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    Contours du jour qui vient

    Léonora Miano

    Éditions Plon

    2006

     

    Après L’Intérieur de la nuit et Les Aubes écarlates, ce 3e roman clôt magistralement la trilogie du Mboasu. Dans un récit à la première personne, Musango raconte à sa mère qui l’a chassée comment elle se défait des emprises sectaires. Musango, dont l’histoire est allégorique, donne aussi bien corps aux aspirations intimes de chacun·e d’entre nous qu’à l’histoire de l’Afrique.

    « On m’a dit qu’elle s’appelait Musango, et que sa mère l’avait chassée en l’accusant de sorcellerie1. »

    Au Mboasu, pays centrafricain imaginaire, le mysticisme est la réponse à tous les maux engendrés par la guerre civile. Certain·e·s profitent de la crise économique et identitaire pour fonder des mouvements religieux sectaires. Il·elle·s attirent tant les plus démuni·e·s, désespéré·e·s des malheurs qui s’abattent sur eux·elles, que les personnes aisées en quête de sens.

    Musango, la petite fille recueillie par Ayané dans Les Aubes écarlates, a été chassée par sa mère après le décès du père. Comme tant d’autres parents désespérés en cette période d’obscurantisme, sa mère semble avoir décelé chez elle l’esprit du mal, mais c’est en vérité un prétexte mystique pour abandonner ses enfants lorsqu’on n’a plus les moyens de les nourrir.

    Musango, laissée pour morte, est kidnappée par une bande d’adolescents et vendue à une secte qui fait son commerce sur les candidat·e·s qui « font l’Europe », les migrant·e·s. La secte se voit confier de jeunes filles qui sont « préparées » à faire la traversée : pendant plusieurs mois, elles sont soumises par des rituels « religieux » incluant souvent des abus sexuels dans le but de les vouer à la prostitution une fois arrivées en Europe — si elles y parviennent.

    Rencontre avec le livre

    L’un des nombreux talents de Léonora Miano est d’écrire des romans qui se lisent à plusieurs niveaux : si Contours du jour qui vient porte un regard lucide sur l’histoire de l’Afrique, il n’en est pas moins un roman profondément intime sur la relation à la mère.

    Chaque roman de Léonora Miano porte sur un aspect particulier des maux qui avilissent l’Afrique et l’empêchent de s’émanciper, de se construire une identité. Selon l’auteure, le fait de passer sous silence les milliers de meurtres de la traite humaine et du colonialisme interdit le peuple africain de se projeter dans l’avenir. Il lui faut se souvenir de ses blessures, ne pas oublier ses ancêtres morts, pour les dépasser et être résilient.

    Mais Contours du jour qui vient, au-delà de la portée historique, est l’une des œuvres les plus fortes que j’ai lues sur la relation à la mère et le pouvoir de transmission. Dans un récit à la première personne, Musango s’adresse à sa mère en utilisant le « tu », ce qui décuple la puissance du texte. À celle qui n’a pas su l’aimer, elle lui raconte comment elle combat l’ombre qui l’entoure, comment elle prend sa vie en main, se déleste des souffrances du passé, de celles de sa mère, et tente finalement de se mettre elle-même au monde.

    La voix puissante de Musango incarne autant l’histoire intime de chacun·e d’entre nous que l’histoire de l’Afrique. J’ai adoré ce roman, tout comme l’ensemble de l’œuvre de Léonora Miano.

    « Je veux te pardonner, mère, et accepter que ce soit toi la fillette égarée qui n’a jamais grandi. Je veux te pardonner, et remonter avec toi le fleuve houleux de tes peines d’enfant2. »

    De la même autrice

    L'Intérieur de la nuit

    Crépuscule du tourment

    Tels des astres éteints

    Les Aubes écarlates 

    Lisez aussi

    Littérature

    L'Autre moitié du soleil Chimamanda Nogzi Adichie (guerre du Biafra, Nigeria)

    Histoire d'Awu Justine Mintsa (Gabon)

    Petit pays Gaël Faye (Burundi et Rwanda)

    Americanah Chimamanda Ngozi Adichie (Nigeria)

    Beloved Toni Morrison

    L'Œil le plus bleu Toni Morrison

    L’amour de nous-mêmes Erika Nomeni 

    Notre case est à Saint-Denis 93 Bouba Touré (Mali, Sénégal)

    Les Maquisards Hemley Boum (Cameroun)

    Voici venir les rêveurs Imbolo Mbue

    Une si longue lettre Mariama Bâ (Sénégal)

    L'Œil le plus bleu Toni Morrison

    Essais

    Le Ventre des femmes Françoise Vergès

    Françafrique, la famille recomposée Association Survie

    Heineken en Afrique Olivier Van Beemen

    Le rapport de Brazza Mission Pierre Savorgnan de Brazza, Commission Lanessan 

    1. Page 32. -2. Page 143.

    Contours du jour qui vient
    Léonora Miano
    Éditions Plon
    2006
    280 pages
    18 euros

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  • 200e chronique !retour a cayro dorothy allison bibliolingus blog livre

    Retour à Cayro

    Dorothy Allison

    Éditions Belfond

    1999

     

    Retour à Cayro raconte la « rédemption » d’une femme qui, après dix ans d’absence, récupère ses filles auprès de son ex-mari qui la battait. Un grand roman, un roman « total », qui rend hommage à la femme et à son émancipation.

    « Tout ce qu’elle possédait, c’était le besoin de protéger ses filles1. »

    « J’ai essayé de toutes mes forces d’être une bonne mère. J’ai arrêté de boire, j’ai pris soin de vous, mais il y a quelque chose que je n’ai pas bien fait. Aucune de vous ne semble savoir qui elle est ni à quel point je l’aime2. »

    1981. Randall vient de mourir dans un accident de la route. Il était le leader d’un groupe de rock, Mud Dog, et l’ex-copain de Delia qui en était la chanteuse. À sa mort, Delia décide de quitter la Californie pour retourner dans son pays d’origine : la Géorgie, à l’autre bout des États-Unis. Ni une ni deux, Delia avale des milliers de kilomètres et entraîne dans son sillage sa fille Cissy contre son gré.

    Delia a une histoire difficile. Dix ans auparavant, elle a quitté la petite ville de Cayro, Géorgie, pour échapper aux coups de son mari Clint, mais elle lui a laissé ses deux petites filles Amanda et Dede. Pendant dix ans, Delia a noyé sa culpabilité dans le blues, l’alcool et la défonce, mais elle va désormais tout tenter pour récupérer ses filles et réparer ce qui a été détruit. Sauf qu’à Cayro, elle n’est pas la bienvenue : elle est la putain qui a abandonné ses petites pour faire de la musique.

    Mon avis

    Retour à Cayro est un roman total, d’une sensibilité extrême, terriblement dur et humain. J’ai été littéralement happée, j’ai adoré les personnages qui lui donnent tant de puissance. Les relations familiales, l’émancipation féminine et sexuelle, la bigoterie, le tout sur fond de musique rock des années 1970, traversent le roman de parts en parts.

    Comment le décrire ? Face aux événements tragiques, il n’y a pas de place pour la poésie ou le pathos ! Le parcours de Delia et sa force sont fascinants. J’ai été désarçonnée par ses filles qui ont grandi dans l’austérité, qui ont une telle carapace qu’elles n’ont pas appris à aimer ni à capter les signes d’amour. Comment surmonte-on les souffrances du passé ? Les surmonte-on un jour ? Quelles adultes les filles de Delia vont-elles devenir dans cette famille en miettes ?

    Retour à Cayro est un roman dur, intense, complet, et d’une rare beauté, que je ne saurais que vous recommander. J’ai 9 pages de citations et de réflexions autour de ce roman, mais je ne veux pas trop en dire pour ne pas gâcher votre découverte ! Un vrai coup au cœur pour cette 200e chronique !

    De la même écrivaine

    Deux ou trois choses dont je suis sûre

    L'Histoire de Bone

    Lisez aussi

    Littérature

    Frankie Addams Carson McCullers

    Dandy Richard Krawiec 

    A Suspicious River Laura Kasischke

    L'Œil le plus bleu Toni Morrison

    Le Coeur au ventre Thierry Maricourt

    Le Ciel tout autour Amanda Eyre Ward

    La Tête hors de l'eau Dan Fante

    Un petit boulot Iain Levison 

    Essais

    Moi les hommes, je les déteste Pauline Harmange

    Amours silenciées. Repenser la révolution romantique depuis les marges Christelle Murhula

    Des femmes et du style. Pour un feminist gaze Azélie Fayolle

    1. Page 81. -2. Page 434.

    Retour à Cayro

    Traduit par Michèle Valencia

    Dorothy Allison

    Éditions Belfond

    1999

    456 pages

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