• L'Employé ≡ Guillermo Saccomanno

    L'Employé Guillermo SaccomannoSalon du livre de Paris 2014

    L’Employé

    Guillermo Saccomanno

    Éditions Asphalte

    2012

    Dans une ville dystopique où règnent le chaos, la misère et l’individualisme, un employé tombe amoureux et commence à rêver d’une autre vie.

    « Il s’accroche à son bureau, baisse la tête et attend que la tempête passe1. » 

    Comme les chauve-souris qui foncent aveugles dans les vitres des gratte-ciels, les employés intègrent leurs bureaux de l’aurore à l’aube. Dans l’Argentine dystopique de Guillermo Saccomanno, l’employé modèle est performant, docile, dévoué corps et âme à l’entreprise et interchangeable. Rentabilité oblige, les week-ends et les congés payés ont été supprimés, et la peur de la délation et du complot ont anéanti les rapports sociaux entre collègues.

    Au moindre faux pas, le haut-parleur annonce le licenciement du futur mendiant sans préavis ; il ne lui reste plus qu’à quitter immédiatement son bureau escorté par les vigiles, et rejoindre la rue où des milliers de familles mendient qui, elles aussi, ont été victimes du chômage. La misère a alors une fonction sociale : elle sert à faire peur aux salariés et à les rendre plus dociles.

    « Dans la rue : cris, tirs, aboiements, pleurs, sirènes, chaos2. »

    Au-dessus des chauve-souris aveugles, les hélicoptères patrouillent incessamment dans le ciel brumeux de la ville. La police et l’armée tire sans distinction sur les habitants et les guérilleros qui font des attentats à toute heure du jour et de la nuit avec l’énergie du désespoir. Des hommes, des femmes, des enfants « deviennent subitement fous » et commettent des meurtres au travail et à l’école.

    Entre les bidonvilles et les palaces, les chiens clonés, résultats du sacro-saint progrès technologique et biologique, dévorent les cadavres sous la pluie acide et polluée.

    Dans le chaos de cette guerre civile, le lien social s’est désagrégé ; l’individualisme a totalement supplanté la solidarité et le sens de l’amitié. L’être humain est réduit à l’état de marchandise — ou de débris, s’il n’a plus rien à vendre.

    La violence apparaît comme le seul moyen de « survivre dans cette jungle d’asphalte3 » dans ce sauve-qui-peut général où les plus forts — mais aussi les plus lâches — s’en sortiront.

    « Tuer ou mourir, [...] se soumettre et survivre»

    Comme un chien bien dressé, un employé file à son bureau. Qu’importe son nom ; dilué en des milliers d’hommes, il n’est définissable que par sa fonction sociale. Minable et désespéré comme les autres, plus mort que vivant, il a soif de donner un sens à sa vie. Il a soif de sentiments, de moments de joie, d’héroïsme. Lorsqu’il croise la secrétaire à la sortie du bureau, il s’engouffre de tout son être dans cet échange anodin.

    Mon avis

    L’Employé est un roman dystopique sur l’aliénation au travail qui rappelle furieusement L’Homme au marteau de Jean Meckert. Obéissant, résigné, passif voire inerte, l’employé au centre de l’histoire a tout d’un anti-héros répugnant, mais il dit quelque chose de nous. Nous préférons souvent ne rien faire plutôt que d’agir, et c’est comme ça que nous laissons passer de plus en plus d’événements inacceptables.

    À travers les thèmes récurrents des dérives capitalistes et de l’individualisme, Guillermo Saccomanno montre les conséquences de l’escalade et de la banalisation de la violence, à la fois physique et psychologique. Si la radicalité des guérilleros augmente la riposte étatique, la passivité des personnes soumises (bien plus nombreux) n’est pas non plus la solution d’un monde meilleur. Tels des animaux, elles acceptent que des personnes de pouvoir définissent pour elles un espace vital, une liberté, de plus en plus restreints. 

    Si les traits sont forcés, il n’y a rien d’absolument surréaliste. Dystopique ou futuriste ?

    « Les guérilleros ont peut-être raison avec leurs attentats dans le métro : c’est la méthode la plus efficace pour en finir avec ceux qui n’affrontent pas leur destin5. »

    L’Employé est publié chez Asphalte, un éditeur engagé à la ligne éditoriale aboutie : les textes présentés dans la collection Fictions sont accompagnés d’une playlist choisie par l’auteur (disponible sur leur chouette site).

    Lisez aussi

    Jean Meckert L’Homme au marteau

    Thierry Beinstingel Retour aux mots sauvages

    Iain Levison Tribulations d’un précaire

    Littérature d'Amérique du Sud

     

    1. Page 65. -2. Page 80. -3. Page 102. -4. Page 151. -5. Page 57.
     

    L’Employé

    (El ofinista, titre original)

    Guillermo Saccomanno

    Traduit de l’espagnol (Argentine) par Michèle Guillemont

    Préface de Rodrigo Fresán

    Éditions Asphalte

    2012

    176 pages

    18 euros

    Pour ne pas manquer les prochaines chroniques, inscrivez-vous à la newsletter !

    « Wakolda ≡ Lucía PuenzoCôté cour ≡ Leandro Avalos Blacha »
    Partager via Gmail Pin It

    Tags Tags : , , , , , , , ,
  • Commentaires

    1
    Mercredi 19 Mars 2014 à 04:50
    Un roman sombre qui pourrait me plaire ...
    Merci pour l'idée :-)
    2
    Jeudi 20 Mars 2014 à 09:21
    Alex-Mot-à-Mots

    Le dernier roman distopique que je viens de lire ne m'a pas convaincu.

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    3
    Jeudi 20 Mars 2014 à 09:51

    C'était quoi ?

    4
    Jeudi 20 Mars 2014 à 09:59

    Je viens d'aller voir l'article en question ; effectivement, j'ai entendu parler de ce livre et pour le moment je passe mon chemin :)

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :