• Mes trompes, mon choix ! ≡ Laurène Levy

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    Mes trompes, mon choix !

    Laurène Levy

    Le passager clandestin

    2023


    Avec Mes trompes, mon choix !, Laurène Levy, journaliste spécialisée en santé,  s’intéresse à la stérilisation volontaire comme méthode de contraception émancipatrice. La stérilisation est légale depuis 2001, pourtant elle reste taboue et difficile à obtenir, surtout pour les femmes. Pourquoi la stérilisation a-t-elle si mauvaise réputation ? Pourquoi le corps médical se montre-t-il réticent et violent ? En quoi peut-elle être au contraire un outil d’émancipation ? Voilà un ouvrage documenté et utile pour s’informer, et qui m’a particulièrement intéressée dans la mesure où j’ai su très jeune que je ne voulais pas être mère.

    « Si une femme de 50 ans est forcément passée à côté de sa vie si elle n’est pas mère, un homme de 50 ans qui n’est pas père a sûrement réussi sa vie autrement1. »

    « Pourquoi tu ne veux pas d’enfant ? »  

    « T’es jeune, tu changeras d’avis ! »

    « Tu vas le regretter, ton horloge biologique tourne ! » 

    « T’as pas encore rencontré la bonne personne pour faire des enfants ! » 

    « T’as un problème à régler avec tes parents : va voir un·e psy ! » 

    « Pense aux femmes qui sont stériles ! » 

    Lorsqu’on dit qu’on ne veut pas d’enfant, les questions, les jugements, l’incompréhension et le mépris fusent. Mais demande-t-on aux personnes qui ont des enfants de justifier leur choix ? Leur demande-t-on si elles le regrettent ? Les ventres des femmes sont-ils interchangeables ? Vu les enjeux de la parentalité, il y aurait pourtant beaucoup de questions à se poser ! Et vu l’impact de la grossesse et de la parentalité sur la vie des femmes, les questions sont tout à fait légitimes !

    Nous serions environ 5 % de personnes en France à ne pas vouloir d’enfant. Les raisons sont multiples et propres à chacune, mais voici les miennes, qui se sont accumulées depuis 20 ans.

    Dans notre société qui a érigé la « famille nucléaire » en modèle et le travail comme valeur centrale, élever un enfant est aussi bien un défi qu’un sacrifice. S’occuper d’un être fragile et dépendant durant de longues années est une énorme charge mentale et physique, et une source incommensurable d’angoisses. Or, ma vie est déjà bien remplie, je ne veux pas sacrifier mon sommeil, mon temps de lecture, d’écriture, de militantisme, de sport, et la vie sociale que j’ai choisie.

    Avoir un·e enfant, c’est me semble-t-il une manière très frontale d’entrer dans le système capitaliste et consumériste. On consomme beaucoup, on dépense beaucoup, on calcule beaucoup (et avec quel argent ??). On se plie à des horaires particulièrement stressants, à des contraintes et des exigences qui relèvent de l’acrobatie. À moins de vivre dans une communauté ou dans une famille élargie, on entre dans le système de garde d’enfant, des rythmes scolaires (la rentrée des classes, les vacances qui justifient la hausse des prix des trains et des locations), du cycle des fêtes (les cadeaux de Noël, les fêtes des mères et des pères, les spectacles de fin d’année…). En fait, le système nous force perpétuellement à jongler entre la vie professionnelle, la vie personnelle et la vie de famille, à gratter de maigres interstices pour passer du temps en famille, les week-ends et les soirs en semaine. Et je ne veux pas de cette vie-là !

    Avoir un·e enfant, c’est donner la vie à un être humain qui sera, malgré tous nos efforts, formaté par la société capitaliste, écocidaire, raciste, spéciste, validiste. Après l’inévitable formatage du système scolaire et de l’entourage, cet·te enfant deviendra un·e adulte précaire et prolétaire qui devra trimer toute sa vie pour survivre, iel devra vendre sa force de travail pour payer son loyer et assurer ses besoins vitaux. C’est un être humain qui, vraisemblablement, manquera d’eau et de nourriture dans les décennies à venir. Et je ne veux pas infliger ça à qui que ce soit.

    Avoir un·e enfant dans un couple hétéro, c’est consolider le sexisme et le patriarcat. Même si l’on est en couple avec une personne éveillée à ces problématiques, la pression sociale, le poids de la charge mentale et de l’éducation genrée sont très fortes. On est irrémédiablement réduites, à un moment ou un autre, à un rôle de mère.

    Il y a 20 ans, je n’avais pas de modèle de personne ayant décidé de ne pas avoir d’enfant. Mais qu’importe si je suis la seule femme âgée et sans enfant de mon entourage. Je serai mon propre modèle ! Et jusqu’à présent, j’ai été bien entourée, car mon choix, qui est l’un des premiers choix conscients de ma vie, le plus profond, le plus sincère, le plus évident, a rarement été mis en cause.

    « La décision de ne pas avoir d’enfant n’est jamais considérée comme définitive dans notre société2. »

    Laurène Levy, qui est aussi « libre d’enfant » par choix, dresse un état des lieux de la stérilisation : en France, la stérilisation volontaire ne concerne que 4,1 % des femmes et des hommes transgenres (stérilisation tubaire) et 0,8 % des hommes et des femmes transgenres non opérées (vasectomie). En fait, la stérilisation est rarement proposée parmi les différents moyens de contraception. L’autrice parle d’une « norme contraceptive » française : au début de la vie sexuelle, on nous conseille plutôt les préservatifs, puis, lorsqu’on se met en couple hétérosexuel monogame, on nous dirige vers la pilule, puis vers le DIU (dispositif intra-utérin) ou l’implant contraceptif. 

    Mais peu d’info sur la stérilisation ! Pourtant, depuis 2001, toute personne majeure peut y avoir recours, même si elle n’a jamais eu d’enfant. Pour les femmes en particulier, obtenir la stérilisation volontaire relève d’un parcours de la combattante ! Car nombreux·ses sont les soignant·es qui se montrent réticent·es à informer les patientes sur ce moyen de contraception et à y procéder. Il s’agit donc de violences gynécologiques, parmi toutes celles qu’on retrouve dans Le Chœur des femmes de Martin Winckler.

    Mais pourquoi la stérilisation volontaire est-elle si mal vue, surtout chez les femmes ?

    « L’utérus n’est pas là par hasard, il n’est pas là pour être vacant, au boulot mesdames3. »

    Ainsi que le dit Françoise Héritier, la maternité a longtemps été notre seule fonction, la seule raison de notre existence. Dans la société française marquée par la misogynie de Napoléon Bonaparte, et plus récemment par les politiques pronatalistes du début du XXe siècle, les femmes doivent en effet devenir mères pour être accomplies. Dans l’entre-deux-guerres et après la seconde guerre mondiale, les familles ont reçu pléthore d’aides financières pour encourager la procréation et repeupler le pays de sa main-d’œuvre et de sa chair à canon.

    Le poids de la religion catholique est aussi très prégnant : tout comme la contraception, la stérilisation volontaire tend à rendre impossible la procréation, ce qui est une violation de la loi morale. Toute entrave à la transmission de la vie a longtemps constitué un crime.

    « Accepter qu’une femme choisisse la stérilisation comme contraception, c’est accepter qu’elle se dissocie volontairement de sa fonction reproductrice. C’est accepter qu’une femme qui a enfanté décide à un moment de sa vie qu’elle ne veut plus porter d’enfant. C’est aussi accepter qu’une femme existe par elle-même, à part entière, avec ou sans enfant. C’est, enfin, mettre au terme au symbolisme qui associe encore et toujours la femme et la mère. Et ne plus condamner celles qui choisissent un autre chemin que celui de la maternité4. »

    « Chaque fois qu’il y a un contrôle de la population, cela conduit à des violences contre le corps des femmes5 » (Kavitha Krishnan, militante féministe)

    À l’échelle mondiale, la stérilisation est plus répandue, mais elle est aussi souvent forcée. À travers l’histoire et les pays, la stérilisation a été un outil de contrôle des populations, en particulier des populations racisées et colonisées. On pense d’emblée à l’eugénisme durant l’Allemagne nazie qui a procédé à la stérilisation forcée des personnes atteintes d’un handicap physique ou mental, des délinquant·es, des homosexuel·les, des tsiganes, des juif·ves… Des campagnes de stérilisation massives ont été mises en place en Inde, au Canada sur les autochtones, ainsi qu’en Chine avec la politique de l’enfant unique et la stérilisation des Ouighour·es (qualifiée de « génocide démographique6 » par Adrian Zenz)… 

    Des politiques malthusiennes ont aussi été mises en place dans les territoires français colonisés : je vous invite à lire Le Ventre des femmes de Françoise Vergès sur la stérilisation forcée des femmes réunionnaises dans les années 1960 et 1970. Et jusqu’en 2016, les personnes transgenres devaient se faire stériliser pour obtenir le changement de leur identité administrative…

    « Que ce soit en Inde, en Chine ou au Pérou, on remarque toujours une dissymétrie entre les stérilisations forcées masculines et féminines. Globalement, les femmes ont payé un plus lourd tribut que les hommes en matière de stérilisations coercitives. Elles sont dans la majorité des cas les principales victimes de ces actes forcés. Pourquoi ? Parce que les femmes sont considérées comme des sujets à risque puisque ce sont elles qui tombent enceintes. Et qu’il était “simple», au détour d’un avortement ou d’un accouchement par césarienne, de ligaturer les trompes le plus souvent à l’insu des principales concernées, souvent pauvres, souvent issues de minorités ethniques7. »

    Mon avis : « Un enfant si je veux, quand je veux ! »

    Mes trompes, mon choix !, écrit par Laurène Levy et édité par les éditions indépendantes le passager clandestin, est un ouvrage important, car le droit à la contraception est sans cesse remis en question, dans le monde entier. Comme toujours, les ouvrages des éditions du passager clandestin sont bien structurés, clairs, pédagogiques, et la maquette est l’une des plus confortables que je connaisse !

    L’objectif de l’autrice est de présenter la stérilisation, son histoire, sa charge symbolique, ses enjeux, les procédures, et d’en revendiquer la portée émancipatrice, comme pour tout autre moyen de contraception. Plusieurs pistes sont soulevées pour simplifier l’accès à la stérilisation, à commencer par la formation du personnel soignant et un meilleur accès à l’information pour celles et ceux qui souhaitent se faire stériliser. 

    Au même titre que la contraception et l’interruption volontaire de grossesse (IVG), la stérilisation relève du droit de chacun et chacune à disposer de son corps. La stérilisation est une façon de se libérer de l’injonction à la parentalité, elle dissocie une bonne fois pour toutes la reproduction et la sexualité, elle permet de vivre librement, sans craindre une grossesse non désirée.

    Les débats autour de la contraception et de la stérilisation sont aussi l’occasion d’interroger la charge reproductive qui repose essentiellement sur les femmes. Il est vital que les femmes gardent le contrôle de leur corps, mais la contraception masculine est un levier fondamental pour sortir la sexualité et la (non-)parentalité de la case « affaires de bonnes femmes8 ». Et dans la mesure où la stérilisation masculine (vasectomie) est une opération plus simple et moins lourde que la stérilisation féminine (tubaire), les hommes pourraient y avoir davantage recours et porter, eux aussi, cette charge reproductive

    Vu mon parcours, je pourrais tout à fait vouloir entamer une procédure de stérilisation, mais cet ouvrage m’a confortée dans le choix de ma contraception : l’implant contraceptif que j’ai adopté depuis dix ans est moins invasif, et surtout, contre toute attente, avec 99,9 % d’infertilité, il est plus efficace que la stérilisation ! En effet, j’ai été très surprise de lire qu’une femme sur 200 ayant eu recours à la stérilisation tombait enceinte dans l’année suivant l’opération chirurgicale, car la ligature des trompes (la méthode la plus employée en France) ne fonctionne pas toujours.

    Et vous, est-ce que vous voulez des enfants ? Est-ce que vous auriez aimé ne pas en avoir ? Est-ce qu’un·e professionnel·le de santé vous a déjà orienté·e vers la stérilisation ?

    Lisez aussi

    Essais

    Françoise Vergès Le Ventre des femmes

    Élise Thiébaut Ceci est mon sang

    Rozenn Le Carboulec Les Humilié·es

    Davy Borde Tirons la langue

    Pauline Harmange Moi les hommes, je les déteste

    Coral Herrera Gomez Révolution amoureuse

    Françoise Héritier Masculin/Féminin 1

    Mathilde Larrère Rage against the machisme

    Pauline Le Gall Utopies féministes sur nos écrans

    Christelle Murhula Amours silenciées. Repenser la révolution romantique depuis les marges

    Valérie Rey-Robert Une culture du viol à la française

    Nora Bouazzouni Faiminisme. Quand le spécisme passe à table

    Julia Serano Manifeste d'une femme trans

    Littérature

    Martin Winckler Le Chœur des femmes

    Virginie Despentes Baise-moi

    Erika Nomeni L'Amour de nous-mêmes

    Toni Morrison Beloved

    Dorothy Allison Deux ou trois choses dont je suis sûre

    Emma Goldman Vivre ma vie 

    Illustrés

    Léa Castor Corps à cœur Cœur à corps 

    Cualli Carnago L’Histoire d’une huître 

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    Mes trompes, mon choix !

    Stérilisation contraceptive : de l'oppression à la libération

    Laurène Levy

    Préface de Martin Winckler

    le passager clandestin

    2023

    208 pages

    18 euros

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