• le livre que faire collectif eric hazan bibliolingus

    Le livre : que faire ?

     Collectif dirigé par Éric Hazan

    André Schiffrin, Francis Combes, Jérôme Vidal, Roland Alberto,

    Frédéric Salbans, Hélène Korb, Joël Faucilhon

    La fabrique éditions

    2008

     

    La défense du livre indépendant

    Petit recueil de textes et d’entretiens élaboré par Éric Hazan, Le livre : que faire ? propose des mesures concrètes permettant d’améliorer la situation du livre indépendant en France. À l’opposé des publications des mastodontes de l’édition que sont Hachette livres et Editis, les livres indépendants (à la fois intellectuellement et financièrement) sont « difficiles – pas forcément à lire, mais à coup sûr difficiles à écrire, à éditer, à lancer, à vendre » et « résultent de bout à l’autre d’une activité artisanale1 ».

    Tous acteurs du livre indépendant, les auteurs de cet ouvrage apportent, en quelques pages, une réflexion sur les fondements du système (sur le droit d’auteur et l’aide publique) ou des solutions concrètes sur l’édition, la librairie, l’aide et la lecture publiques, la diffusion, la distribution et le numérique. Puisqu’il semble trop long de résumer les huit interventions, l’accent est mis sur l’édition, les droits de l’auteur et l’aide publique.

    Maintenir l’édition indépendante – André Schiffrin

    « Le contrôle accru des médias et de l’édition par les conglomérats a des conséquences politiques et intellectuelles dangereuses2. » Les accointances entre Nicolas Sarkozy et les patrons des médias, comme Arnaud Lagardère, Serge Dassault et Bernard Arnaud, le sont tout autant. Si la concentration permet d’accroître les profits, c’est aussi le moyen d’exercer une plus forte influence sur l’opinion publique. De fait, Serge Dassault explique avoir acheté Le Figaro parce que ce journal exprimait ses opinions, au risque de supprimer la liberté d’expression des journalistes en rédigeant lui-même les éditoriaux…

    « Les deux tiers des journaux et magazines français sont aux mains de Dassault et Lagardère, les deux principaux fabricants d’armements du pays. Hachette, filiale de Lagardère, possède également une grande partie des maisons d’édition françaises et contrôle le réseau de distribution de la presse3. »

    Pourtant, le nombre de maisons indépendantes augmente en France. Parmi elles, Demopolis, Agone, La Fabrique, Le Temps des cerises, Raisons d’agir, luttent pour préserver leur autonomie politique et culturelle. De multiples alternatives à la concentration existent pour pallier aux problèmes du financement de l’activité : la location d’un local aux municipalités, la coopérative comme Orfront à Stockholm, les presses universitaires, le soutien de fondations et l’édition à but non lucratif qui, selon André Schiffrin, est la seule façon de continuer d’éditer sans compromettre la qualité intellectuelle des ouvrages. The New Press, l’association d’André Schiffrin fondée au début des années 1990, illustre la réussite du modèle.

    Il propose également l’instauration d’une taxe sur les recettes publicitaires pour assurer la stabilité économique des médias qui tentent d’exister sans publicité. Pour soutenir les journaux et les éditeurs indépendants.

    Valoriser l’auteur – Francis Combes

    Francis Combes, éditeur au Temps des cerises, semble enfoncer les portes ouvertes lorsqu’il définit le droit d’auteur. Il soulève une question majeure, laquelle conditionne le financement de la création, sans toutefois exclure le débat du don de l’œuvre et celui de la gratuité. Le droit d’auteur, « c’est à la fois une avancée incontestable et précieuse de la liberté, mais une liberté qui s’identifie à la propriété et qui a les limites de la propriété bourgeoise ; c’est-à-dire une liberté en partie théorique qui se heurte aux conditions réelles de la concurrence et du marché, lesquelles ne sont jamais "pures et parfaites4" ».

    Comme l’auteur s’inscrit-il sur le marché de la création ? Pour Francis Combes, la rémunération de l’auteur est inégalitaire et injuste parce que calculée sur les ventes. Du strict point de vue de la « valeur d’échange » économique, le travail de l’écrivain n’a aucune valeur parce qu’il n’est jamais payé pour son travail.

    L’éditeur, aussi traducteur et poète, propose plusieurs mesures, notamment une répartition des aides établie sur de nouveaux critères, une taxe au pilon et « un pourcentage de droits, même modeste (par exemple 1 %), sur les ventes des ouvrages qui appartiennent au domaine public, ce qui permettrait d’abonder un fonds géré de manière aussi mutualisée et démocratique que possible5. »

    Redéfinir l’aide publique – Jérôme Vidal

    « La pratique de l’office par les éditeurs de l’oligopole en réseau de l’édition, leur stratégie d’inondation du marché par la multiplication de livres de qualité médiocre, leur politique de prédation à l’égard des petits éditeurs indépendants, les contraintes que font peser les processus de concentration et de monopolisation sur l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre, la recherche d’une rentabilité maximale et immédiate, le développement, à travers les grandes surfaces spécialisées, d’une "librairie sans libraires", pendant de "l’édition sans éditeurs" dont André Schiffrin a décrit avec force l’avènement aux États-Unis exigent en effet que soient appuyées l’énergie et la passion que déploient contre vents et marées certaines éditeurs et libraires6. » En une phrase, Jérôme Vidal, des éditions Amsterdam, décrit ce qui gangrène le livre dans le monde.

    Dans un contexte de réductions budgétaires, lesquelles contribuent à une « dé-démocratisation progressive de l’État7 », l’éditeur et traducteur propose plusieurs axes pour préserver la « bibliodiversité8 ». D’abord, s’interroger sur les critères qui attribuent les subventions et leur légitimité : quels livres, et quels acteurs sont aidés plutôt que d’autres ? Que veut-on valoriser ? Pourquoi le numérique n’est-il mieux accompagné par l’État ?

    Ensuite, quitte à promouvoir la démocratie participative et la transparence, le CNL doit davantage communiquer sur ses ressources, son organisation et ses activités. Enfin, point d’orgue de la politique publique, comment enseigner la lecture, et plus précisément, le goût de lire ? Outre l’essor considérable de la « culture de l’écran9 » la société fabrique des générations de non-lecteurs ; or sans la demande, le système n’a plus de raison d’être.

    Mon avis

    Certes, le constat est alarmant, et sur ce point cet ouvrage ne déroge pas à la règle : le monde du livre semble menacé, non pas de disparition, mais de mutations trop commerciales. Pourtant le titre est explicite : que faire ? C’est là toute son originalité, car les auteurs s’attachent plus à imaginer des mesures que décrire ce qui gangrène le livre. Quant à la maison d’édition, La fabrique est remarquable pour ses choix éditoriaux, ses exigences et ses engagements.

    Lisez aussi

    L’Édition sans éditeurs André Schiffrin

    Édition. L'envers du décor Martine Prosper

    Allers-retours André Schiffrin

    Correcteurs et correctrices, entre prestige et précarité Guillaume Goutte

    1. Page 7. -2. Page 21. -3. Page 12. -4. Page 25. -5. Page 37. -6. Page 40. -7. Idem. -8. Page 39. -9. Olivier Donnat (dir.), Pratiques culturelles des français à l’ère numérique. Enquête 2008, La Découverte/Ministère de la culture et de la communication, 2008. 

     Le livre : que faire ?

    Collectif dirigé par Éric Hazan

    La fabrique éditions

    2008

    124 pages

    12 euros

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  •  Lady L Romain Gary Bibliolingus

    Lady L.

    Romain Gary

    Éditions Gallimard

    1963

     

    « Si les hommes cédaient toujours à ce qu’il y a en eux de plus humain, il y a longtemps qu’ils ne seraient plus des hommes1 »

    Lady L., roman politique et passionnel, confronte deux visions de la société idéale. D’un côté le duc de Glendale, nihiliste, croit entraîner la révolution du peuple en faisant un étalage indécent de ses richesses et de ses privilèges ; de l’autre, le terroriste anarchiste Armand Denis perpétue les attentats pour troubler les gouvernements, les forcer à réduire les libertés individuelles jusqu’au moment intolérable où le peuple se révoltera contre un régime dictatorial…

    Entre les deux, il y a l’humanité, une grande dame qui met les hommes à genoux, prêts à la servir jusqu’à la mort, et Lady L., une vieille noble qui raconte sa vie à Sir Percy, l’incarnation de l’Angleterre conservatrice, flegmatique et puritaine.

    Lady L., caustique et sophistiquée, est réputée à travers l’Angleterre pour ses extravagances et ses caprices. Volontiers provocatrice et cynique, elle se moque de la société qui la tolère, de sa vie fastueuse et des protocoles royaux.

    Le jour de ses quatre-vingts ans, elle apprend que son pavillon d’été a été réquisitionné par le gouvernement. Or, ce palais ne renferme pas seulement ses trésors d’excentricités, tels que des objets d’art hétéroclites et des portraits familiaux customisés par les traits de ses animaux chéris ; il renferme aussi un secret. Et Sir Percy devra l’aider à le mettre en sûreté, mais il faudra lui raconter sa vie, la vie d’Annette Boudin, une Française des bas-fonds, prostituée à seize ans et proche des milieux anarchistes… Sir Percy, poète de l’amour platonique, se fige de surprise en surprise.

    Mon avis

    Riche de surprises et de détails historiques au point de confondre la réalité et la fiction, Lady L. n’est pourtant pas le meilleur roman de Gary. S’il a souvent mêlé le message politique à la fiction, cette fois Gary semble avoir habillé les idées par des personnages qui n’ont pas autant de consistance que dans les autres romans.

    Du même écrivain

    Les Cerfs-volants

     

    1. Page 129.

    Lady L.

    Romain Gary

    Éditions Gallimard

    Collection Folio n°304

    1981

    256 pages 

    5,95 €

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  •  sur la plage de chesil ian mcewan bibliolingus

     

    Sur la plage de Chesil

    Ian McEwan

    Éditions Gallimard

    2008

     

    La noce des coincés

    Loin d’un monde en mutation, Florence et Edward s’apprêtent à passer leur nuit de noces. En 1962, alors que Macmillan est élu président en Grande-Bretagne et Kennedy aux États-Unis, la bombe H et l’effondrement de l’Empire anglais concentrent les débats, tout comme la contraception, le rock et les Beatles relèvent les mœurs de la nouvelle génération.

    Intemporels et figés sous le paravent de familles aisées, ils tâchent de créer le mythe de leur amour, même s’ils ignorent être des inconnus l’un pour l’autre. « Lorsqu’ils n’analysaient pas leurs sentiments l’un pour l’autre — Edward commençait à se lasser de ce genre de réflexion —, ils parlaient de leurs projets d’avenir1. »

    Le moment crucial

    Ian McEwan est parvenu à un tour de force : à travers l’étroite fenêtre de l’espace-temps concentrée sur leur nuit de noces, il condense deux vies entières, pleines de préjugés, de maladresses et de non-dits. À l’approche de leur premier rapport sexuel où la tension monte en puissance, les déceptions et les rancœurs se cristallisent : rien ne se passera comme prévu, à notre grand plaisir.

    « Alors qu’il l’a dévisageait, interrogateur, elle le prit par la main et l’entraîna vers le lit. C’était de la perversité de sa part, voire de la folie, puisqu’elle voulait avant tout s’enfuir de la pièce, traverser les jardins et dévaler le sentier pour aller s’asseoir seule sur la plage. [...] Mais elle avait un sens du devoir cruellement développé, auquel elle était incapable de déroger2. »

    Mon avis

    Maîtrisant habilement la narration, Ian McEwan nous offre l’œil intérieur de chacun pour mieux nous montrer les discordances. Au fil du roman, il distille çà et là les indices, les incohérences d’une relation dont l’échec semble imminent. Sur la plage de Chesil est un moment de lecture jouissif, surtout à une époque où les mœurs sont plus libres qu’en 1962 ; à coup sûr, il laisse en mémoire ses contours et son mordant longtemps après qu’on a refermé le livre.

    « Ils étaient trop polis, trop coincés, trop timorés, ils se tournaient autour à pas de loup, murmurant, chuchotant, s’en remettant l’un à l’autre, s’approuvant mutuellement. Ils se connaissaient à peine, et ne pourraient jamais se connaître, à cause de ce manteau de silence complice, rarement interrompu, qui étouffait leurs différences et les aveuglait tout autant qu’il les unissait3. »

    1. Page 133. -2. Page 43. -3. Page 158.

    Sur la plage de Chesil

    On Chesil beach (titre original)

    Ian McEwan

    Traduit de l’anglais par France Camus-Pichon

    Éditions Gallimard

     Collection Folio n°5007

    2010

    192 pages

    6,5 euros

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