• Une culture du viol à la française ≡ Valérie Rey-Robert

    une culture du viol à la française valérie rey-robert libertalia bibliolingusUne culture du viol à la française
    Du « troussage de domestique » à la « liberté d’importuner »

    Valérie Rey-Robert

    Libertalia

    2019

     

    Avertissement : cette chronique parle d’un sujet difficile. Mes propos sont purement factuels, mais ne la lisez pas si vous y êtes sensible.

    Chaque année, plus de 50 000 femmes sont victimes de viol et 370 000 de tentatives de viol ; plus de 500 000 femmes majeures sont victimes de violences sexuelles de toute nature (sans parler de la pédocriminalité). Pourtant, les violeurs courent toujours, les victimes vivent dans la honte et le silence, les violences sexuelles sont mal connues et mal traitées. Cela ne changera pas tant que nous ne prendrons pas conscience de la culture du viol qui forge nos représentations autour du viol, des violeurs et des victimes et qui protège les hommes au sein de la société patriarcale. Alors, parlons-en.

    « Ne nous dites pas comment nous comporter, dites-leur de ne pas violer1. »

    Presque tous les hommes cisgenres2 hétéros sont des violeurs. Ce sont nos amis, nos pères, nos frères, nos cousins, nos collègues, nos patrons, nos voisins. Les violeurs, à 99 % des hommes cisgenres, sont majoritairement connus des victimes, ils vivent une vie ordinaire et évoluent dans tous les milieux sociaux. Nous, les femmes cis et trans, devons vivre avec eux, au quotidien, avec leurs crimes présents et passés.

    La moitié des viols sont commis par le conjoint ou l’ex-conjoint. Le domicile conjugal et le couple hétéro sont les lieux privilégiés des violences subies par les femmes. Par conséquent, la représentation de la rue sombre et dangereuse pour les femmes conditionne profondément notre éducation : nous développons très tôt des stratégies d’évitement dans la rue et bridons notre liberté, alors que le danger se trouve davantage dans notre cercle intime, là où nous sommes le plus vulnérables au sexisme. En France, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint.

    « La culture du viol entraîne donc probablement certains agresseurs sexuels à ne pas savoir qu’ils en sont3. »

    Selon l’autrice, la culture du viol est la « manière dont une société se représente le viol, les victimes de viol et les violeurs à une époque donnée4 ». C’est un ensemble de croyances, de mythes, d’idées reçues qui légitime ces violences, qui permet aux violeurs de vivre en toute impunité et qui musèle la parole des victimes.

    La culture du viol véhicule l’idée que le viol est l’acte d’un homme instable, agressif et armé pénétrant de force une femme qui n’aurait pas dû se trouver seule dans une ruelle sombre, tard le soir, et qui n’aurait pas dû attirer les regards par sa tenue et son comportement. Par conséquent, plus un viol s’éloigne de ces idées reçues, plus on a du mal à l’identifier comme tel, et plus on va excuser les coupables et culpabiliser les victimes.

    D’un côté, les violeurs sont dédouanés : « il n’avait pas compris qu’elle ne voulait pas » (cela en dit long sur la mise à disposition du corps des femmes pour le bon vouloir des hommes cis) ; « il a été un peu lourd » (c’est une manière de minimiser, de dédramatiser la violence, alors que les victimes sont marquées à vie) ; « ce n’est pas de sa faute, c’est dans la nature de l’homme d’avoir un appétit sexuel irrépressible » (leur part d’animalité et la perte de leur libre arbitre permet de se placer en victimes).

    De l’autre, les victimes sont culpabilisées : où était-elle ? que faisait-elle ? était-elle provoquante, « baisable » (elle l’a bien cherché) ? est-elle « sexuellement libérée » ou est-elle une travailleuse du sexe (il y a moindre mal si c’est une salope) ? s’est-elle défendue (contre son père, son patron, son ami…) ? a-t-elle fini par aimer le viol (une manière d’érotiser le crime) ? est-elle racisée (deux fois moins d’articles dans les médias) ? fait-elle assez victime ? Le moindre élément de la vie des victimes, la moindre réaction deviennent des éléments à charge, ce qui revient à les rendre responsables du viol, à déplacer la honte sur elles et à les murer dans le silence.

    Arrêtons-nous un instant sur le consentement : je crois qu’on peut faire la distinction entre les situations où les hommes cis passent outre au « non » explicite (verbal ou non) de la victime afin d’assouvir leurs désirs, parce qu’ils sont éduqués au sein d’une société phallocentrée où le désir masculin est roi ; et les situations où les femmes en couple hétérosexuel consentent, cèdent, acceptent une relation non désirée, par négociation, par habitude, par confort, car il est bien entendu que l’homme cis propose et dispose, et que les femmes apprennent dès le plus jeune âge à obéir.

    « Le viol est un crime, il devrait être jugé indépendamment des violences volontaires qui sont des délits5. »

    Les victimes de viol sont moins de 10 % à porter plainte, 70 % des plaintes sont classées sans suite, et la majorité des plaintes qui aboutissent est requalifiée en délit. À la police ou au tribunal, rien n’est fait pour accueillir convenablement les victimes. Les policiers, majoritairement des hommes cisgenres qui colportent inconsciemment la culture du viol, se comportent mal avec les victimes, voire les maltraitent.

    Bien souvent, les affaires sont classées sans suite : la parole des victimes est mise en doute, surtout si leur témoignage ne concorde pas avec les représentations et les mythes autour du viol. Dans les rares cas où la plainte aboutit, la justice requalifie le viol en délit, au même titre que les agressions sexuelles. Or, le viol, qui est une pénétration forcée, relève du crime et doit être jugé en cour d’assises. En fin de compte, comme le traumatisme relève aussi bien du viol que de l’agressivité, de la maladresse des proches, des professionnel·les et de la société, le silence est généralement une option préférable.

    « Ces dernières années, il devient donc de plus en plus difficile d’échapper à des productions culturelles comme des films ou des séries où il n’y a pas au moins une scène comportant des violences sexuelles sur les femmes6. »

    Le viol n’est pas un fait divers, mais une problématique politique et sociétale qui concerne tout le monde. Non seulement les médias traitent les violences masculines comme des affaires personnelles, mais en plus ils les titrent avec légèreté ou ironie (grâce à des personnes comme Sophie Gourion et son tumblr Les mots tuent, la perception des violences masculines est en train de changer). Par ailleurs, les médias couvrent davantage les viols correspondant à la vision stéréotypée du viol (comme ceux de joggeuses ou ceux qui sont suivis du meurtre de la victime), qui sont plus spectaculaires et plus rares, et donc moins représentatifs des viols ordinaires.

    Bien trop souvent, le viol est utilisé comme ressort scénaristique qui justifie la violence masculine. Sans parler des films pornos dans lesquels le viol est omniprésent, la plupart des films mettent en scène le viol comme du sexe (montrant encore une fois la suprématie du désir masculin au détriment des femmes), comme un rapport de séduction (la fameuse « liberté d’importuner » du séducteur cumulant les « conquêtes », lesquelles ne doivent pas céder trop vite sous peine de passer pour des salopes) ou comme un ressort humoristique (notamment dans les comédies), ce qui est particulièrement dangereux. Le viol est rarement représenté comme ce qu’il est : un crime impuni qui détruit la vie de la victime.

    Mon avis

    La lecture d’Une culture du viol à la française de Valérie Rey-Robert montre combien le viol protège les hommes au sein de notre société patriarcale. C’est en parlant des oppressions que nous subissons que nous parviendrons à augmenter notre seuil d’intolérance aux violences sexuelles, à déconstruire la domination masculine et à abolir les privilèges attribués aux hommes cis hétéros. La honte doit changer de camp.

    Pour nous, pour nos sœurs, nos mères, nos amies, nos collègues, ne nous taisons plus, écoutons-nous.

    Les 6 phrases à dire à une personne victime d’une agression :

    Une culture du viol à la française ≡ Valérie Rey-Robert

    Les numéros utiles : 3919 (Violences femmes infos) 0 800 05 95 95 (Viols femmes infos) 119 (Enfance en danger)

    Pour ceux qui pensent avoir déjà violé, je vous invite à lire cette brochure.

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    Essais

    Moi les hommes, je les déteste Pauline Harmange

    Le Deuxième Sexe 1 Simone de Beauvoir

    Beauté fatale Mona Chollet

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    Rage against the machisme Mathilde Larrère

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    Instinct primaire Pia Petersen

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    Une femme à Berlin Anonyme

    L’amour de nous-mêmes Erika Nomeni

    Bandes dessinées

    Camel Joe Claire Duplan

    Corps à coeur Coeur à corps Léa Castor

    1. Page 31. -2. Les personnes cisgenres vivent dans le genre qui leur a été attribué à la naissance. -3. Page 129. -4. Page 37. -5. Page 85. -6. Page 261.

    Une culture du viol à la française

    Du « troussage de domestique » à la « liberté d’importuner »

    Valérie Rey-Robert

    Éditions Libertalia

    2019

    300 pages

    18 euros

    (dispo sur alterlibris.fr, ma librairie associative)

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  • Commentaires

    1
    zazy
    Dimanche 22 Décembre 2019 à 18:28

    Les violeurs sont souvent dans le cercle des intimes

      • Lundi 23 Décembre 2019 à 13:09

        Oui, là où on baisse la garde ! C'est terrible parce qu'une enquête a révélé que les femmes avaient développé pas moins de 73 techniques de défense dans la rue (marcher vite, mettre des écouteurs sans écouter de musique, garder ses clés à la main...), alors qu'en fait le danger est plutôt dans le cercle intime !

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