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    Les Ongles Mikhaïl Elizarov Rentrée littéraire 2014

    Les Ongles

    Mikhaïl Elizarov

    Serge Safran éditeur 

    2014

    Masse critique Babelio 

     

    Gloucester et Bakatov, deux jeunes inséparables qui ont grandi à l’orphelinat pour enfants handicapés, découvrent la société post-soviétique.

    « Je suis venu au monde bossu, fruit de l’égoïsme, de l’irresponsabilité aussi, chapitre d’un curriculum d’ivrognes, produit d’un appareillage d’oto-rhino bon pour la casse1. »

    Le premier, Bakatov, a le crâne déformé. Le second, Gloucester, est bossu et nous raconte leur histoire. Inséparables, solidaires en tout, ils ont grandi dans un orphelinat de banlieue, abandonné par les pouvoirs publics. Toute leur vie, les enfants de l’orphelinat, handicapés, attardés mentaux ou simplement trop laids pour être aimés, n’ont connu que la maltraitance et les humiliations, parqués comme des bêtes sans stimulation intellectuelle ni activités ludiques.

    Mais dans cette vie rude, l’un et l’autre ont développé un don hors du commun. Bakatov manifeste des pouvoirs étranges grâce à des incantations pendant lesquelles il se ronge les ongles. Quant à Gloucester, il a la bosse de la musique, au sens propre. Intelligents et autodidactes, ils savent de temps en temps tourner à leur avantage le fait d’être considérés comme des débiles.

    À dix-huit ans, ils sont lâchés en ville. Les voilà embarqués dans le monde qui leur est totalement inconnu. La chance leur sourit, du moins pour un temps.

    Pour finir

    Dans les romans courts, soit l’effet est saisissant et fulgurant, soit il tombe à l’eau. Le potentiel était pourtant énorme. Imaginez un orphelinat russe, un de ceux qui peuplent notre vision de la Russie soviétique qui rationalise l’existence humaine ; prenez ces deux enfants, extrêmement doués, presque surnaturels, soudés dans la galère et le mépris. Mais leur ascension et leur chute est si prompte que leur souvenir s’efface bien vite après avoir refermé le livre, d’autant que la fin est étrange et bâclée. Les thèmes (la discrimination par l’intelligence et la différence, l’abandon) aussi sont à peine effleurés,  insuffisamment exploités.

    Surtout, Les Ongles est un (premier) roman agaçant à cause de son style recherché, voire précieux, composé de périphrases appelant des mots savants2, et haché par une ponctuation qui laisse perplexe3. La mise à distance à coup de périphrases censées être ironiques anéantit la profondeur psychologique et l’empathie envers les personnages, et échoue à créer véritablement les dimensions humoristique, glauque et fantasque voulues du roman. Certaines expressions et syntaxes sont bizarres, presque incorrectes, ce qui fait tomber à plat toute la volonté poétique4. L’ensemble fait calculé, étudié, et froid, en fin de compte. Difficile d’éprouver de l’empathie envers l’histoire et les personnages.  Texte original ou traduction trop léchée ? Notez tout de même le catalogue de littérature étrangère de Serge Safran éditeur, dont les petits livres sont élégants et confortables à lire.

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    1. Page 5.

    -2. « Apparemment, c’est en toute connaissance de cause que Tobolevski épatait le public des coulisses. Il subtilisait littéralement les regards. Dans sa manière de parler ou, plus exactement, d’offrir une lecture publique aussi baroque que sonore, on ne décelait pourtant pas la moindre forgerie. Dans sa facture, la douceur et la puissance d’un ours de foire s’entremêlaient étonnement avec l’emportement d’un hobereau sais de lubie démocratique. Cette ressemblance avec un bon barine était accentuée encore par une barbe soignée, d’un apprêt digne d’un pelletier, noire, dotée de serpentines mèches grises. Tobolevski était en frac mais, au lieu de la chemise qui aurait dû aller avec, il en avait revêtu une brodée, à la russe. Sous sa glotte resplendissait un machaon de soie brodée serti d’une épingle de brillants. Il émanait de lui une douce chaleur de biscuiterie de fête, avec son glaçage de couleur. Difficile de ne pas se laisser tenter. » (pages 97-98)

    -3. « À onze heures et demie nous nous arrêtâmes devant la clinique psychiatrique où se trouvait Bakatov depuis son transfèrement du poste. Laissant notre véhicule à un portail de métal gris fait de lances médiévales soudées entre elles, nous passsâmes sur le territoire de l’hôpital. Où nous fûmes rejoints par une autre personne, un gars du service de sécurité de Tobolevski. » (page 144)

    « Les musiciens, malgré cela, continuaient de jouer. En s’agitant en rythme comme pour esquiver les insultes. » (page 101)

    -4. « Pour le deuxième morceau j’avais complètement assimilé le clavier. Je me lançai dans la mélodie avec assez de vitesse pour que le contrôle puisse en être pris par mon dos. Comme un aveugle je relevai la tête. la vue m’abandonna, mais pour me lier au musicien imaginaire que je logeais dans ma bosse. Celui-ci se saisit de l’air, le prit en main, et les friches de ma sombre existence s’éclaboussèrent de nouveaux sons, ruisselant par mes doigts sur le clavier d’une sonate dorso-cérébrale. » (pages 84-85)

    Les Ongles
    (Nogti, titre original)
    Traduit du russe par Stéphane A. Dudoignon
    Mikhaïl Elizarov
    Serge Safran éditeur
    2014
    176 pages
    16,5 euros

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 2 Novembre 2014 à 19:29
    Alex-Mot-à-Mots

    Au moins, le livre était confortable à lire.

    2
    Lundi 3 Novembre 2014 à 10:49

    Ah ah ! Oui, en tout cas je suis séduite par les éditions Serge Safran, j'y reviendrai :)

    3
    Dimanche 9 Novembre 2014 à 20:06

    Je connais l'éditeur juste de nom. A découvrir, donc.

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