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    La rébellion zapatiste

     Jérôme Baschet

    (nouvelle édition)

    Flammarion

    2019

     

    La tournée en Europe d’une centaine de délégué·es zapatistes, de juillet à octobre 2021, est une formidable occasion pour moi de vous présenter La rébellion zapatiste, une étude très approfondie de la pensée zapatiste de l’historien Jérôme Baschet.

    Depuis presque trente ans, les communautés zapatistes occupent un territoire de la taille de la Bretagne dans l’état mexicain du Chiapas. D’un côté, elles revendiquent la dignité des autochtones, l’autonomie, l’autogouvernement, l’antiautoritarisme, le féminisme, le respect des différences et de la diversité ; et de l’autre, elles se construisent en opposition au capitalisme, au productivisme, à la mondialisation et au gouvernement mexicain.

    Par sa radicalité, sa longévité, son pragmatisme, sa cohérence, son ouverture d’esprit, son humilité, le mouvement zapatiste ne cesse d’inspirer les luttes du monde entier. On a tellement à apprendre des zapatistes, qui pourtant restent peu connu·es du grand public ! 

    « La terre pour nous n’est pas une marchandise. La terre ne nous appartient pas, c’est nous qui lui appartenons1. »

    Depuis le 1er janvier 1994, le mouvement zapatiste occupe une partie du territoire chiapanèque de la taille de la Bretagne. Les 39 communes autonomes se sont constituées dans une perspective anticapitaliste et altermondialiste, avec un ancrage territorial très fort. Jérôme Baschet explique que le mouvement s’oppose aux grands projets miniers, énergétiques, touristiques ou d’infrastructures et défend à l’inverse l’agroécologie paysanne (polyculture, engrais organiques, techniques non chimiques de contrôle des nuisibles) et le commerce solidaire de café pour parvenir à l’autosuffisance et démonétiser au maximum son économie.

    « Pour l’humanité et contre le capitalisme2 ! »

    Les zapatistes font un constat très lucide de la société : iels dénoncent le capitalisme, le productivisme et le colonialisme qui asservissent les êtres humains et font de la nature une marchandise et une propriété privée. Iels critiquent également la mondialisation qui détruit les cultures et le tissu social, ainsi que les discours médiatiques qui alimentent la peur et la vulnérabilité. Iels refusent aussi lEtat qui corrompt, centralise les pouvoirs et dicte l’agenda politique, l’Etat subordonné aux institutions transnationales et aux entreprises, qui organise la répression des populations et le contrôle social.

    Face à ce « mur capitaliste », à cette « tempête » en cours et à venir (qui n’est pas sans rappeler celle dénoncée par Malcom Ferdinand dans Une écologie décoloniale dont je vous parlerai bientôt), les zapatistes tentent de creuser des « brèches », afin que toutes les brèches ainsi créées puissent se rejoindre et abattre le mur.

    « Ils ont peur que nous découvrions que nous pouvons nous gouverner nous-mêmes3. »

    La lutte zapatiste s’inscrit dans une histoire forte de revendications et de luttes paysannes chiapanèques depuis les années 1970, et son nom même fait écho au mouvement social mené par Emiliano Zapata durant la révolution mexicaine de 1910 (tout en prenant de la distance avec la figure du chef, « el caudillo »).

    Cette lutte est également une réaction à la fraude électorale monumentale du président Carlos Salinas de Gortari en 1988 et à la fin des terres communales (« ejidos ») au profit de la propriété privée et des politiques néolibérales. Au niveau local, le Chiapas est l’un des trois Etats les plus pauvres du pays (et l’un des plus autochtones), où le racisme et l’esclavagisme sont encore prégnants. Quant au niveau mondial, la lutte zapatiste dénonçait lors de sa formation officielle le 1er janvier 1994 l’entrée en vigueur de l’ALENA qui a submergé le continent des productions états-uniennes.

    Dans ce contexte bien détaillé par l’auteur, l’idée n’est pas de s’emparer du pouvoir de l’Etat en créant un parti politique, un pouvoir centralisé, mais d’investir le pouvoir par le bas. Il s’agit d’organiser la société civile (les individus isolés, les associations, les organisations sociales indépendantes, ainsi que les « exclu·es » que sont les autochtones, les prisonnier·ères, les migrant·es, les homosexuel·les, les marginaux·ales) pour constituer une force politique et sociale, et offrir un espace de discussion démocratique pour que la société puisse résoudre elle-même ses problèmes.

    « Nous devons tous, à notre tour, être gouvernement4. »

    Le territoire zapatiste est composé de 5 zones, elles-mêmes constituées de 3 à 7 communes, regroupant elles-mêmes plusieurs villages. A chaque niveau il y a des assemblées et des autorités élues dont le fonctionnement peut différer d’une organisation à l’autre. L’EZLN, à l’origine du mouvement dans les années 1970, est une organisation politico-militaire distincte de cette organisation territoriale qui cherche surtout à créer un espace politique, démocratique, sans imposer ses propres décisions à la communauté.

    En 1996, le mouvement zapatiste a dévoilé les 7 principes qui sous-tendent sa vie communautaire : « servir et non se servir », « proposer et non imposer », « convaincre et non vaincre », « représenter et non supplanter », « construire et non détruire », « obéir et non commander », « descendre et non pas monter ». Ainsi, le mouvement a élaboré une relation qui n’est ni purement verticale, ni purement horizontale. Il se pense comme une démocratie à la fois représentative et directe. Le principe fondamental est « mandar obedeciendo » (« gouverner en obéissant »), selon lequel le peuple dirige et le gouvernement obéit. Autrement dit, le gouvernement n’obtient sa légitimité que parce qu’il fait appliquer ce que le peuple lui a demandé, et celui-ci n’obéit que parce que les décisions prises par le gouvernement sont conformes à sa volonté.

    « Ce sont des spécialistes en rien, encore moins en politique5. »

    Le mouvement zapatiste refuse la centralisation du pouvoir et l’instauration d’un·e chef·fe et d’expert·es, c’est pourquoi la politique est déspécialisée et décloisonnée pour répartir les responsabilités et donc éviter la concentration du pouvoir.

    Jérôme Baschet explique que les personnes ayant un mandat politique  exercent des charges (« cargos ») au service de la communauté tout en continuant partiellement leurs activités productives, afin de ne pas être déconnectées de la réalité, d’éviter la séparation entre gouverné·es et gouvernant·es, de ne pas exercer de « pouvoir sur ». Elles ne perçoivent pas de rémunération, leur mandat est non renouvelable et révocable à tout moment ; et, point très important, c’est la communauté qui propose les personnes qui seraient aptes à exercer ces charges : il n’y a donc pas de système d’élection entre différent·es candidat·es qui sont, de fait, poussé·es à entrer en compétition et à faire une surenchère de promesses pour obtenir le maximum de voix.

    « Dans la vision zapatiste, la démocratie est quelque chose qui se construit d’en bas et avec tous6. »

    Partant du principe qu’une décision ne sera pas appliquée si elle n’est pas largement approuvée et consentie, les instances zapatistes cherchent à obtenir les décisions par la discussion, parfois en ayant recours au vote majoritaire, avec des allers-retours de la plus haute autorité à la plus petite (le village). On recherche le consensus, et on apprend à écouter les autres sans imposer son avis et sans se croire supérieur·e aux autres. Plusieurs instances agissent comme des contre-pouvoirs, à l’instar de la commission de surveillance de chaque zone qui vérifie les comptes des conseils de bon gouvernement, pour vérifier que la délégation de pouvoir soit bien mise en place, sans abus.

    Le rapport à la justice vaut également le détour : les communautés ont recours à une justice de médiation qui réunit les parties, les écoute et mène l’enquête, avant de les inviter à trouver un accord. Chez les zapatistes, on ne résonne pas en termes de délits et de peines mais d’erreurs et de problèmes dans le but de trouver des solutions et des réparations pour les victimes. Il n’y a pas de système d’amende, ni d’emprisonnement, car iels estiment que la prison ne résout rien, et pire, qu’elle ajoute de nouveaux problèmes. En réaction au droit officiel très codifié, coupé du réel, surplombant la population et imposant son autorité et ses décisions, celles et ceux qui œuvrent à la justice n’ont pas de spécialité dans la résolution des conflits, et sont pourtant perçu·es comme légitimes par la communauté.

    Quant aux personnes fournissant un service à la communauté, comme les enseignant·es et les soignant·es, elles ne sont pas rémunérées, elles sont entretenues par la communauté qui couvre leurs besoins matériels, ou, si elles ont des terres, celles-ci sont cultivées par d’autres.

    Comme dans toute lutte pour l’émancipation, l’éducation collective est l’un des piliers de la pensée zapatiste, car elle forme les futures générations à la vie en communauté, hors du système capitaliste. Cela concerne certes les enfants, mais aussi les femmes qui sont encouragées à s’impliquer dans la vie politique et les hommes à prendre en charge une plus grande partie des charges familiales. L’auteur ne s’est malheureusement pas assez épanché sur ce sujet à mon goût, mais il semble que les zapatistes cherchent à surmonter progressivement les blocages et les difficultés que représentent ces changements de mentalité au sein d’une culture dont les rôles sont genrés et distincts. 

    « Tout ce que nous faisons est un pas ; il faut voir si cela fonctionne et, sinon, il faut le changer7. »

    J’ai été particulièrement conquise par l’humilité, le pragmatisme, l’honnêteté des zapatistes, qui sont en constante réflexion et progression, en observation de leurs propres échecs. Les zapatistes ne se considèrent pas comme une avant-garde, à la façon marxiste ou léniniste, qui saurait comment faire la révolution et qui prétendrait éclairer, guider le prolétariat vers LE chemin, LA vérité.

    Les 39 communes, formées d’au moins 6 ethnies chiapanèques (tzotzils, tzeltals, tojolabals, choles, zoque et mame), montrent que la diversité est une force et une richesse. Bien que ce soit difficile, elles essaient de construire un « nous » hétérogène, respectueux des différences de chaque personne ou de chaque groupe (sans pour autant s’enfermer dans des identités idéalisées, essentialistes, figées et cloisonnées, comme celle de « l’indigène »), et fondé sur des principes communs, à savoir au moins l’anticapitalisme. Le mouvement zapatiste, résolument opposé à une homogénéité et un dogmatisme fascistes, permet d’attirer des gens de bords politiques différents au sein de la gauche révolutionnaire et de ne pas créer de séparation entre les autochtones et les autres. Avec le temps, les zapatistes ont pris de la distance avec les théories marxiste, guévariste, maoïste, et revendiquent le droit à l’indéfinition (à une époque où tout le monde y va de sa théorie en -isme).  Iels refusent le catalogage (et Jérôme Baschet s’attache à ne pas réduire et simplifier leurs idées et leurs valeurs), iels acceptent d’être dans un processus permanent d’auto-transformation.

    Ce processus itératif est appelé « caminar preguntando » (« avancer en posant des questions ») : le chemin de la rébellion n’étant pas tracé par avance, il s’agit de chercher des solutions pratiques à mesure que les problèmes se présentent, de répondre aux interrogations, d’étudier les possibles qui surgissent sur le chemin et d’être au plus près de la réalité sociale. Ce processus d’auto-transformation se manifeste au quotidien, mais aussi lors des différentes consultations nationales et internationales pour définir la stratégie à mener (notamment par rapport au gouvernement mexicain en 1995).

    Mon avis

    Le mouvement zapatiste perdure depuis presque trente ans, malgré le harcèlement contre-insurrectionnel et les tentatives de récupération de la part de l’Etat mexicain, qui cherche à appâter les zapatistes avec des programmes sociaux plus ou moins vrais pour les pousser à quitter la communauté et à revenir dans le giron de l’institution coercitive et prompte à surveiller, voire confisquer la moindre initiative qui lui est étrangère.

    Comment se fait-il que le mouvement zapatiste ne soit pas très connu ? C’est pourtant, selon moi, l’expérience sociale anticapitaliste et d’esprit anarchiste la plus aboutie de toutes celles que je connais et de cette envergure. Ses réussites, ses difficultés, sa longévité montrent qu’un autre monde est réellement possible. Alors, votre curiosité a-t-elle été piquée ?

    Lisez aussi

    Essais

    L’ordre moins le pouvoir Normand Baillargeon

    "La Commune n'est pas morte" Eric Fournier

    La Commune Louise Michel

    Comment tout peut s'effondrer Pablo Servigne et Raphaël Stevens

    Une autre fin du monde est possible Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle

    Comment la non-violence protège l’État Peter Gelderloos

    La Domination policière Mathieu Rigouste

    La Force de l’ordre Didier Fassin

    Le fond de l'air est jaune Collectif

    Boulots de merde ! Julien Brygo et Olivier Cyran

    Propaganda Edward Bernays

    La prison est-elle obsolète ? Angela Davis

    Planète végane Ophélie Véron

    Le Ventre des femmes Françoise Vergès

    Littérature

    L’Homme au marteau Jean Meckert

    Les Coups Jean Meckert

    La Jungle Upton Sinclair

    Mendiants et orgueilleux Albert Cossery

    Les Mémorables Lidia Jorge

    Retour aux mots sauvages Thierry Beinstingel

     

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    La rébellion zapatiste

    Jérôme Baschet

    (nouvelle édition)

    Flammarion

    Collection Champs Histoire

    2019

    400 pages

    12 euros

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  • la commune louise michel bibliolingusLa Commune

    Louise Michel

    Éditions du Détour

    2020

     

    La Commune de Paris a 150 ans ! L’occasion pour moi de lire l’ouvrage de Louise Michel, célèbre communeuse, anarchiste, féministe et institutrice du XIXe siècle, qui ne se contente pas de raconter avec précision les faits auxquels elle a assisté et participé en 1871. Elle s’attache aussi à en offrir une analyse anarchiste qui résonne encore largement aujourd’hui. Petit plus pour l’éditrice que je suis : lire un document de 1898 réédité avec la typographie et la ponctuation originales !

    « Paris, qui ne voulait ni se rendre ni être rendu et qui en avait assez des mensonges officiels, se leva1. »

    Dans cet ouvrage, écrit un quart de siècle après, Louise Michel raconte avec précision les événements de la Commune de 1871, jour après jour, en s’appuyant sur ce qu’elle a vécu et vu (elle était alors âgée de 41 ans), mais aussi sur les rapports des généraux de l’armée française et les articles de presse de l’époque. C’est un travail monumental, car elle cite les noms des rues de Paris, les dates, et bien entendu ceux des protagonistes, qu’iels soient connu·es ou non.

    Louise Michel raconte tous les événements qui entourent la proclamation de la Commune de Paris le 28 mars 1871, depuis l’agonie de l’empire napoléonien, la persécution du mouvement ouvrier socialiste et internationaliste (entre 1865 et 1870), la guerre contre la Prusse, le siège et la capitulation de la France (1870), jusqu’à l’extermination des Communeux·ses durant la Semaine sanglante du 21 au 28 mai 1871, leur déportation et l’exil, ainsi que la terreur, la propagande et la censure imposés par les Versaillais.

    Finalement, dans son récit, elle parle assez peu d’elle-même, de son métier d’institutrice engagée, de ses faits d’arme dans les tranchées du 61e bataillon pendant la Commune, de ses années au bagne en Nouvelle-Calédonie (1873-1880), même si au détour des pages on cerne l’importance de son rôle dans la Commune de Paris. Car il s’agit avant tout de saluer, avec le lyrisme propre à Louise Michel, le courage, l’abnégation des Communeux·ses (terme moins péjoratif que Communard·es), qui ont mis leur intérêt personnel de côté pour se fondre dans la révolution. Il s’agit aussi de mettre en avant les femmes qui ont participé à la Commune, en tant que cantinières, ambulancières ou qui ont construit des barricades ou tenu les armes à l’instar de Louise Michel.

    « C’est que le pouvoir est maudit, et c’est pour cela que je suis anarchiste2. »

    Même si elle loue la détermination des Communeux·ses, Louise Michel apporte à son récit une perspective et une critique anarchistes et ne s’empêche pas d’avoir un regard critique sur les événements. L’armée française régulière aurait-elle pu vaincre la Prusse ? Pourquoi les fédéré·es n’ont-iels pas marché sur Versailles, dès le mois de mars, pour destituer le gouvernement officiel ? Pourquoi n’ont iels pas réquisitionné la Banque de France, alors qu’elle était accessible ?

    Pour Louise Michel, le pouvoir corrompt. La Commune, comme d’autres révolutions, s’est empêtrée dans le légalisme, les procédures de suffrage universel, le besoin de ne pas froisser l’opinion publique, au lieu de s’attaquer au gouvernement de la toute jeune république qui s’était enfui à Versailles.

    « Et moi, qu’on accuse de cette bonté sans limites, j’aurais sans pâlir, comme on ôte une pierre des rails, pris la vie de ce nain [Adolphe Thiers] qui devait faire tant de victimes3 ! »

    Elle souligne aussi, comme un regret, que les Communeux·ses, par bonté, par droiture, n’ont pas tué les Versaillais lorsque cela aurait probablement été stratégique (comme Adolphe Thiers, le chef du pouvoir exécutif). Iels se sont légitimement défendu·es lorsqu’iels ont été pris·es d’assaut par les soldats versaillais. Pour autant, l’issue aurait-elle été plus favorable s’iels avaient assassiné Thiers, comme Louise Michel se proposait de le faire ? On ne le saura jamais, mais, sauf en cas de légitime défense, l’assassinat n’est pas compatible avec une perspective anarchiste et antiautoritaire. Autrement dit, la fin ne justifie pas toujours les moyens.

    « Il fallait aux vieillards de Versailles ce bain de sang pour réchauffer leurs vieux corps tremblants4. »

    En revanche, les Versaillais ont massacré des milliers de personnes, qu’elles soient communeuses ou non. Il suffisait d’en avoir l’air ou d’être dénoncé·e par des voisin·es pour être fusillé·e et enterré·e dans les fosses communes comme les autres ! La Semaine sanglante a été si choquante que le nombre de meurtres a longtemps été surévalué, voire occulté, mais, d’après les différentes recherches, il y aurait eu au moins 10000 personnes assassinées en 8 jours (sans compter les simulacres de procès, les emprisonnements, les condamnations à mort, les déportations et l’exil qui eurent lieu dans les années qui ont suivi).

    Ce qui est frappant, c’est de voir combien les méthodes de propagande et de manipulation de l’empire napoléonien discrédité, puis du nouveau gouvernement républicain, semblent identiques à toutes les époques, et encore aujourd’hui où le pouvoir macronien est particulièrement chancelant.

    Pour silencier ou écraser les velléités démocratiques, tous les moyens sont mis en œuvre : les techniques d’espionnage et de contre-révolution, l’interdiction de certains journaux et des clubs pendant la Commune, l’interdiction des symboles de la révolution (comme le drapeau rouge), puis, plus tard, la succession de lois scélérates.

    Au nom de la « sécurité », de la « protection », du « maintien de l’ordre qui est la condition du progrès5 », le gouvernement appelle les bon·nes citoyen·nes à dénoncer les « bandits » qui veulent faire régner « l’anarchie »… Toujours les mêmes rengaines pour justifier la raison d’être de l’État, sa violence coercitive et le devoir de soumission.

    Décidément, tout cela ne vous rappelle rien ?

    Mon avis

    Quelle lecture édifiante, précieuse et passionnante ! Cependant, si vous ne connaissez rien à cette période historique, je conseille tout de même de garder sous le coude la fiche Wikipédia ou l’un des bouquins de l’historien Jacques Rougerie pour mieux situer les acteurs et actrices et avoir en tête le contexte politique et social.

    Depuis 150 ans, l’histoire de la Commune n’a eu de cesse de nous enthousiasmer et de nous horrifier ! L’imaginaire de la commune et de l’autogestion est resté très présent. J’en veux pour preuve la révolution russe de 1917, les événements de Mai 68, les expérimentations des Zapatistes au Mexique depuis les années 1990, le Rojava en Syrie depuis quelques années, ou, plus près de nous, les nombreuses zad (zones à défendre), Nuit debout en 2016, l’assemblée des Gilets jaunes de Commercy en 2019…

    En plus, les éditeurices ont repris la typographie et la ponctuation originale : autant vous dire que, en tant qu’éditrice, j’ai lu cet ouvrage avec beaucoup de curiosité, car la ponctuation et l’usage des capitales paraissent pour le moins hasardeuses aujourd’hui. Je ne sais pas si cet ouvrage est une exception de l’époque, mais les métiers d’édition et de correction se sont professionnalisés, les règles ortho-typographiques sont certainement plus normées et figées que par le passé.

    Bref, à l’occasion des 150 ans de la Commune, vous ne pouvez pas passer à côté des écrits de Louise Michel ! Foncez !

    Lisez aussi

    Essais

    "La Commune n'est pas morte" Eric Fournier

    La rébellion zapatiste Jérôme Baschet

    L’ordre moins le pouvoir Normand Baillargeon

    Comment tout peut s'effondrer Pablo Servigne et Raphaël Stevens

    Une autre fin du monde est possible Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle

    Comment la non-violence protège l’État Peter Gelderloos

    La Domination policière Mathieu Rigouste

    La Force de l’ordre Didier Fassin

    Le fond de l'air est jaune Collectif

    Boulots de merde ! Julien Brygo et Olivier Cyran

    Propaganda Edward Bernays

    La guerre des mots. Combattre le discours politico-médiatique de la bourgeoisie de Selim Derkaoui et Nicolas Framont

    La prison est-elle obsolète ? Angela Davis

    Littérature

    L’Homme au marteau Jean Meckert

    Les Coups Jean Meckert

    Mendiants et orgueilleux Albert Cossery

    Les Mémorables Lidia Jorge

    Retour aux mots sauvages Thierry Beinstingel

    Récits

    Vivre ma vie Emma Goldman

    Mon histoire Rosa Parks

    Je vous écris de l’usine Jean-Pierre Levaray

    Assata, une autobiographie Assata Shakur

     

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    La Commune

    Louise Michel

    Préface de Sidonie Verhaeghe

    Éditions du Détour

    2020

    496 pages

    26 euros

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  •  

    la Commune n'est pas morte Eric Fournier Bibliolingus« La Commune n’est pas morte »
    Les usages politiques du passé, de 1871 à nos jours

    Éric Fournier

    Éditions Libertalia

    2013

     

    À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris (et d’autres villes en France) en 2021, j’ai décidé de lire quelques ouvrages sur le sujet, et notamment celui d’Éric Fournier (publié par les admirables éditions Libertalia   et diffusé par ma librairie associative Alterlibris !) qui me faisait de l’œil depuis longtemps. Son ouvrage ne raconte pas les événements de la Commune à proprement parler, donc il faut avoir connaissance des grandes lignes avant de se plonger dans cette lecture, qui est, au demeurant, abordable, bien structurée, relativement courte, et surtout passionnante. L’auteur propose une perspective plutôt inhabituelle pour moi, consistant à analyser la mémoire et les usages politiques des événements historiques.

    « Trop de police, vive la Commune1 ! » (graffiti en 1872)

    Dans « La Commune n’est pas morte », l’auteur analyse la manière dont cet événement aussi inspirant qu’horrible a été perçu de 1871 à nos jours. Juste après le massacre, la mémoire versaillaise s’impose. Les Communard·es, présenté·es comme des barbares, des alcooliques, ont été fusillé·es à la chaîne durant la Semaine sanglante en mai 1871, enterré·es dans des fosses communes ou envoyé·es au bagne. Mais, très vite, il s’agit de supprimer toute trace des fédéré·es. Sous la pulsion du régime de l’Ordre moral, la basilique du Sacré-Cœur est érigée à Montmartre en hommage aux rares hommes tués par les Communard·es — ce qui est une insulte aux 5000 à 10000 personnes assassinées seulement durant la Semaine sanglante, sans compter les exécutions ultérieures et les personnes décédées de leurs blessures (chiffres variant selon les sources). De l’autre côté, les survivant·es, qui se sont exilé·es en Suisse, en Belgique, en Angleterre sont muselé·es par les lois de censure de 1871 et 1872, avant d’être autorisé·es à revenir discrètement en France lors du vote de l’amnistie en 1880.

    Dans la suite de l’ouvrage, l’auteur raconte comment la Commune de Paris a été récupérée, réappropriée, instrumentalisée par les différents bords politiques, lors des grands événements historiques qui ont jalonné le XXe siècle. Les différents courants de la gauche n’ont eu de cesse de tisser des liens entre la mémoire de la Commune et les enjeux sociaux de leur temps pour galvaniser la lutte, en particulier lors du Front populaire dans les années 1930, lors des deux guerres mondiales et durant Mai-68.

    Chaque courant politique sélectionne les événements et les aspects de la Commune qui viennent corroborer ses positions, ce qui n’a pas été sans tension entre les communistes et les anarchistes, entre les modéré·es et les radicalaux. Par exemple, la Commune a été un repère pour la révolution russe de 1917, car Lénine y voyait l’exemple de ce qu’il ne fallait pas faire : pour lui, la révolution était trop désorganisée et modérée, et son échec justifiait la mise en place de la dictature du prolétariat, la discipline et la centralisation du pouvoir.

    Après une période d’oubli, le centenaire en 1971 marque un tournant dans la manière dont la Commune est commémorée dans les courants de la gauche. Si elle a longtemps été honorée pour ses martyrs, avec la traditionnelle manifestation annuelle au mur des fédéré·es du cimetière Père-Lachaise, la commémoration est devenue plus festive à partir de la fin des années 1960, la Commune étant davantage perçue comme une inspiration révolutionnaire, une reconquête de l’espace public, notamment pour les libertaires.

    Mais Éric Fournier raconte que la mémoire de la Commune a aussi été instrumentalisée par l’extrême-droite identitaire pour louer le nationalisme des fédéré·es qui défendaient le pays face à la Prusse. Dans les années 1930 et 1940, avec la peur de voir une nouvelle poussée révolutionnaire, la Commune était utilisée par les militaires pour élaborer des mesures contre-insurrectionnelles.

    Grâce aux travaux de recherche et au temps qui a fini par atténuer la sidération face à l’horreur commise par les versaillais, il est possible désormais d’étudier la Commune avec une certaine distance critique, d’interroger les événements sans faire preuve de manichéisme, sans simplifier et instrumentaliser les faits historiques. Même si d’un côté, la parole officielle (à travers le gouvernement et les manuels scolaires) adopte soit un discours pro-versaillais, soit le silence, de l’autre, les recherches historiques et les œuvres culturelles viennent rétablir les faits, et redonner de la puissance aux idéaux des Communard·es.

    Mon avis

    En tant que libertaire, je vois dans la Commune de Paris (et de plein d’autres villes de France, rappelons-le), un événement fort inspirant. Le courage et la détermination des Communard·es ne peut que nous galvaniser. L’échelle de la commune, composée de plusieurs milliers de personnes, est effectivement propice à l’auto-organisation anarchiste, à la mise en œuvre d’une véritable démocratie directe, pour mettre un terme à toute forme d’oppression et faire face aux défis sociaux et écologiques qui nous attendent.

    Tout système fondé sur la délégation du pouvoir est voué à l’échec et n’aboutira jamais à la justice, à l’égalité et à l’épanouissement individuel et collectif. Le pouvoir corrompt, c’est systém(at)ique. La propagation du Covid n’est qu’une preuve parmi tant d’autres que la classe dirigeante (qu’elle soit républicaine ou monarchique) profite des problèmes, des dangers, des crises, pour resserrer la bride des gens et consolider son propre pouvoir, sans jamais chercher une sortie, une solution pour le bonheur des êtres vivants, qu’ils soient humains ou non.

    C’est pourquoi le carnage de la Commune démontre aussi que la classe dirigeante, terrorisée à l’idée de perdre ses privilèges, peut écraser toute velléité démocratique. À l’heure actuelle, la classe dirigeante ne tient que par la force de sa police et la complaisance de ses médias. On sait ce qui nous attend, nous qui sommes déjà réprimé·es, surveillé·es, réduit·es au silence pour quelques manifestations ou pour quelques excursions zadistes, hors du système capitaliste et autoritaire. Toutes nos sorties hors du chemin balisé sont sanctionnées, et pourtant elles sont nécessaires, inévitables, si l’on veut protéger ce qu’il reste de la planète et voir advenir des communautés décentralisées, plurielles, coopératives, bienveillantes, résilientes, respectueuses de notre maison-Terre. Organisons-nous, cultivons la résistance dans nos vies, ou résignons-nous à la soumission.

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    Essais

    La Commune Louise Michel

    L’ordre moins le pouvoir Normand Baillargeon

    Comment tout peut s'effondrer Pablo Servigne et Raphaël Stevens

    Une autre fin du monde est possible Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle

    Comment la non-violence protège l’État Peter Gelderloos

    La Domination policière Mathieu Rigouste

    La Force de l’ordre Didier Fassin

    Le fond de l'air est jaune Collectif

    Boulots de merde ! Julien Brygo et Olivier Cyran

    Propaganda Edward Bernays

    La guerre des mots. Combattre le discours politico-médiatique de la bourgeoisie de Selim Derkaoui et Nicolas Framont

    La prison est-elle obsolète ? Angela Davis

    Littérature

    L’Homme au marteau Jean Meckert

    Les Coups Jean Meckert

    Mendiants et orgueilleux Albert Cossery

    Les Mémorables Lidia Jorge

    Retour aux mots sauvages Thierry Beinstingel

    Récits

    Vivre ma vie Emma Goldman

    Je vous écris de l’usine Jean-Pierre Levaray

     

    1. Page 35.

     « La Commune n’est pas morte »

    Les usages politiques du passé, de 1871 à nos jours

    Éric Fournier

    196 pages

    2013 (pour la seconde édition)

    13 euros

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