• pitie-pour-les-femmes-montherlant-bibliolingus

    Pitié pour les femmes 

    tome 2

    Henry de Montherlant

    Éditions Grasset

    1936

     

    « Quand il l’eut bien regardée, Costals déplaça un vase à fleurs posé sur la table, de façon que son visage en fût caché aux regards de celle qui l’aimait. Elle poussa sa chaise de côté, pour le revoir. Il déplaça de nouveau le vase.

    — Pourquoi ne voulez-vous pas que je vous voie ?

    — Pour vous ennuyer, dit-il, avec enjouement. Mais, allons, je serai gentil. – Il écarta le vase1. »

    « Mais, ma vieille, vous êtes stupide ! absolument stupide2 ! »

    « Il disait toujours à ses femmes, dès leur premier rendez-vous : “La première qualité d’une amoureuse, c’est d’être ponctuelle. Tout le reste est bien secondaire.” Il l’avait dit à Solange. Il rendait compte, sur un carnet, des minutes de retard de ses amies, et, quand cela totalisait cinq heures,  il rompait, - du moins il rompait en principe. Non sans les avoir averties trois fois auparavant, au bout de deux, de trois et de quatre heures, en vertu d’un vieil adage des Arabes : “Avant de le tuer, avertissez trois fois le serpent.” Solange ne totalisait à ce jour, en six semaines, qu’une heure et sept minutes. Moyenne très honorable3. »

    Toujours en quête du bonheur égoïste, Costals s’est pourtant attiché d’une petite Parisienne, Solange, sol-ange, les deux extrêmes réunis dans une jeune fille : la beauté, la jeunesse, la fraîcheur, avec l’ennui, la bêtise et l’inconsistance. Il s’étonne de son attachement à cette grue, sans génie mais pure et droite. Tantôt bercé de ses charmes, tantôt agacé de son absence d’intelligence, Costals joue la comédie de l’homme amoureux, sans toutefois manquer de malices, de cachotteries et de mensonges.

    Solange, impressionnée et amoureuse, est agitée comme une souris dans les griffes du chat. Elle fait preuve d’une grande obéissance dans ses bras en acceptant tous ses mauvais tours et les promesses les plus farfelues qu’il lui demande.

    « Les femmes ne cessent de réclamer jusqu’à ce qu’on leur ait donné quelque chose. Mais on peut leur donner n’importe quoi. Par exemple, cette pitié. D’ailleurs les hommes vous la donnent, mais sans s’en rendre compte. Ils appellent amour leur pitié. En gros, ce qui relie l’homme à la femme, c’est la pitié beaucoup plus que l’amour. Comment ne plaindrait-on pas une femme, quand on voit ce que c’est ? On ne plaint pas un vieillard : il est au terme de sa courbe, il a eu son heure. On ne plaint pas un enfant : son impuissance est d’un instant, tout l’avenir lui appartient. Mais une femme, qui est parvenue à son maximum, au point suprême de son développement, et qui est ça ! Jamais la femme ne se fût imaginée l’égale de l’homme, si l’homme ne lui avait dit qu’elle l’était, par “gentillesse”4. »

    « Quelle image d’Épinal vous vous faites de moi ! dit-il, avec dégoût5. »

    Quant à ses admiratrices, Costals y répond encore quelquefois, quand l’envie lui prend. Mais ce ne sera pas conséquence…

    « J’ai voulu […] savoir ce que vous devenez. Mandez-moi courtement (pas plus de deux pages). Je crois bien que vous m’avez écrit ces temps derniers, mais je vous avoue ne plus me rappeler ce qu’il y avait dans vos lettres ; j’ai dû n’en lire que les premières phrases. Je ne vous demande pas : êtes-vous heureuse ? car je sais bien que le bonheur n’est pas votre destin. Mais enfin, est-ce que ça roule un peu ?

    Au revoir. Vous n’avez pas idée comme je suis bienveillant pour le quart d’heure. “Occasion. À profiter.”

    C6. »

     

    Du même écrivain

    Les Jeunes Filles tome 1

    Les Jeunes Filles tome 3

    Les Jeunes Filles tome 4

    Les Célibataires

     

    1. Page 102. -2. Page 58. -3. Page 96. -4. Page 102. -5. Page 98. -6. Page 85.

     Pitié pour les femmes

    Henry de Montherlant

    Tome 2

    Éditions Gallimard

    Collection Folio n°156

    1972

    224 pages

    5,95 €

    Pour ne pas manquer les prochaines chroniques, inscrivez-vous à la newsletter !

    Partager via Gmail Pin It

    2 commentaires
  • Les Jeunes Filles 1/4 Henry de Montherlant Bibliolingus

     Les Jeunes Filles

    tome 1

    Henry de Montherlant

    Éditions Grasset

    1936

    Écrire les relations entre les hommes et les femmes, rien de plus délicat ! Montherlant est un maître en la matière : jamais faux, toujours drôle, voire cynique, il se pose en observateur des mœurs d’un temps pas si éloigné du nôtre.

    « Ce Costals inaccessible1 ! »

    Dans ce premier volet, Costals, jeune parisien bourgeois, est l’homme à femmes des années 1920 : écrivain à succès de romans pleins des sentiments qu’il n’éprouve pas, séducteur des jolies filles à papa, volontiers taquin ou odieux avec les moches, qu’elles soient dotées ou rentières ; bref, Costals collectionne les conquêtes éphémères et les femmes dans chaque port.

    « Dans quels phantasmes elle vit2 ! »

    La rançon du succès, c’est que Costals reçoit des lettres enflammées de provinciales bigotes et/ou fanatiques de son œuvre : recluses chez leurs parents, ces jeunes filles désœuvrées, vouées à épouser un autochtone pas franchement doué ni séduisant, déversent des pages de fantasmes. Mais Costals y répond rarement, et s’il le fait, c’est avec pitié, moquerie, condescendance ou méchanceté : c’est selon son humeur du moment.

    « Les jeunes filles sont comme ces chiens abandonnés, que vous ne pouvez regarder avec un peu de bienveillance sans qu’ils croient que vous les appelez, que vous allez les recueillir, et sans qu’ils vous mettent en frétillant les pattes sur le pantalon3. »

    « On marche sur le burlesque comme sur un tapis»

    Grotesque, cruel, drôle, vérace ; en un mot : excellent ! Montherlant ne mérite pas le placard ni l’oubli. Plus qu’un roman, Les Jeunes Filles regroupe récits, lettres, petites annonces matrimoniales et réflexions de l’auteur sur les hommes et les femmes : ensemble ils composent une œuvre à la narration originale, multipliant les angles de vue et les portraits.

    Costals est révélateur d’une manière de vivre : peut-on être heureux à deux ? Faut-il être absolument égoïste et ne dépendre de personne pour satisfaire son bonheur ? Les hommes vivent le mariage comme une perte de liberté et d’autonomie ; les jeunes filles sont, elles, symptomatiques de la condition féminine : éduquées pour appartenir à l’homme, leur personnalité et leurs désirs se fondent dans leur destin de femme servile.

    Si Montherlant donne à voir une société misogyne, il est néanmoins dans le vrai, n’en déplaise à certains lecteurs. Même si les femmes se sont aujourd’hui plus émancipées, Montherlant reste actuel sur bien des aspects sans être caricatural : les jeunes filles rêveuses, qui se font des films sur les sentiments de l’autre, courent après les illusions de l’amour. Il creuse trop les personnages pour permettre à la caricature de s’infiltrer dans ses romans : à lire avec délice !

    Trois volumes sont à suivre !

    « Bien à vous*

    *Le B de Bien est en réalité un R – “Rien à vous” – mais griffonné de telle sorte qu’on peut s’y méprendre5. »

    Du même écrivain

    Les Jeunes Filles tome 2

    Les Jeunes Filles tome 3

    Les Jeunes Filles tome 4

    Les Célibataires

     

    1. Page 12. -2. Page 76. -3. Page 89. -4. Page 18. -5. Page 143.

     

    Les Jeunes Filles

    Henry de Montherlant

    tome 1

    Éditions Gallimard

    Collection Folio n°148

    1972

    224 pages

    5,95 €

    Pour ne pas manquer les prochaines chroniques, inscrivez-vous à la newsletter !

    Partager via Gmail Pin It

    4 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique