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    Va et poste une sentinelle

    Harper Lee

    Éditions Grasset

    2015

    La suite de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur (1960) a enfin paru en 2015 ! J’ai eu la chance de découvrir les deux ensemble mais promis, cette chronique est garantie sans spoil !

    « Je n’aime pas qu’on chamboule mon univers
    sans m’avertir, c’est tout1. »

    Écrit avant le célèbre Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, ce roman se déroule pourtant vingt ans après, lorsque Scout vit désormais à New York et rentre à Maycomb, sa petite ville d’Alabama, pour deux semaines de vacances.

    Scout retourne chez Atticus, son père droit et intransigeant qu’elle adore, l’oncle Jack un peu excentrique, la tante Alexandra aux mœurs rigides, et son amoureux (dont je tairai le nom).

    Entre les souvenirs d’enfance, les messes qui prônent la tolérance et les réunions entre femmes du quartier, Scout se sent de plus en plus en décalage avec sa ville natale. Elle ne veut pas être une femme « domestique » avec un foyer, un mari et des enfants, et le fait de vivre seule à New York a de quoi intriguer ou choquer ses camarades d’enfance, aux idées bien bornées, et qui n’ont jamais quitté Maycomb.

    Au début de son séjour, une affaire de racisme éclate lorsque le petit fils de Calpurnia, l’ancienne gouvernante de Scout, tue accidentellement un homme au volant d’une voiture sans avoir le permis. Incidemment, Scout se rend compte que quelque chose a changé à Maycomb ; ou bien c’est elle qui a changé en devenant adulte ? Ce qu’elle découvre au sein même de sa famille, et notamment sur son père, est bien pire encore.

    « À quarante-huit ans, Atticus s’était retrouvé seul avec deux jeunes enfants à charge et une cuisinière noire nommée Calpurnia. Rien ne laisse à penser qu’il se posa jamais de grandes questions, il fit de son mieux pour élever ses enfants et, à en juger par l’affection que ceux-ci lui portaient, il fit très bien : il n’était jamais trop fatigué pour jouer à la balle au prisonnier ; jamais trop occupé pour inventer des histoires merveilleuses ; jamais trop accaparé par ses propres soucis pour prêter l’oreille à un gros chagrin ; tous les soirs il leur lisait des histoires jusqu’à ce que sa voix le lâche2. »

    Rencontre avec le livre

    Va et poste une sentinelle souffrira toujours de la comparaison à Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur à l’immense succès. Certes, comme sa publication n’était pas prévue, il y a quelques répétitions sur les origines de Maycomb et des incohérences avec le premier livre (des erreurs sur l’âge de certains personnages, le fait que Tom Robinson soit acquitté, Mme Dubose qui est décédée…), et c’est parfois un peu confus (utilisation du « je » ou du « elle ») mais ce n’est pas grand chose. Le charme opère moins parce que le personnage a grandi ; la fraîcheur d’une Scout éveillée et maligne laisse place à une jeune adulte de 26 ans au franc-parler.

    Quand bien même, c’est un excellent roman qui se concentre sur les thèmes du racisme, sur la bigoterie et surtout sur l’émancipation. Concernant le racisme, les différents personnages évoquent longuement la déségrégation et la guerre de Sécession pour lesquelles des notes de bas de page plus instructives auraient été les bienvenues. Mais c’est avant tout l’histoire d’une jeune femme qui, en grandissant, doit s’extraire du giron de son père pour devenir adulte. La chute est vertigineuse lorsque Scout apprend des choses peu reluisantes sur sa famille, et sur son père qui finalement a des failles, comme tout un chacun. J’ai adoré cet élément central de l’histoire, pour la simple raison que j’en passe aussi par là.

    Tout comme Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, ce roman a ses parts d’ombre et de mystère (quel métier exerce Scout à New York ?) qui lui confère une attraction rare. Roman moins « total » que l’autre, il est tout de même excellent et les thèmes qui y sont abordés me sont chers et intimes.

    « Elle n’était pas seule au monde, mais ce qui la soutenait véritablement, la force morale la plus puissante de toute son existence, c’était l’amour de son père. Elle n’avait jamais douté de cet amour, elle n’y avait jamais réfléchi, elle ne s’était même jamais rendu compte que, chaque fois qu’il lui fallait prendre une décision importante, la question réflexe « Que ferait Atticus ? » lui traversait l’esprit sans qu’elle en eût conscience ; elle ne s’était jamais rendu compte que ce qui la faisait tenir debout et tenir bon face à l’adversité, c’était son père ; que tout ce qu’il y avait de noble et de louable dans son caractère, c’était à son père qu’elle le devait ; elle ne savait pas qu’elle le vénérait3. »

    De la même autrice

    Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur Harper Lee

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    Mon histoire Rosa Parks

    À jeter aux chiens Dorothy B. Hughes 

    Beloved Toni Morrison

    L'Œil le plus bleu Toni Morrison

    Americanah Chimamanda Ngozi Adichie

    Voici venir les rêveurs Imbolo Mbue

    L'Histoire de Bone Dorothy Allison

    L’amour de nous-mêmes Erika Nomeni 

     

    1. Page 94. -2. Page 140. -3. Page 143.

     

    Va et poste une sentinelle
    (titre original : Go Set A Watchman)
    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Demarty
    Harper Lee
    Éditions Grasset
    2015
    336 pages
    20,90 euros

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  • voici venir les reveurs imbolo mbue bibliolingusrentree litteraire 2016 bibliolingus
     

    Voici venir les rêveurs

    Imbolo Mbue

    Éditions Belfond

    2016

     

    Ce premier roman est celui que j’ai le plus attendu de la rentrée littéraire de 2016. D’aucuns diront que le thème est vu et revu, mais il exerce une attractivité indépassable. Voici venir les rêveurs raconte l’emprise du rêve américain sur une famille camerounaise, dans un récit attachant et drôle.

    « Papa et moi, nous voulons que tu ne sois jamais obligé de devenir chauffeur. Jamais. Nous voulons que ce soit toi qui aies un chauffeur1. »

    Jende, Neni et leur fils vivent à New York à Harlem. Jende est parvenu à payer le voyage du Cameroun dans l’espoir incommensurable de vivre le rêve américain. Jende, pourtant sans papiers, vient de décrocher un travail inespéré et bien payé : chauffeur pour M. Edwards, l’un des banquiers de Lehman Brothers. Neni entame ses études pour devenir pharmacienne, tandis que tous les espoirs se fondent sur leur fils qui doit absolument réussir à l’école pour avoir un bon travail ; car ils croient dur comme fer que l’école est le sésame pour réussir aux États-Unis, sans prendre en compte le coût des études et le racisme à l’embauche.

    Au fil des trajets en voiture de son patron, Jende apprend à connaître le monde des riches blancs de Wall Street. En tant qu’employé et serviteur de la famille Edwards, il devient le témoin indiscret de leurs tourments. Mais nous sommes en 2007, et la crise économique déferle sur le monde entier, emportant avec elle Lehman Brothers. Qu’adviendra-t-il de l’emploi de Jende et de sa famille ? La déception n’est jamais loin et l’étau se resserre de plus en plus autour de la famille camerounaise dont le destin est intimement lié à celui de ses employeurs.

    Rencontre avec le livre

    D’aucuns diront que le thème du rêve américain a été vu et revu. C’est vrai, mais il exerce une attraction toujours renouvelée, et il est sans cesse réinventé par la multitude des personnes de toutes origines qui ont tenté leur chance aux États-Unis.

    Le premier roman d’Imbolo Mbue est excellent, fait de personnages attachants, drôles, carrément naïfs, et écrit d’une manière très fluide et rythmée par paliers. Il se lit très facilement et brasse des thèmes intéressants, comme la réussite sociale et ses marqueurs, l’émancipation féminine de Neni, l’acculturation, l’espoir aveugle en l’école et en l’« égalité des chances » (qui constitue une oxymore en soi). Il décrit bien l’envoûtement aveuglant des immigrés qui veulent rester coûte que coûte, car ils prennent naïvement comme exemple Obama, un homme noir qui est devenu président… Ils n’ont pas compris que la classe dominante évolue dans un huis clos dans lequel on n’entre pas facilement.

    Toutefois on peut souligner que le contexte économique est peu présent, ce qui peut en décevoir certains. L’auteure a pris le parti de raconter avant tout l’histoire de la famille camerounaise mêlée à celle des Edwards, et pas de mettre à tout prix la petite histoire dans la grande histoire.

    Par ailleurs, j’ai trouvé intéressant que la famille Edwards ne soit pas traitée de façon manichéenne (même les gens les plus aisés peuvent souffrir et ressentir la solitude), bien que je regrette que la famille camerounaise ne se rende pas toujours compte de l’exploitation dont elle peut être victime.

    Un très bon roman qui donne la voix à une femme africaine : c’est encore trop rare, alors il faut sauter dessus.

    Lisez aussi

    Littérature

    L'Intérieur de la nuit Léonora Miano (Cameroun)

    Tels des astres éteints Léonora Miano

    Crépuscule du tourment Léonora Miano

    Les Aubes écarlates Léonora Miano

    L’amour de nous-mêmes Erika Nomeni 

    Histoire d'Awu Justine Mintsa (Gabon)

    Petit pays Gaël Faye (Burundi et Rwanda)

    Le Chœur des femmes Martin Winckler

    Beloved Toni Morrison

    L'Œil le plus bleu Toni Morrison

    Mon histoire Rosa Parks

    À jeter aux chiens Dorothy B. Hughes 

    Notre case est à Saint-Denis 93 Bouba Touré (Mali, Sénégal)

    Les Maquisards Hemley Boum (Cameroun)

    Une si longue lettre Mariama Bâ (Sénégal)

    Décolonial Stéphane Dufoix

    1. Page 80.

    Voici venir les rêveurs
    (Behold the dreamers)
    Traduit de l’anglais (Cameroun) par Sarah Tardy
    Imbolo Mbue
    Éditions Belfond
    2016
    432 pages
    22 euros

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  • Rentrée littéraire 2015notre case est à saint denis 93 bibliolingus

     Notre case est à Saint-Denis 93

    Bouba Touré

    Éditions Xérographes

    2015

     

    En 1967, Banta, un jeune immigré africain, arrive en banlieue parisienne pour travailler et envoyer de l’argent à sa famille. Ce roman autobiographique est l’opportunité pour l’auteur, un Malien et ancien analphabète, de donner son point de vue sur les relations entre la France et le continent africain depuis la « décolonisation ». Un roman étonnant, critique mais affectueux, riche de sens et rare.

    « L’immigré fout sa vie dans la poubelle profonde du capitalisme qui n’a qu’une loi : produire et toujours produire1. »

    Banta, un jeune adolescent originaire d’un village malien, arrive en 1967 à Saint-Denis pour gagner de l’argent à envoyer à sa famille, laquelle est lourdement taxée (racketée ?) par les autorités africaines. Il apprend la vie en France et le mode de vie solidaire et hiérarchique dans le foyer africain où les immigrés se réunissent dans de petites chambres insalubres, surpeuplées et indignes d’un être humain.

    Comme tous ses « frères du destin », Banta est manutentionnaire, exploité, mal payé, mal défendu, précarisé. À l’approche de Mai-68, il découvre la lutte des classes, la ségrégation entre les cols blancs et les cols bleus, et la solidarité des travailleurs, qu’ils soient français ou immigrés, face au patronat.

    Mais Banta veut un travail plus intéressant, moins difficile, alors il commence à prendre des cours du soir pour apprendre à parler, lire et écrire le français. Au foyer africain, où la quasi-totalité des immigrés sont issus de petits villages africains et analphabètes, apprendre la langue du pays et nouer des relations avec les nationaux est considéré comme une trahison. C’est devenir « toubab » et oublier ses origines et son but premier : gagner de l’argent.

    Entre tradition et ambition d’une vie meilleure, Banta saisit les chances qui s’offrent à lui et se lance !

    Rencontre avec le livre

    Voilà un roman curieux, rare et passionnant ! Édité par la toute petite association Xérographes qui anime des ateliers dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris, ce livre a un style maladroit. Il comporte des fautes d’orthographe et de grammaire, des répétitions, et une confusion autour du narrateur et du personnage principal. Quand bien même, je considère ce livre comme étant précieux, car il a été écrit par un ancien analphabète qui est parvenu à témoigner de son vécu tout en brassant des thèmes passionnants.

    J’ai été saisie par ses différentes opinions sur l’immigration, les relations entre la France et le continent africain ; l’humanitaire raciste qui consiste à aller « aider les petits africains » ; la manière dont il parle de l’Afrique comme un grand pays divisé en pays par les colonisateurs au fil des siècles ; les coutumes et sur la femme, qu’elle soit africaine ou française.

    Ce témoignage, situé juste avant Mai-68, est aussi un support pour soulever les problèmes politiques et sociaux de notre pays, à savoir notamment que les politicien-nes lient sciemment l'immigration, l'insécurité et le chômage pour mieux nous diviser (et si le roman est écrit à la fin des années 1980, la chose n’en n’est que plus vraie aujourd’hui).

    La magie de ce roman, c’est qu’à travers les critiques acerbes des gouvernements français et africain, Bouba Touré s’adresse toujours avec sagesse et tendresse à nous, « Toubabs », qui nous culpabilisons pour ces agissements. Il défend la tolérance, le pardon, le vivre-ensemble et semble nous dire de prendre fait et cause pour les immigrés, car c’est en ignorant leur dignité humaine que le pays va droit aux ennuis. Un roman disponible sur le site de mon association que je ne peux que vous recommander si ces sujets vous interpellent !

    Lisez aussi

    L’amour de nous-mêmes Erika Nomeni 

    Françafrique, la famille recomposée Association Survie

    Les Maquisards Hemley Boum (Cameroun)

    Crépuscule du tourment Léonora Miano (Cameroun)

    Tels des astres éteints Léonora Miano (Cameroun)

    Voici venir les rêveurs Imbolo Mbue (Cameroun)

    Americanah Chimamanda Ngozi Adichie (Nigéria)

    Mon histoire Rosa Parks

    Décolonial Stéphane Dufoix

    Paris 2024 Jade Lindgaard

     

    1. Page 118.

    Notre case est à Saint-Denis 93
    Bouba Touré
    Éditions Xérographes
    Collection Écritures des territoires
    2015
    328 pages
    12 euros

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