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    Allers-retours André Schiffrin

     

    Allers-retours

    Paris-New York.
    Un itinéraire politique

    André Schiffrin
    Liana Levi
    2007

    André Schiffrin retrace son parcours d’éditeur politique, de son exil aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale jusqu’à ses dernières années.

    L’homme et l’édition libre

    Lorsqu’on parle d’André Schiffrin, on parle surtout de sa carrière d’éditeur aux États-Unis et de celle de son père, Jacques Schiffrin, qui a créé la Pléiade, rachetée ensuite par Gallimard en 1933. Depuis qu’il a publié son premier livre en France, il y a quinze ans, André Schiffrin incarne en France l’édition libre, indépendante des pressions économiques et politiques, et exigeante.

    Dans ce récit de souvenirs, Schiffrin revient sur sa carrière de presque trente ans au Pantheon, la prestigieuse maison new-yorkaise où avait également travaillé son père. Il revient sur les auteurs qu’il a publiés et qui sont désormais mondialement connus, comme Noam Chomsky et Eric Hobsbawn. Une à une, les maisons d’édition ont été absorbées par des groupes qui ont fait de leur business non pas les livres mais les maisons d’édition elles-mêmes : entre fusions et rachats, les maisons devaient obtenir 20 % de bénéfice, alors que le secteur tourne autour de 3 %. Quand sa propre maison a été rachetée, il a démissionné et monté en 1991 The New Press, une maison d’édition au statut associatif qui a acquis une grande aura aujourd’hui.

    Schiffrin n’a pas seulement revendiqué la nécessité d’une édition libre, mais aussi d’une presse libre. Les médias, télé, presse écrite et web, sont sous le joug de la rentabilité, laquelle exige davantage d’annonceurs publicitaires pour financer l’entreprise. Et qui dit publicité dit besoin d’augmenter l’audience. Et l’exigence d’une plus forte audience passe par la baisse des contenus, devenant de plus en plus spectaculaires, humiliants, violents, haineux, réactionnaires, stupides, réducteurs, falsifiés. Schiffrin prouve par son parcours que ce sont nos médias qui forgent notre représentation du monde.

    L’homme et la politique

    De Schiffrin, on connaît moins son histoire personnelle. Allers-retours retrace son exil aux États-Unis lorsque son père a été renvoyé par Gaston Gallimard en 1939 parce qu’il était juif. Il raconte sa nouvelle vie à New York et le début de son engagement politique lors du Maccarthysme et de la guerre froide qui ont tué le communiste, et même l’idée du « social », sur le sol américain. Lui-même, de par son histoire familiale et le contexte dans lequel il a grandi, se revendique d’un socialisme modéré.

    Son témoignage rappelle combien les États-Unis et l’URSS se sont érigés en souverains par la manipulation et la force armée (en Amérique du Sud pour l’un et en Europe de l’Est pour l’autre). Schiffrin lui-même, en tant que leader de son parti étudiant socialiste, a été financé par la CIA pour aller prêcher la liberté de parole américaine en Europe, à une époque où, justement, l’hystérie anti-communiste ambiante muselait les esprits.

    Pour finir

    Lorsqu’on parle de Schiffrin, on pense effectivement à l’éditeur qui a pris position pour l’édition indépendante et contre les grands groupes, au Français qui a vécu à New York, partagé entre deux cultures qu’il n’aura eu de cesse d’analyser et de comparer.

    On pense moins à Schiffrin issu d’une famille d’intellectuels aisée qui a gravité autour de grands noms, comme Gaston Gallimard, André Gide, Roger Martin du Gard, Hannah Arendt et d’autres ; à celui qui a intégré de brillantes universités par cooptation et qui a suivi les traces de son illustre père. Si ces souvenirs sont passionnants, plein de perles rares (lorsqu’il rencontre Gide et Gallimard à 13 ans), le parcours de Schiffrin valide néanmoins la théorie bourdieusienne qui érige le capital social en facteur de réussite, ce qui fait forcément écho à l’édition parisienne fermement délimitée par le conservatisme, la cooptation et le snobisme petit-bourgeois.

    Schiffrin renvoie à la définition de l’éditeur contemporain : du talent pour sentir les débats publics et aller à la rencontre des auteurs divergents, et la capacité à emmener les siens, éditeurs et auteurs, vers une nouvelle aventure éditoriale. En homme discret, il a écrit des souvenirs politiques empreints de pudeur et de modestie. Il n’a pas évoqué sa vie personnelle mais seulement sa vision du monde, car c’est précisément ce qu’on attend de son témoignage — la vie privée reste privée.  

    Refermer Allers-retours, c’est remercier une nouvelle fois Schiffrin de m’avoir fait découvrir l’édition et d’avoir donné un sens à mon métier. Écrire cette chronique, c’est lui dire au revoir et regretter de ne pas avoir réussi à le rencontrer. À nous de prendre la relève, de porter haut notre idéal pour que le monde nous écoute.

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    Allers-retours
    Paris-New York. Un itinéraire politique

    André Schiffrin
    (A Political Education, titre original)
    Traduit de l’anglais par Franchita Gonzalez Batlle
    Éditions Liana Levi
    2007
    288 pages
    22 €

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 16 Mai 2014 à 11:35
    Alex-Mot-à-Mots

    Porter un idéal ? Une tâche quotidienne ardue.

    2
    Vendredi 16 Mai 2014 à 12:32

    Oui !

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