les pom-pom girls pour faire vibrer les supporters. Elles ont 17 ans, elles sont belles, insouciantes, sûres d’elles et se sentent invincibles.

    Racontée par Kristy, cette journée qui s’annonce radieuse vire à l’étrange lorsqu’elles croisent le regard de deux ados dans leur vieux break à la station-service.

    Mon avis

    Chez Laura Kasischke, l’atmosphère s’appuie sur l’imaginaire collectif et souvent cinématographique, pour faire naître l’étrange et le macabre. Dans le roman Rêves de garçons, dominé par le chant entêtant des cigales et la chaleur étouffante de l’été, on pénètre dans l’univers maintes fois vu des adolescentes populaires, riches et pom-pom girls, pour le voir se transformer en une histoire d’horreur qui se raconte autour d’un feu de camp.

    L’histoire est simple, prenante mais efficace. La tension est constante, même si au final la narration est très ramassée dans le temps et l’action très lente. Si les dernières pages ne m’ont pas autant convaincue que celles du magistral Esprit d’hiver publié quelques années plus tard, j’ai beaucoup aimé Rêves de garçons. Dès le début, Laura Kasischke parvient à évoquer un sentiment de danger à travers la distillation d’éléments, comme la persistance du champ lexical du macabre, les odeurs fétides qui entourent les souvenirs de Kristy, les rengaines morbides et animales (le lapin qui agonise, le porte-clés en patte de lapin douce et écœurante, le fœtus de porc à disséquer en cours, la viande fade et dégoûtante). C’est ce sens du détail qui m’a tenu en haleine et qui m’a fait relire de nombreux passages pour être certaine de ne rien manquer, un peu comme si je menais moi-même l’enquête.

    Au-delà de l’histoire, j’ai beaucoup aimé le background, car l’autrice montre une certaine vision de l’Amérique blanche, individualiste et patriotique des années 1970. Laura Kasischke retranscrit bien l’état d’esprit que l’on a à 17 ans, et elle raconte la pression sociale que subissent, inconsciemment ou non, les jeunes filles : elles se doivent d’être toujours parfaites, belles et souriantes en toutes circonstances, bonnes élèves et prudentes en amour. Leur univers est peuplé d’interdits et d’injonctions, et ces jeunes cheerleaders des milieux aisés apprennent à contrôler les apparences et leur vie comme elles mèneraient une carrière professionnelle. Ainsi, Kristy apparaît comme une personne brillante mais aussi froide. C’est à mon avis ce qui donne davantage de vigueur et de plaisir à la lecture de ce thriller psychologique a priori simple et convenu. Je l’ai savouré, et je l’ai même fait durer pour en profiter plus longtemps !

    « Les filles, disait-elle, faire du cheerleading c’est comme travailler dans les relations publiques. Non seulement vous devez vous entendre avec vos partenaires, mais vous devez aussi montrer à l’équipe, aux officiels, au public et à la communauté que vous avez l’esprit d’équipe, que vous êtes le genre de personne sur qui on peut toujours compter. […] Vous devez ressembler à cette fille pleine de charme qui en impose sans être trop autoritaire, celle qui se fait rapidement des amis et qui, même de mauvaise humeur, garde le sourire. Une pom-pom girl se doit d’être parfaite2. »

    De la même autrice

    Esprit d'hiver

    A suspicious river

     

    1. Page 79. -2. Page 236.

    Rêves de garçons

    Boy heaven, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy

    Laura Kasischke

    Editions Le Livre de poche

    2009

    256 pages

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    4 commentaires
  • effondrement jared diamond bibliolingus blog livreEffondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie

    Jared Diamond

    Éditions Gallimard

    2006

     

    En un mot

    Dommages écologiques, pression démographique, besoins économiques et énergétiques en constante augmentation… Comment nos sociétés, à l’heure de la mondialisation, pourront-elles survivre ? Jared Diamond s’appuie sur l’étude passionnante, qui se lit comme un polar, de sociétés anciennes et contemporaines pour expliquer que l’effondrement de nos sociétés n’est pas inéluctable, mais qu’il dépend de la manière dont nous anticipons (ou non !) les problèmes. Cet ouvrage monumental et courageux, paru en 2006, est depuis une référence dans les milieux écologistes.

    « Que se dirent les habitants de l’île de Pâques au moment même où ils abattirent le dernier arbre de leur île1 ? »

    Dans cet ouvrage monumental et passionnant, Jared Diamond observe que les dommages écologiques ne sont en aucun cas les seuls responsables de l’effondrement d’une société. Cinq facteurs entrent potentiellement en jeu dans l’effondrement d’une société : les dommages environnementaux (la déforestation, l’érosion des sols) ; un changement climatique (comme une éruption volcanique qui refroidit durablement la planète) ; des voisins hostiles ; des rapports de dépendance avec des partenaires commerciaux ; et enfin le plus décisif, la manière dont la société perçoit, anticipe et règle ces problèmes.

    Pour bâtir cette grille d’analyse et tirer des conclusions, l’auteur s’est appuyé sur une étude comparative à travers le temps et l’espace : les sociétés éteintes, comme les habitant·e·s de l’île de Pâques, les Vikings du Groenland, les Mayas en Amérique du Sud, les Anasazis en Amérique du Nord ; et les sociétés contemporaines comme l’Australie, victime d’une érosion des sols galopantes, le Japon qui est couvert à 80 % de forêts, le Rwanda et Haïti qui subissent une forte pression démographique, la Chine, la Nouvelle-Guinée…

    Jared Diamond montre que l’effondrement d’une société n’est pas inéluctable, car tous ces peuples eurent à relever un même défi, vivre dans des environnements particulièrement fragiles et difficiles, mais que certaines sociétés se sont éteintes tandis que d’autres ont traversé les époques. Chaque société ne résout pas les problèmes de la même façon ; cela dépend de son organisation sociale, de ses institutions, de son histoire.

    Rencontre avec le livre

    J’ai dévoré Effondrement de Jared Diamond, qui malgré ses 900 pages en poche se lit comme un polar ! Parmi les différentes études, mes préférées sont celles sur les Vikings du Groenland qui n’ont pas voulu s’inspirer des Inuits pour survivre, et sur l’île de Pâques. Comment les Pascuan·e·s ont-il·elle·s pu ériger les immenses statues sans grues ni animaux de trait ? Comment survivre tant de siècles sur une île si petite et si éloignée de tout ?

    J’ai découvert comment les paléontologues, les archéologues, les climatologues font pour connaître l’histoire d’une région, notamment grâce à la datation des matériaux. Les dépotoirs des humain·e·s et des animaux, qui permettent de remonter jusqu’à 40 000 ans si le climat est sec comme au sud-ouest des États-Unis, sont par exemple une source précieuse d’informations.

    Tout au long de l’ouvrage, j’ai observé la réaction en chaîne que provoque l’activité humaine sur les écosystèmes. La déforestation détruit les habitats des animaux et dérègle le cycle de l’eau, les rejets des usines et des mines d’extraction polluent les sols et les nappes phréatiques et réduit les quantités d’eau douce. L’introduction d’espèces allogènes, comme les lapins en Australie, peut être réellement dévastatrice. Les dommages peuvent être non seulement irrémédiables pour la terre et les générations présentes et futures, mais absurdement coûteux pour les contribuables.

    J’ai appris des choses passionnantes, comme le fait que le feu de forêt est profitable à l’écosystème. La forêt, de par les essences et l’âge du bois et la composition du sol, se recompose après l’incendie. Or, l’activité humaine, comme l’introduction de moutons dans les forêts dans le cas du Montana, ou l’extinction systématique du moindre départ de feu, contribue à déséquilibrer l’écosystème qui ne parvient plus à se défendre et se reconstituer naturellement. La forêt produit ce qu’on appelle des services d’écosystèmes (habitat pour les animaux, étape essentielle à la production des pluies…).

    Quand les signes de déforestation, d’érosion des sols deviennent inquiétants au regard d’une population trop nombreuse et affamée, quelles solutions sont mises en place ? L’éventail des réponses apportées par les différentes sociétés est large : gestion des forêts, amélioration de l’agriculture, mais aussi migrations, avortement, infanticide, cannibalisme (même si les archéologues ont du mal à l’admettre). Pourquoi certains peuples ont-ils privilégié l’enrichissement et la guerre plutôt que régler les problèmes de fond ? Pourquoi certaines sociétés prennent-elles des décisions catastrophiques ? J'aurais toutefois aimé que l'auteur parle de la suppression des élevages comme réponse écologique efficace.

    Voilà un ouvrage passionnant, instructif sur plein de pays et dérangeant. Il me semble que notre société mondialisée et instable, dont tous les pays, riches et pauvres, sont interdépendants, est en train d’aller droit dans le mur en continuant de faire comme si de rien n’était, alors que tous les signaux sont au rouge. Mais, si les gouvernements, les multinationales et certaines ONG distillent du greenwashing pour laver leur conscience et s’approprier les biens communs, les citoyen·ne·s s’organisent pour diminuer leur empreinte écologique et insuffler davantage de justice sociale. L’auteur avance que les problèmes seront réglés du temps de nos enfants, que ce soit de manière organisée si nous les prenons à bras-le-corps, ou de manière violente si nous gardons nos œillères.

    Lisez aussi

    Penser par soi-même Harald Welzer

    Décroissance. Vocabulaire pour une nouvelle ère Collectif

    Les Moissons du futur Marie-Monique Robin 

    Monde sans oiseaux Karin Serres

    Petit pays Gaël Faye (Burundi et Rwanda)

    L'homme qui savait la langue des serpents Andrus Kivirähk 

    Regardez aussi

    Sa conférence TED

     

    1. Page 49.

    Effondrement.
    Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie

    (Collapse, titre original)

    Jared Diamond

    Trad. de l'anglais (États-Unis) par Agnès Botz et Jean-Luc Fidel

    Éditions Gallimard

    Collection Folio essais

    2009

    896 pages

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  • sur le dos anahita ettehadi bibliolingus blog livre

    Sur le dos de la main gauche

    Anahita Ettehadi

    Éditions Le Muscadier

    2017

     

    « Regarde Alison, comme elle est féminine ! Ne t’étonne pas si tu n’as toujours pas de petit ami1. »

    Publié par les éditions du Muscadier, Sur le dos de la main gauche est un recueil de 7 nouvelles très courtes, en mode Short édition, chacune d’une longueur de 10 à 15 pages, qui ramassent en quelques mots une histoire, et parviennent à sous-entendre une anomalie, un vice, une souffrance. Les thèmes abordés, plutôt orientés vers les adolescentes, sont l’estime de soi, la différence, la sexualité, l’absence du père.

    L’exercice de la nouvelle est très difficile en soi, et je trouve que Anahita Ettehadi s’en tire très bien. J’aime le côté fugace, fulgurant des histoires, et les fortes contraintes qui définissent ce genre. Dans ce recueil, le cadre est mis en place de manière efficace et la chute est le dernier élément qui vient coiffer cruellement ou tristement l’histoire (une remarque, un coup de fil…). J’ai particulièrement aimé la première nouvelle, « La Robe », qui m’est restée en mémoire bien après avoir refermé le recueil. Toutefois, les textes m’ont paru trop courts pour bâtir une atmosphère dont le souvenir reste dans le temps. Cela ne tient pas tant à la qualité des textes qu’à l’exercice de style. Un·e adolescent·e qui lit peu sera probablement sensible à ces instants à la fois ordinaires et cruciaux dans la vie d’une jeune personne, mais le·a grand·e lect·eur·rice restera certainement sur sa faim !

    Lisez aussi

    Dysfonctionnelle, Axl Cendres

    Les Mains dans la terre, Cathy Ytak

    Zone 2, Mary Aulnes

     

    1. Page 12.

    Sur le dos de la main gauche
    Anahita Ettehadi
    Éditions Le Muscadier qui m'ont offert l'ouvrage
    2017
    98 pages
    9,50 euros

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    2 commentaires



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