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    Beloved

    Toni Morrison

    Christian Bourgeois éditeur

    1989

     

    Roman phare de Toni Morrison, Beloved raconte l’histoire de Sethe, qui en 1873 est une esclave affranchie vivant seule avec sa fille Denver. Roman mystique, sombre et nécessaire, Beloved décrit la violence de l’esclavagisme du XIXe siècle, et surtout la dépossession séculaire intime, culturelle, historique de plusieurs millions de Noir·e·s, mais Toni Morrison invoque aussi l’estime de soi pour panser les plaies ancestrales.

    « Tous ceux que j’ai connus sont morts ou partis, ou morts et partis. Pas elle. Pas ma Denver1. »

    En 1873 dans le sud de l’Ohio, Sethe, une esclave noire affranchie, vit seule avec sa fille Denver. Son mari a disparu, la grand-mère est décédée, ses deux fils aînés sont partis très jeunes. Les deux femmes vivent recluses dans ce village peuplé d’hommes et de femmes affranchi·e·s, car leur maison est hantée par l’esprit de Beloved, la fille aînée de Sethe, décédée lorsqu’elle était bébé. Les meubles valsent et les fenêtres claquent sous la fureur du bébé, mais la présence de l’esprit est la seule compagnie de ces deux femmes isolées et meurtries par leur passé.

    Un jour, un homme noir arrive chez elles. C’est Paul D, un des compagnons de souffrance de Sethe, du temps où il·elle·s étaient esclaves dans la même ferme, 18 ans plus tôt.

    Mon avis

    Roman phare de Toni Morrison, Beloved m’a emporté dans cette Amérique esclavagiste. J’ai adoré l’histoire, les thèmes et le style très particulier de l’autrice.

    Jusqu’à présent, je n’ai pas lu de roman qui décrive aussi bien la violence et la dépossession de l’esclavage au XIXe siècle (il existe bel et bien toujours sous des formes différentes, et j’aurai certainement l’occasion d’y consacrer une chronique). Les violences physiques bien sûr, avec les chaînes, le fouet, le mors (oui, oui), les unions forcées (on parle de saillies comme chez les animaux), et les violences psychologiques, car les personnes sont vendues comme des meubles, séparées brutalement des autres membres de leur famille, et les esclaves peuvent ne même pas avoir de prénom. Sethe, qui ne sait pas lire, ignore son identité officielle écrite sur ses papiers, celle du « monde des Blancs ».

    Beloved montre la méconnaissance extrême de soi quand on est réduit en esclavage toute sa vie : on ne fait qu’obéir, on ne se connaît pas, ni ses talents, son caractère, sa façon d’être dans le monde. Sethe n’a pas de souvenir de sa mère ni de la langue qu’elle parlait enfant. Dans ce drame historique, culturel et personnel, la généalogie est brisée à chaque génération, laissant à l’abandon des personnes sans repères, sans passé, sans avenir, et les schémas semblent se reproduire aveuglément et indéfiniment. Les Noir·e·s sont amené·e·s dès le plus jeune âge à se détester : leur couleur de peau, leurs cheveux, leur culture. Cela fait écho aux romans excellents et passionnants de Léonora Miano que je vous encourage à découvrir si ce n’est pas encore fait. A travers le personnage de Baby Suggs, la grand-mère, Toni Morrison tente de nourrir cet amour de soi, cette estime nécessaire pour panser les plaies ancestrales de nos sociétés esclavagistes.

    Les romans de Toni Morrison sont certes très sombres, mais son style donne une tonalité très particulière à l’ensemble. L’autrice a une curieuse façon d’introduire les événements, les lieux et les personnages. Elle le fait de manière indirecte, imagée, ou par petites touches, ce qui rend assurément la lecture captivante, même si j’ai lu ici et là que ça pouvait être difficile à suivre. J’ai aimé la poésie qui imprègne ce roman : par exemple lorsque Sethe se rend à la foire (réservée aux gens de couleur) avec Denver et Paul D et que leurs ombres se donnent la main, ou lorsque Paul D se rend dans le Nord des Etats-Unis en observant la floraison, ou encore la manière dont Paul D parle de son cœur comme d’une tabatière en fer-blanc avec un couvercle fermé par la rouille. L’ambiance de Beloved est également très mystique et j’ai aimé cet entre-deux mondes palpable : il n’est pas étonnant qu’un esprit habite une maison, et les maisons elles-mêmes ont une âme qu’il convient de ménager.

    Voilà une très belle et nécessaire lecture, je suis très heureuse d’avoir découvert Toni Morrisson !

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    Claire Duplan Camel Joe 

     

    1. Page 65.

    Beloved

    Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Hortense Chabrier et Sylviane Rué

    Toni Morrison

    Editions 10/18

    2017

    382 pages

    8,10 euros

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  • Commentaires

    1
    Lundi 23 Octobre 2017 à 19:26
    Alex-Mot-à-Mots

    Un excellent souvenir de lecture.

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    2
    Lundi 23 Octobre 2017 à 22:11

    Je ne l'ai pas lu, je note. J'aime l'écriture de Toni Morrisson

      • Mardi 24 Octobre 2017 à 17:18

        Au début, j'ai eu un peu de mal, avec Tar baby, mais dans Beloved je trouve que l'ensemble est plus fluide!

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