• La Tache ≡ Philip Roth

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    La Tache

    Philip Roth

    Éditions Gallimard

    2002

     

    Un roman fourre-tout

    La Tache, le vingt-quatrième roman de Philip Roth (sans compter ses autres travaux), ressemble à un agglomérat de thèmes et de personnages qui lui tenaient à cœur et qu’il n’était pas parvenu à caser dans un précédent roman.

    Coleman Silk, le doyen de l’université d’Athena, en Nouvelle-Angleterre, est un professeur reconnu de littérature antique, qui, du jour au lendemain, est accusé de propos racistes. Sans le soutien de la part des professeurs de sa génération, rejeté par les plus jeunes, il se retrouve seul sur le banc des accusés, à une époque où le racisme est fustigé. Vaincu, il prend sa retraite et vit isolé.

    C’est en 1998 que l’écrivain Nathan Zuckermann, le héros de quelques uns des romans de Philip Roth, rencontre Coleman, son voisin à présent retraité, et s’intéresse de près à son histoire. La narration, qui fait de Nathan le témoin du naufrage personnel d’un autre personnage, est on ne peut plus classique : parfois, le « classique » a du bon ; parfois non. Les personnages « tiennent debout » davantage parce qu’ils sont brisés par un passé tragique que parce qu’ils sont décrits avec succès par Philip Roth (et la traductrice).

    À travers Nathan qui raconte à la première personne, on découvre que Philip Roth ressort une énième fois la topique de l’identité : Coleman Silk n’est pas ce qu’il donne à voir. À l’âge adulte, il a enterré au fond de son être un secret, que ni sa femme ni ses enfants ne connaissent, au prix du sacrifice. Cet homme, en se réinventant, met en scène le rêve américain. Comment, lorsqu’on est défavorisé par une origine sociale ou ethnique, parvient-on à s’élever au-delà des « handicaps » et à réaliser son rêve ?

    Par ailleurs, l’individu qui occupe de hautes fonctions sociales ou professionnelles se doit d’avoir une vie privée irréprochable (marié et bon père de famille) ; et lorsque la vie privée entache l’image de l’homme publique, les répercussions sociales, familiales et psychologiques peuvent être irréparables. Philip Roth a su capter l’air du temps et le puritanisme américain. Mais il a également ajouté à l’ensemble une petite touche faussement contestataire (« c’était mieux avant ») surtout à partir du dernier quart, longtemps après que l’intrigue soit tassée – quand le livre tarde vraiment à se fermer.

    Mon avis

    Dans ce brassage des valeurs américaines et de personnages déchus, l’intrigue est pesante, laborieuse ; on s’attarde sur une multitude de détails qui auraient chacun donné une intrigue s’ils avaient été aboutis. Mais ce foisonnement ne fait pas la richesse de l’œuvre, elle est plutôt comme une grosse valise fourre-tout peu passionnante. L’intrigue est désordonnée, mal soutenue. Les scènes glissent les unes aux autres avec difficulté : il n’y a pas d’élément déclencheur qui redonne un souffle à la narration pour s’immerger dans une autre époque, ou dans la psychologie d’un autre personnage. Au contraire, l’ensemble est dissout et manque souvent de clarté avec la confusion des conjugaisons.

    On réunit pèle-mêle des personnages et des thèmes dont on pense qu’ils peuvent coexister, et on les relie à l’histoire et à la psychologie des Américains, comme c’est le cas ici avec l’affaire Bill Clinton-Monica Lewinsky.

    Il n’est pourtant pas nécessaire de redoubler de rebondissements pour conquérir le cœur du lecteur. Le jeu des mots, leur intensité peuvent porter à eux seuls l’intrigue. Ici, ni les mots ni les événements ne font écho. Mais quelques passages sortent du flot inconsistant, comme ceux qui concernent Les Farley, atteint du stress post-traumatique du Vietnam.

    Au résultat, si les thèmes « classiques » ont toujours quelque chose à transmettre, par-delà les pays et les époques (on a bien écrit un milliard d’histoires d’amour sans qu’elles se ressemblent), ici ils tombent mollement. L’écriture souffre peut-être du filtre de la traduction : les mots ne sont pas ceux que Philip Roth a choisis, et les lecteurs français ne sont pas forcément investis à ce point des questions identitaires et raciales comme l’ont été les Américains.

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    Littérature d'Amérique du Nord

     

    La Tache

    Philip Roth

    The Stain (titre original)

    Traduit de l’anglais par Josée Kamoun

    Éditions Gallimard

    Collection Du monde entier

    2002

    448 pages

    22,50 €

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