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    Théorie du tube de dentifrice

    Peter Singer

    Éditions Goutte d’or

    2018

     

     

    Merci aux très prometteuses Éditions Goutte d’Or de m’avoir offert cet ouvrage !

    Cet ouvrage est la biographie militante d’Henry Spira, défenseur des droits des animaux, écrite en 1998 par son ami Peter Singer, le philosophe le plus influent de la cause animale. Ces stratégies pragmatiques et ingénieuses, qui ont inspiré l’association montante L214 éthique & animaux, peuvent développer notre imaginaire de résistance et nous faire prendre conscience que chaque personne peut vivre en accord avec ses principes.

    « L’objectif d’Henry est d’infliger à la viande ce qui est arrivé au tabac : qu’elle cesse d’être une part acceptée de la vie pour devenir un stigmate social1. »

    Dans les années 1970, alors âgé de 45 ans, Henry Spira, marin, puis professeur et journaliste, est devenu réceptif à la défense des animaux lorsqu’il a eu un chat (tout comme moi il y a quelques années !) et a découvert l’injustice de choyer certains animaux et d’en manger d’autres. Par la suite, il a mis à profit ses années de syndicaliste auprès des travailleur·se·s, des Noir·e·s et des Hispaniques pour lutter contre l’exploitation animale.

    Au fil des années, Henry Spira est à l’initiative de plusieurs campagnes visant à éliminer ou réduire la souffrance animale dans différents secteurs : les animaux utilisés pour la recherche, les tests sur les animaux pour les produits cosmétiques, et la souffrance dans les abattoirs. Tout d’abord, il définit la meilleure cible en fonction de l’opinion publique, de la souffrance causée et des possibilités réelles de changement. Quels sont ses points faibles ? Quels axes de communication peut-on retourner contre elle ? Quels objectifs et quels moyens définir pour la campagne ? Puis il engage une médiation pour trouver un accord qui permet à l’entreprise de continuer ses activités capitalistes tout en réduisant la souffrance animale qu’elle cause.

    C’est la théorie du tube de dentifrice : « Si votre tube de dentifrice est bouché, la possibilité d’en tirer du dentifrice dépend de deux questions : à quel point le tube est-il bouché ? Quel est le niveau de pression exercé dessus? »

    Henry Spira propose des alternatives crédibles à l’exploitation animale : il a notamment incité plusieurs entreprises de cosmétiques à financer des recherches pour trouver un substitut précis et peu coûteux au test oculaire de Draize, lequel consiste à injecter dans les yeux des lapins albinos, immobilisés et conscients, les produits utilisés en cosmétique. Ce test, pratiqué chez des animaux dont les yeux produisent peu de liquide lacrymal, permet de déterminer la toxicité des substances chimiques.

    Si la collaboration ne fonctionne pas, Henry Spira organise une coalition d’associations et d’organisations de défense des animaux pour alerter l’opinion avec une divergence de tactiques et faire pression sur l’entreprise.

    Si l’accord est trouvé, et définit une nouvelle pratique plus respectueuse des animaux, Henry Spira espère ainsi établir un standard qui poussera les autres entreprises du même secteur à s’aligner sur les mêmes procédés : « Si McDonald’s avance d’un millimètre, tous les autres vont devoir avancer en même temps3. » Et effectivement, dans le contexte français actuel, McDo a testé le burger végétarien en France du 10 octobre au 27 novembre 2017.

    Mon avis

    Autant vous le dire tout de suite : j’ai beaucoup aimé cette lecture, son format et les nombreuses questions qu’elle soulève, même si je reste sceptique sur certains points. Cette biographie militante d’Henry Spira a été écrite en 1998 par son ami Peter Singer, un philosophe australien qui a particulièrement influencé les mouvements pour les droits des animaux depuis les années 1970, notamment avec la publication de La Libération animale qui a eu un succès retentissant. Théorie du tube de dentifrice relève tout autant du genre biographique que du manuel de militantisme dont se revendique aujourd’hui l’association française L214 éthique & animaux dont je soutiens le travail rigoureux et pertinent, et qui connaît un succès de plus en plus grand.

    Pour mener ses campagnes, Henry Spira a visiblement toujours pris les décisions en solitaire, tout en sollicitant les conseils d’un petit comité de personnes et en s’assurant l’appui de coalitions d’associations. Ainsi, il se positionne davantage en tant que stratège et coordinateur du mouvement et bénéficie de la force de frappe collective. Il revendique une organisation antibureaucratique peu gourmande en frais administratifs, ce qui évite de passer la majeure partie du temps à chercher de nouveaux financements, comme il le reprochait à l’organisation de défense des animaux PETA. Je rejoins tout à fait l’analyse des organisations trop conventionnelles, et certainement en compromission permanente avec le pouvoir, même si le travail en équipe me paraît plus pertinent.

    Concernant mon scepticisme, j’ai trouvé que la répétition de l’affirmation selon laquelle les associations antivivisection avaient échoué depuis cent ans tandis qu’Henry Spira, alors débutant dans la cause animale dans les années 1970-1980, avait plusieurs victoires à son actif, était à la fois présomptueuse et désobligeante pour les militant·e·s du siècle passé. L’impact d’une action dépend non seulement de la stratégie employée mais aussi des moyens à disposition et du contexte, et l’attribution d’une « victoire » ou d’un « échec » est sujette à interprétation. Par exemple, si grâce à l’action d’Henry Spira, il faut moins d’animaux pour valider un test, l’augmentation exponentielle de l’industrie a multiplié le nombre de tests et donc entraîné une souffrance animale tout aussi exponentielle. L’autre écueil est de remplacer les animaux d’expérimentation (par exemple, les lapins utilisés pour les tests oculaire et cutané, ou les singes pour certaines expérimentations) par d’autres animaux, comme les rats, moins appréciés, donc moins défendables auprès de l’opinion publique.

    Par ailleurs, il y a un côté un peu surréaliste dans cette biographie. Comment une publicité d’Henry Spira, certes provocatrice et ingénieuse, appelant les citoyen·ne·s à faire pression sur une institution, a-t-elle pu être efficace, au point que lesdites institutions se sentent harcelées de coups de téléphone et de courriers menaçants ? Comment cette même publicité passée dans un journal papier peut-elle emmener Henry Spira dans plusieurs émissions de télé ? Cela s’explique probablement par la qualité des publicités, par les animaux concernés (l’opinion publique sera plus choquée par l’exploitation du chat, l’animal mignon par excellence), par l’implication dans la vie politique américaine différente de la nôtre, par une époque où les sollicitations physiques et virtuelles étaient peut-être moins nombreuses qu’aujourd’hui, et par la force collective générée par les coalitions d’associations de défense des animaux. Henry Spira a l’air d’avoir eu de la chance à plusieurs reprises, et d’avoir su saisir les bonnes opportunités.

    J’ai été davantage convaincue par les actions menées pour limiter les tests sur les animaux dans le secteur du cosmétique (rappelons que de plus grands secteurs d’activité ont recours à ces tests) que par celles visant à réduire la souffrance au sein des abattoirs, et notamment par le portrait hallucinant d’une collaboratrice d’Henry Spira, Temple Grandin, dont « beaucoup de gens trouvent stupéfiante sa capacité à adopter le point de vue de l’animal4 » et qui propose pourtant ses services aux entreprises pour mettre en place des méthodes moins douloureuses d’abattage des animaux ! Cela me rappelle le végétalien qui conçoit des abattoirs, la personne la plus What The Fuck présentée dans Faut-il manger des animaux ? de Jonathan Safran Foer.

    L’entreprise Procter & Gamble, qui avait déjà réduit le nombre de tests sur les animaux sous la pression d’Henry Spira, s’est vue menacée par l’association PETA exigeant davantage d’efforts envers les animaux. Henry Spira s’est alors rangé du côté de P&G, estimant qu’il « serait malheureux de donner aux entreprises du secteur l’impression […] qu’en nous écoutant, elles n’en deviendront que des cibles plus visibles5 ». Mon avis n’est pas tranché, car on ne peut pas non plus donner l’impression aux entreprises qu’elles pourront s’en tirer en se contentant de petits efforts.

    En fait, les méthodes d’Henry Spira ont pour but de réformer la société, de la rendre moins injuste tout en ne changeant pas ses fondements aliénants. Les actions d’Henry Spira sont efficaces car elles s’insèrent parfaitement dans le système capitaliste, sans le mettre en danger. Les entreprises y trouvent leur compte car, à l’instar de McDo, elles peuvent continuer à exploiter les salarié·e·s et privatiser les richesses produites en échappant à la réglementation. Au final, comme toujours, le capitalisme s’empare des luttes sociales et les phagocyte. Toutefois, je reconnais être impressionnée par le pragmatisme et l’ingéniosité d’Henry Spira, qui a été plus loin et plus fort que beaucoup d’autres personnes. S’il est effectivement irréaliste d’abolir l’exploitation animale du jour au lendemain, il faut toutefois viser assez haut pour provoquer le changement sans avoir l’impression de faire des améliorations marginales ou de compromettre la cause, comme lorsque la réglementation européenne a augmenté de quelques cm2 la superficie minimale des cages des poules. Il s’agit donc d’avoir recours à une stratégie welfariste, visant à améliorer le bien-être animal, et de procéder par échelons (incrementalist) pour atteindre l’abolitionnisme, consistant à supprimer toute exploitation animale. Le risque est que la réforme progressive de l’exploitation animale pourrait la rendre acceptable pour l’opinion publique, et ainsi réduire les chances de pouvoir l’abolir un jour.

    Enfin, Henry Spira, qui privilégie largement l’action légale et la non-violence, cosigne avec Peter Singer (qui réitère ces propos dans La Libération animale) une tribune contre l’usage de la « violence » dans les actions militantes. Ils en appellent à « suivre la voie tracée par Gandhi et Martin Luther King et non du terrorisme international6 » selon le principe de la non-violence moralisatrice. Or, ce principe nous assigne à rester sagement exploité·e·s par le système capitaliste, tels des chiens battus par leur maître, et à lui envoyer des signaux pour lui dire : « Nous manifestons notre mécontentement mais nous ne bousculerons pas réellement le système ! Nous sommes inoffensif·ve·s ! » (je reviendrai sur les stratégies militantes dans d’autres chroniques). Les attaques à la bombe des années 1980 ont peut-être fait passer les activistes animalistes pour des fous·folles dangereux·ses, mais c’est justement ce danger qui a provoqué une médiatisation plus importante que lors de manifestations dociles dont l’efficacité reste à prouver... Toutes les stratégies doivent être étudiées et ne pas s’exclure, si elles sauvent des animaux et secouent durablement le système capitaliste.

    Voilà donc un ouvrage que je suis très heureuse d’avoir lu et qui m’a beaucoup apporté, car il questionne notre vision et nos pratiques militantes, pas seulement concernant la défense animale, et enrichit la pensée française un peu figée en matière de lutte sociale. Chaque personne peut vivre en accord avec ses principes et œuvrer pour la révolution du monde. Arrêtons de penser que nous ne pouvons rien changer à l’ordre des choses, et que de fait nous sommes obligé·e·s de continuer à participer à cette société violente. « Si vous repérez une situation injuste, vous devez faire quelque chose. »  (Henry Spira)

    Du même auteur

    La Libération animale Peter Singer

    Lisez aussi

    Planète végane Ophélie Véron

    Les animaux ne sont pas comestibles Martin Page

    Faut-il manger les animaux ? Jonathan Safran Foer

    Zoos. Le cauchemar de la vie en captivité Derrick Jensen

    Antispéciste Aymeric Caron

    Ne nous mangez pas ! Ruby Roth

    Faut-il arrêter de manger de la viande ? Collectif

    1. Page 302. -2. Page 319. -3. Page 288. -4. Page 270. -5. Page 228. -6. page 261.

     

    Théorie du tube de dentifrice

    (titre original : Ethics into Action : Henry Spira and the Animal Rights Movement)

    Traduit de l’anglais par Anatole Pons

    Peter Singer

    Éditions Goutte d’or

    2018 (1998)

    352 pages

    18 euros

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  • le 16e round rubin carter hurricane bibliolingus blog livreLe 16e round

    Rubin Carter Hurricane

    Les Fondeurs de briques

    2015

     

    Dans ce récit autobiographique et rageur, Rubin Carter raconte son enfance et sa carrière de boxeur, mais surtout les multiples injustices et actes racistes dont il a été victime. Publié par les belles éditions Les Fondeurs de briques, ce témoignage brosse le portrait de l’Amérique blanche et raciste des années 1950-1960.

    « Pourquoi cette chaise électrique semblait toujours vouloir me voler mes amis1 ? »

    Dans ce témoignage exceptionnel, Rubin Carter, alias Hurricane, raconte son enfance après la Seconde Guerre mondiale et sa carrière de boxeur professionnel dans les années 1960. Il parle des premières injustices vécues lorsqu’il était enfant, de l’éducation stricte de son père autoritaire, de ses problèmes d’élocution qui le faisaient bégayer et déjà brandir les poings de dépit.

    Foudroyé par une terrible injustice, Rubin multiplie les séjours en centre d’éducation et en prison, pendant lesquels il fait l’expérience d’un racisme profond au sein des administrations américaines essentiellement peuplées de Noir·e·s, sans compter la corruption, les abus sexuels, les agressions et l’insalubrité qui chaque jour privent d’avenir les détenu·e·s. Le système carcéral s’avère être un marché florissant pour l’État autant que pour les entreprises. Lorsqu’il devient un célèbre boxeur, il dénonce aux journalistes les répressions policières meurtrières dans les quartiers noirs de Harlem en 1964.

    Dès lors, il se retrouve dans la ligne de mire de la police pour s’être fait le défenseur des Noir·e·s. Harcelé par des contrôles incessants et des interdictions de séjour, Rubin Carter se retrouve un jour accusé d’un crime qu’il n’a pas commis. Faux témoignages, intimidation des vrais témoins, falsifications des preuves, vices de procédure, jury non représentatif et procès instrumentalisé en vue des élections prochaines… Rubin raconte le déroulement du procès et les accusations qui lui tombent dessus.

    « Six semaines entières de débats, de cris, de supplications, de déchirements, de sélections, de cogitations, six semaines à réclamer une putain de justice – et ces crackers nous ont pondu leur saloperie en deux heures2. »

    Rencontre avec le livre

    L’autobiographie de Rubin Carter, alias Hurricane, est pour le moins percutante ! Je ne dirai rien des circonstances dans lesquelles ce témoignage historique et précieux a été écrit, mais vous les trouverez sur la fiche Wikipédia ou bien vous pouvez faire comme moi, les découvrir à la toute fin du livre ! Cet ouvrage est d’autant plus rare qu’il a été publié en France par Les Fondeurs de briques, superbe maison d’édition indépendante dont les ouvrages sont soignés et atypiques.

    Son récit, écrit avec rage et agrémenté d’expressions imagées pas très poétiques, est cruellement criblé d’injustices et d’impostures qui m’insupportent beaucoup ! L’univers difficile des prisons, les peines pénales des Noir·e·s, démesurées par rapport aux crimes et aux peines des Blanc·he·s, font bondir au plafond.

    « Je savais fort bien que, pour certains flics, boucler des Noirs dès le matin avait la saveur des œufs au bacon sur un toast, et en refroidir un le soir celle d’un verre de sherry face à un bon feu de cheminée3. »

    Toutefois, cet homme autodidacte est le reflet de son temps. Il a eu quelquefois des propos sexistes (« Tu dégoises comme un champion, mais tu te bats comme une femme qui, au fond d’elle-même, rêve de se faire violer4 ! ») et à maintes reprises homophobes envers la prostitution carcérale (« tapettes », « pédérastes », « pédales », « tordus suceurs de bites », « tantouserie »), certainement parce que l’homosexualité carcérale est associée dans son esprit à une domination des caïds sur les plus faibles. Personne n’est parfait, et malgré ces deux aspects sombres, cet homme est un des symboles de la lutte contre le racisme aux Etats-Unis.

    Lisez aussi

    Rosa Parks Mon histoire 

    Assata Shakur Assata, une autobiographie 

     

    1. Page 282. -2. Page 464. -3. Page 387. -4. Page 338.

     

    Le 16e round

    Rubin Carter Hurricane

    Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Catherine Vasseur

    Les Fondeurs de briques

    2015

    512 pages

    24 euros

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  • les francais djihadistes david thomson bibliolingus

    Les Français jihadistes

    David Thomson

    Les Arènes

    2014

    David Thomson a recueilli les témoignages d’une vingtaine de personnes « jihadistes » autodidactes, imprévisibles, un peu amateurs et amatrices, nous laissant entrevoir différents profils et parcours. Cet ouvrage déroutant constitue une bonne entrée en matière pour comprendre les nouvelles formes du fanatisme religieux.

    « C’est l’islam qui nous a rendu notre dignité parce que la France nous a humiliés. »

    À travers une vingtaine d’entretiens, David Thomson dessine différents profils de jihadistes et de croyant-e-s radicalistes. Certain-e-s ont décidé de faire leur hijra, c’est-à-dire d’émigrer de France, leur sol natal mais « mécréant », vers une terre d’Islam comme la Syrie.

    On en sait un peu plus sur leurs origines, leurs parcours, leur contexte familial. Certain-e-s sont de culture musulmane, d’autres converti-e-s issus du christianisme, la plupart sont très jeunes.

    Pour la quasi totalité des personnes interrogées, leur manière d’utiliser Internet coïncide avec leur « radicalisation ». Ce sont des personnes autodidactes qui s’informent sur Youtube, sur les réseaux sociaux et les forums musulmans ou « radicalistes », ce qui marque une réelle différence générationnelle. Ils et elles sont en quête de vérité, de pureté, d’absolu et trouvent tout cela dans le fanatisme religieux.

    Rencontre avec le livre

    David Thomson a enregistré ces entretiens pour pouvoir les retranscrire au mieux. Il n’a pas pour but de délivrer l’histoire judiciaire ou politique du jihadisme en France, mais de nous raconter qui sont ces personnes et leurs parcours sans pour autant se montrer exhaustif.

    Comme beaucoup de monde j’imagine, j’ai éprouvé la nécessité de me documenter sur ce « mouvement » qui est en partie l’expression d’une politique française sociale désastreuse depuis des décennies, et qui nous revient tel un boomerang. Ce boomerang vient frapper de manière indistincte ce que la classe dirigeante a permis de produire : un peuple fragilisé et divisé.

    Dans ces différents témoignages, j’ai été frappée par le mélange entre cette façon de se délester de toute sa vie en quelques mois, par le radicalisme, la sobriété assimilable à une forme de décroissance économique, et cette mise en scène de soi par des selfies et des tweets une fois que les candidat-e-s sont arrivé-es en Syrie.

    Si le jihadisme sévit depuis au moins trente ans, c’est avec l’émergence de Facebook et de Youtube que sa forme moderne, qui est davantage individualiste, a pu s’étendre à plus grande échelle.

    Ce sont des personnes autodidactes qui s’informent sur Youtube, sur les réseaux sociaux et les forums musulmans ou « radicalistes », ce qui marque une réelle différence générationnelle. Ils et elles sont en quête de vérité, de pureté, d’absolu, de repères, et trouvent tout cela dans le fanatisme religieux. C’est intéressant de voir comment la construction de l’individu passe par une sorte d’autoconfirmation, ce qu’on appelle le biais de confirmation : on va chercher sur internet (et dans les livres ou les médias) des « preuves » de ce qu’on pressent au fond de soi. Je pense qu’on fait tous et toutes cela, mais dans cette forme de fanatisme le processus est d’autant plus intéressant qu’ils et elles se démarquent par la rapidité de la conversion.

    Voilà une lecture autant captivante que dérourante, et qui constitue une bonne entrée en matière, mais qui demande à être étayée par d’autres ouvrages dont je vous parle bientôt.

    Lisez aussi

    Ce que tient ta main droite t'appartient Pascal Manoukian

    Terroristes Marc Trévidic

    Terreur dans l'Hexagone Gilles Kepel

    L'Attentat Yasmina Khadra

    Les Français jihadistes
    David Thomson
    Les Arènes
    2014
    256 pages
    18 euros

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