• La Capitana Elsa Osorio

    Salon du livre de Paris

    La Capitana

    Elsa Osorio

    Éditions Métailié

    2012

    La Capitana raconte comment Mika Etchebéhère, une Argentine révolutionnaire et communiste, est devenue capitaine d’une milice républicaine pendant la guerre civile espagnole.

    « C’est en Espagne que se joue le sort du combat contre le fascisme, c’est là que la lutte est indispensable1. »

    « Dans peu de temps elle sera sur le champ de bataille. Elle prendra des décisions, combattra aux côtés de ses miliciens, elle les nourrira, s’occupera d’eux, les encouragera. Et les fascistes ne passeront pas2. »

    1936, Mika Etchebéhère est à la tête d’une milice anti-fasciste en Espagne. Dans les tranchées, elle est la seule femme à tenir un fusil, à subir les assauts des tanks et les tirs d’obus franquistes, et elle est même la capitaine de sa milice, composés de civils révolutionnaires sous-armés. Et pourtant, elle ne pensait pas un jour tenir un fusil dans ses mains. Qui est-elle ?

    « C’était la révolution à l’état pur, celle dont nous avions rêvé depuis notre plus tendre jeunesse3.»

    Mika Feldman, avec son compagnon, a quitté l’Argentine pour lutter aux côtés des révolutionnaires en Europe, d’abord en Allemagne où elle a vu la montée au pouvoir d’Hitler en 1933, en Espagne pendant la guerre civile, puis en Argentine pendant la Seconde Guerre mondiale. Même sans armes, elle n’aura de cesse de prendre part aux conflits, notamment en intégrant un parti politique ou en écrivant dans des revues communistes ou anarchistes.

    « Pour cette révolution, ils ont renoncé à avoir un foyer, des enfants, ils ont choisi volontairement, avec le cœur et la raison, d’appartenir à une génération sacrifiée4

    Mika est d’une génération pétrie d’idéalisme, qui a vu le monde basculer à cause de la Première Guerre mondiale, et capable de se mettre en marche pour changer le monde, par les mots ou par la force, quitte à renoncer à la vie « normale ». Cet idéalisme, elle le partage avec son fiancé Hippolyte, car La Capitana, c’est aussi une formidable histoire d’amour, une histoire de luttes sociales et politiques partagée passionnément avec son compagnon de toujours.

    Pour finir

    Mika Etchebéhère (1902-1992), une femme argentine au destin exceptionnel, a passé sa vie à lutter pour l’égalité, la liberté et la justice, que ce soit en participant à des revues politiques ou en prenant les armes pendant la guerre civile d’Espagne.

    Très jeune, elle a été nourrie de l’idéalisme révolutionnaire et anti-capitaliste. Avec son compagnon Hippolyte, elle a mûri à travers la Commune de Paris, la révolution de 1917, et les textes de Marx et d’Engels. Elle est de ceux qui croyaient en la force des partis politiques pour renverser le pouvoir, et qui ont vu la classe ouvrière unie gagner en importance puis s’amenuiser dans la seconde moitié du vingtième siècle.

    La Capitana est le résultat d’une enquête extrêmement documentée qui a duré des années. Avec son style polyphonique, Elsa Osorio a prêté avec talent ses émotions, ses mots, à la voix de Mika Etchebéhère et a rendu un hommage personnel, intime, à cette femme et à l’engagement politique. Un texte émouvant qui sort de l’oubli une femme extraordinaire, qui nous rappelle combien nous manquons de courage et d’idéalisme, qui nous rappelle le vrai sens du mot révolution.

    De la même autrice

    Luz ou le temps sauvage

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    Mika Etchébéhère Ma guerre d'Espagne à moi

    Vincent Borel Antoine et Isabelle

    Emma Goldman Vivre ma vie 

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    Assata Shakur Assata, une autobiographie

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    1. Page 82. -2. Page 182. -3. Page 313. -4. Page 317.

    La Capitana
    (titre original)
    Traduit de l’espagnol (Argentine) par François Gaudry
    Elsa Osorio
    Éditions Métailié
    Bibliothèque Hispano-américaine
    2012
    336 pages
    20 euros

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  • Luz ou le temps sauvage Elsa Osorio

    Salon du livre de Paris 

    Luz ou le temps sauvage

    Elsa Osorio
    Éditions Métailié
    2000

    Luz, née en 1976 en Argentine pendant la dictature militaire, raconte comment elle a découvert qui étaient ses vrais parents.

    « Je veux connaître la vérité, quelle qu’elle soit1. »

    Lorsque Luz donne naissance à son fils Juan, des sensations confuses remontent à la surface. Elle a le sentiment que sa mère Mariana, si distante et glaciale, n’est pas sa vraie mère. Sa relation avec elle, ainsi qu’avec le reste de sa famille bourgeoise, est conflictuelle : à chaque fois que Luz fait quelque chose qui sort des conventions, voilà qu’on accuse les gênes de Luz, comme si c’était une fille de rue, une fille de rien. Luz, troublée depuis la naissance de son fils, part en quête de son identité.


    « Combien d’enfants disparus, combien dont on ignore l’existence2. »

    Comme Luz, ils sont plusieurs centaines d’enfants, nés entre 1976 et 1983, à avoir grandi auprès de parents qu’ils croient/ont cru être les leurs. Durant la dictature militaire, une véritable chasse aux sorcières a déferlé sur le pays ; des milliers de militants communistes, des « subversifs », des « terroristes » en quête de démocratie, ont été enlevés, torturés, tués, anéantis. Et parmi eux, des mères séparées de leurs enfants. Difficile de les retrouver sous leur nouvelle identité, surtout quand leurs parents sont morts et que leurs familles se trouvent démunies face à l’immense silence de la junte militaire.

    « Nous luttons pour la vie, mais pour une vie différente de celle que propose le système bourgeois, nous luttons pour la vie au sens plein et précis du mot, une vie digne de toute une humanité collectivement réalisée3. »

    Pour finir

    Des années plus tard, Luz raconte la vérité sur sa naissance et sur ses vrais parents. Elle raconte l’impuissance et la douleur des familles dans une époque où rêver de démocratie était une condamnation à mort. Elle raconte l’aveuglement de ceux qui sont proches du pouvoir et qui refusent de voir que l’épuration est perpétrée par leurs maris, leurs pères, leurs frères. Elle raconte aussi l’acharnement des Grands-mères de la place de Mai qui ont tenté de retrouver les enfants disparus, même si peu d’entre eux ont été révélés sous leur vraie identité.

    On découvre très tôt qui sont les vrais parents de Luz, Elsa Osorio a choisi de raconter les événements de manière chronologique. La teneur du roman n’est pas : qui sont ses vrais parents, mais plutôt, comment va-t-elle remonter la piste de ses origines ? Il n’empêche que l’intensité est au rendez-vous, même si davantage d’éléments historiques concernant la dictature méritaient leur place. D’entrée de jeu, Luz nous plonge dans ses origines obscures, sans répit ni poésie, délivrant la parole de ses parents, de ses oncles et tantes, sur vingt ans d’histoire, usant parfois du « tu » qui dévore le lecteur dans ces horreurs.

    Voilà donc un roman fort qui fait remonter à la surface les « temps sauvages » de l’Argentine largement impunis, et qu’il ne faut pas effacer des mémoires, d’autant que des horreurs pareilles arrivent encore dans le monde. Si vous vous intéressez à l’Argentine, un détour par ce livre s’impose !

    « Tu penses que ceux qui militaient, ou qui avaient simplement des idées différentes des tiennes, méritaient qu’on leur mette le corps en bouillie, qu’on les humilie, qu’on les assassine, ou qu’on les brise idéologiquement en les obligeant à une trahison douloureuse4 ? »

    De la même autrice

    La Capitana

    Littérature d'Amérique du Sud

     

    1.  Page 298. -2. Page 287. -3. Page 184. -4. Page 208.

     

    Luz ou le temps sauvage
    (A veinte años, Luz, titre original)
    Traduit de l’espagnol (Argentine) par François Gaudry
    Elsa Osorio
    Le Seuil
    Collection Points
    2010
    480 pages
    8 euros

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  • L'Aveuglement José Saramago

     

    L’Aveuglement
    José Saramago
    Éditions du Seuil
    1997


     
     

     

    « Une mer de lait1 »

    Et si tout à coup, nous devenions tous aveugles ? Dans L’Aveuglement, une épidémie de cécité paralyse le pays entier en seulement quelques jours. Les premiers aveugles seront mis en quarantaine, mais bientôt des hordes d’aveugles se retrouvent livrées à elles-mêmes. Plus de gouvernement, plus de transports, plus d’eau ni d’électricité, le pays est plongé dans une blancheur aveuglante.

    Dans le chaos le plus total, les êtres humains, sans plus de pudeur, deviennent des porcs ; angoissés jusqu’à l’extrême, ils errent dans les villes désertées, construites pour les yeux qui voient. Débarrassés de leur humanité, ils commettent des atrocités et révèlent leur nature animale : ils sont prêts à tout pour se nourrir, quitte à être méchants, malhonnêtes et lubriques. Mais ce qui fait aussi l’humanité persiste : l’avarice, le vol, le chantage, la lâcheté. Les actes de solidarité sont isolés, car quand on est aveugle, l’absence du regard de l’autre, qui juge et sanctionne les comportements, n’oblige plus à la bonté. Le rapport aux autres, à soi et au réel sont bouleversés. On a besoin du regard de l’autre pour avoir conscience de sa propre existence. L’identité s’efface, on n’a plus besoin de noms, car nous ne sommes plus tout à fait humains.

     

    « Je n’oublierai pas ton visage2 »

    Ayant perdu subitement la vue au coin de leur rue, loin de chez eux ou au volant de leur voiture, les liens sociaux se désagrègent. Comment retrouver sa famille, sa maison, quand il n’y a plus personne pour nous guider ?

    Parmi eux, une seule femme n’a pas perdu la vue. C’est à la fois une bénédiction et un piège. Une bénédiction car elle peut guider les survivants et leur permettre de s’en sortir ; un piège parce qu’elle voit l’horreur sous toutes ses formes. Être l’aveugle dans une communauté de voyants, c’est continuer à sentir le poids de leur regard et se sentir humain ; cette femme, à l’inverse, est la seule à subir les dégradations humaines, à voir les corps des morts, des nus, des vieux qui rampent ou qui marchent à quatre pattes.

     

    Pour finir

    Bien que L’Aveuglement soit une histoire allégorique à la portée incroyable, c’est aussi un livre d’horreur avec des scènes difficiles à lire, à la limite de l’insoutenable. Mais ce qu’on qualifie d’horrible, c’est seulement ce qui nous ramène à ce que nous sommes ; nous sommes l’horreur. Saramago met tout autant en scène les conséquences de la cécité qu’un microcosme composé de quelques personnages dans un monde apocalyptique.

    La violence, l’intensité, l’intimité que dégage ce texte sont saisissants. L’écriture, qui supprime totalement la ponctuation du dialogue, libère un flot dense, rempli de digressions, qui empêche de reprendre son souffle et de détourner le regard. On est happé, emprisonnés, par ces blocs de textes juxtaposés qui dépeignent une humanité détruite. Pourquoi sont-ils aveugles ? Que refusons-nous de voir chaque jour qui passe ? Y a-t-il une espèce animale qui s’est autant auto-détruite que la nôtre ?

     

    « Tu ne sais pas ce que c’est que de voir deux aveugles se quereller, Se quereller a toujours été, plus ou moins, une forme de cécité, C’est différent, Tu feras ce qui te semblera le mieux mais n’oublie pas que nous sommes des aveugles, de simples aveugles, des aveugles sans rhétorique ni commisération, le monde charitable et pittoresque des braves aveugles est terminé, maintenant c’est le royaume dur, cruel et implacable des aveugles tout court, Si tu pouvais voir ce que je suis obligée de voir, tu désirerais être aveugle, Je te crois, mais je n’en ai pas besoin, je suis déjà aveugle, Pardonne-moi, mon chéri, si tu savais, Je sais, je sais, j’ai passé ma vie à regarder à l’intérieur des yeux des gens, c’est le seul endroit du corps où il y a peut-être encore une âme, et si les yeux sont perdus, Demain je leur dirai que je vois, Fasse le ciel que tu n’aies pas à t’en repentir, Demain je le leur dirai, elle s’interrompit puis ajouta, Si entre-temps je ne suis pas entrée moi aussi dans ce monde3. »

     

    Du même auteur

    La Lucidité

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    Les Mémorables Lidia Jorge

    L’ordre moins le pouvoir Normand Baillargeon


     1. Page 14. -2. Page 217. -3. Pages 155-156.
     

    L’Aveuglement
    (Ensaio sobre a Cegueira, titre original)
    Traduit du portugais par Geneviève Leibrich
    José Saramago
    Éditions du Seuil
    Collection Points
    2000
    368 pages
    7,60 euros

    Bibliolingus

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