• Finir totalitarisme Martelli Bibliolingus

    Pour en finir avec le totalitarisme

    Roger Martelli

    La Ville brûle

    2012

     

    Qu’est-ce que le totalitarisme ? En quoi le nazisme allemand, le fascisme italien et le stalinisme russe se ressemblent-ils et diffèrent-ils, et peut-on les qualifier de régimes totalitaires ? Roger Martelli cherche à en finir avec les peurs injectées par les partisans du libéralisme : et si toute sortie du libéralisme versait dans « le totalitarisme » ?

    « Tous les totalitaires ne se valent pas1»

    L’ouvrage de Roger Martelli, historien du communisme et militant, examine de façon critique la pertinence du concept historique et idéologique du « totalitarisme » qui a gagné en importance dans les années 1970 pendant la guerre froide, et pour cause. Utilisé comme un épouvantail, le terme est une arme idéologique du bloc de l’Ouest pour l’opposer au libéralisme, le « monde libre ».

    L’auteur distingue deux termes : le « totalitaire » qui peut se rapporter à une période historique précise (1933-1945), et le « totalitarisme » qui désigne un concept idéologique. Le totalitarisme est souvent utilisé pour définir le régime contemporain lorsqu’il est « globalitaire », ce vers quoi on tend si on n’y prête pas garde (le Big brother de George Orwell). Mais ce concept est à manipuler avec précaution car en provoquant la peur, il empêche de penser la possibilité même d’un système alternatif au capitalisme.

    Roger Martelli explique à la fois la genèse du concept et compare les trois régimes qualifiés de totalitaires dans les manuels d’histoire : le nazisme allemand, le fascisme italien et le stalinisme russe. Chaque régime, né dans des conditions sociales, économiques et politiques différentes, est à la fois le fruit de la volonté subversive et du poids des circonstances qui a forcé la tragédie (impérialisme et colonialisme, nationalisme et racisme, chômage et ressentiment du peuple). Roger Martelli oppose également les fascismes européens (Hitler et Mussolini) au stalinisme russe, lequel est le résultat malheureux d’une révolution populaire qui a dérivé suite à la rupture entre Lénine et Staline.

    Mais surtout, l’auteur soulève un point important : dans la lutte contre les régimes totalitaires, ce n’est pas le courant libéral, qui faisait peu de poids par rapport au socialisme européen et au nationalisme, qui s’est opposé aux totalitaires, mais les forces de gauche, celles-là même qui étaient soupçonnées de totalitarisme, et c’est pourtant le libéralisme qui s’est imposé comme vainqueur des totalitarismes.

    « Ce n’est pas par accident que, pendant les années d’apogée des fascismes européens (1933-1945), l’URSS totalitaire a été presque continûment du côté des démocraties occidentales, alors même que ces démocraties la tenaient à l’écart. Si l’on s’en tenait à la simplicité du couple démocratie/totalitarisme, on pourrait ainsi se trouver devant des raisonnements confinant à l’absurde. Au cœur de la longue conflictualité impulsée par le choix de 1914, il faudrait rendre compte d’un paradoxe tout aussi heureux que surprenant : on aurait, d’un côté, des totalitarismes qui s’allient malgré des différences réputées fondamentales (le fascismes italien et le nazisme allemand) ; de l’autre côté, des totalitarismes qui s’affrontent, en dépit de ressemblances tenues pour tout aussi essentielles (le nazisme allemand et le stalinisme soviétique). Mais si le paradoxe est à ce point intellectuellement ingérable, à quoi bon prétendre rassembler, dans une essence commune, des phénomènes structurellement polarisés, jusqu’à se vouer la plus inextinguible des haines2 ? »

    Pour finir

    Voilà un sujet délicat et particulièrement passionnant. Roger Martelli prend certaines positions provocantes, à rebours de l’histoire officielle, qui méritent de s’accrocher à la lecture. Car oui, il faut le reconnaître, l’ouvrage est difficile à lire parce qu’il manipule des morceaux d’histoire et de concepts historiques et économiques sans les expliciter. Mieux vaut donc avoir revu récemment l’histoire du XXe siècle et compléter ensuite avec d’autres sources pour se faire sa propre opinion.

    Les éditions indé La Ville brûle ont réussi un tour de force : avec son petit format carré, ses 160 pages et son prix modique, elles sont parvenues à rendre le contenu moins intimidant. La couverture attirante, la typo assez grosse, les chapitres divisés en sous-parties et la bibliographie très fournie invitent à se plonger dans ce sujet ô combien difficile. C’est là la force de l’ouvrage, mais aussi sa faiblesse, car le propos est ramassé dans un argumentaire bien articulé, et j’aurais aimé que certains points soient davantage développés.

    Roger Martelli termine sur un point : toute révolution est-elle destinée à l’évolution dramatique que connut la révolution d’Octobre en 1917 ? Martelli n’a pas la réponse à cette question, mais il invite à « comprendre le ferment du dérapage totalitaire3 » et montre à quel point il est essentiel de comprendre le passé pour savoir comment agir maintenant.

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    1. Page 157. - 2. Page 153. - 3. Page 159.

    Pour en finir avec le totalitarisme
    Roger Martelli
    La Ville brûle
    Hors collection
    2012
    160 pages
    10 euros

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  •  Zaï zaï zaï zaï Fabcaro Bibliolingus

    Zaï zaï zaï zaï

    Fabcaro

    Éditions 6 pieds sous terre

    2015

     

    En un mot

    Dans le monde absurde de Fabcaro, ne pas avoir sa carte de fidélité du supermarché est un délit ! Avec un trait sensible et minimaliste de couleur ocre, Fabcaro livre un road movie particulièrement drôle et grinçant qui critique la société moderne.

    Mon avis

    Tout commence lorsque Fabrice, auteur de BD, va au supermarché et se rend compte qu'il n'a pas sa carte de fidélité. Rendu coupable de délit, le vigile intervient aussitôt et le menace de faire une roulade arrière si Fabrice n'obtempère pas immédiatement. Acculé, Fabrice brandit alors dangereusement un poireau trouvé là, et s'enfuit du magasin, avec toute la police nationale à ses trousses. Attention au criminel le plus recherché de France !

     zai zai zai zai extrait bibliolingus

     

    Les trois premières pages témoignent bien de l'esprit de Fabcaro. Avec cet élément déclencheur, Fabcaro déroule un road movie qui prendra une ampleur absurdement phénoménale. Avec la fuite de Fabrice comme fil conducteur, Fabcaro déroule un ensemble de gags tous absurdes et loufoques. Préjugés, conformisme, racisme ordinaire, paranoïa, hypocrisie et voyeurisme... Tout le monde en prend pour son grade, à commencer par les médias à l'affût du moindre scoop, l'opinion populaire, les racontars et les discussions de comptoir. Même le milieu de la BD est pris pour cible !

    Chaque page offre une chute désopilante qui s'insère habilement dans l'histoire globale. Comme si les personnages avaient avalé un sérum de vérité, Fabcaro joue sur la démesure des sentiments, que ce soit dans l'exagération ou dans l'indifférence totale.

    Les dessins m'ont beaucoup plu. Faits de traits sensibles et minimalistes, refaits à l'identique autant de fois que nécessaire, ils ne comportent qu'une seule couleur, l'ocre, mise en scène dans l'ombre et la lumière.

    Publiée par les éditions 6 pieds sous terre, Zaï zaï zaï zaï est une BD à l'humour aussi jouissif que perçant. Jusqu'à la dernière planche, on se marre bien ! Fabcaro s'en donne à cœur joie, et mon plaisir n'a été que plus grand. Bref, je n'ai pas pu m'empêcher de rire dans les transports en commun avec ce petit livre ravissant ! Je suis conquise mais frustrée : c'était bien trop court et j'aurais volontiers prolongé ma lecture.

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    bibliolingus les cahiers desther riad sattouf blog livre Les Cahiers d'Esther
    Tome 1
       

    Zaï zaï zaï zaï
    Fabcaro
    Éditions 6 pieds sous terre
    Collection monotrème

    2015
    72 pages
    13 euros

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  • Salon du livre Paris 2016J'entends ta voix Kim Young-ha

    J'entends ta voix
    Kim Young-ha

    Rentree litteraire 2015 Bibliolingus

    Éditions Philippe Picquier
    2015

    L'histoire de Jeï, un jeune ado charismatique, qui devient le leader d'une bande de jeunes vagabonds à Séoul.

    « Que ce soit un objet, une machine, un animal ou un humain, quand quelqu'un ou quelque chose subit une souffrance qu'il ne mérite pas, je la ressens aussi1. »

    Séoul. Le narrateur, Dongkyu, témoigne de l'histoire de Jeï, un jeune homme né dans les toilettes publiques d'une mère adolescente. Recueilli puis abandonné, Jeï mène une vie de vagabond. Autodidacte, empathique et ascète, Jeï développe une grande sensibilité envers les autres, qu'ils soient humains, animaux ou objets. Il ressent la souffrance et fait corps avec l'autre.

    Très vite, il sait qu'il n'est pas comme les autres. Conscient de la misère, de la précarité et de l'exclusion d'une frange de la jeunesse sud-coréenne dont il fait partie, il sent bouillir en lui une colère que rien ne peut éteindre. Chaque jour, il voit les jeunes qui vivent dans la rue, en marge de la société, qui se prostituent et sont persécutés dans le déni le plus total. Chaque jour, il voit comment ces jeunes, qui ne sont pas faits pour les études ou qui n'ont pas les moyens de les payer, sont traités comme des chiens par la société sud-coréenne.

    Hors du commun, doté d'une aura mystérieuse et envoûtante, Jeï est écouté de ses semblables. Il sent qu'il est voué à faire quelque chose d'exceptionnel. Il ignore encore comment utiliser son don de sensibilité, mais il sait qu'il entrera dans la légende.

    Pour finir

    J'entends ta voix, sorte de roman biographique, raconte l'histoire de Jeï, un jeune homme de Séoul qui a été le leader, ou le gourou, d'une bande de jeunes vagabonds sud-coréens. Jeï a vraiment existé, et si le roman de Kim Young-ha a pu naître, c'est parce qu'il a rencontré Dongkyu, son ami d'enfance, qui lui a confié tous ses souvenirs et ses journaux intimes.

    Bien documenté, Kim Young-ha donne à voir un monde souterrain violent, précaire, dégradant, ignoré ou nié par l'État et la majorité de la population. Cette jeunesse muette, qui occupe la couche sociale la plus basse avec des jobs de merde ou humiliants, ne parvient pas à crier sa colère à la face du monde. Seule la police, qui se confronte à elle et abuse de sa position de pouvoir, l'entend et la réprime. Dans ce contexte, on observe les rapports de domination entre les individus, les pressions sociales qui s'exercent sur les individus, la formation des groupes et des leaderships.

    Kim Young-ha, auteur résolument engagé et sensible, nous livre un texte fort, porté par la légende de Jeï, et publié par les éditions Philippe Picquier. Encore une belle découverte coréenne !

    « Ce que décrivait Jeï, c’était exactement ce que j'étais en train de vivre. La seule odeur de la pizza me donnait la nausée. Chaque nuit, épuisé, en m'endormant je me demandais si je ne devais pas rentrer à la maison et retourner en cours. Dans ce cas, j'aurais bénéficié d'une illusoire sécurité pendant deux ans au maximum. Ensuite, avec les mauvaises notes que j'aurais eues, je n'aurais aucune chance d'intégrer une bonne université. Retourner en classe n'avait donc pas de sens. Pour autant, je n'aimais pas la vie que je menais. Les jeunes dans la précarité étaient au même niveau que les immigrés clandestins, ou presque. Ils touchaient le minimum et se faisaient humilier, mais ils ne pouvaient rien dire. La plupart n'avaient même pas conscience d'être traités comme des chiens2. »

     

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    1. Page 146. -2. Pages 183-184.

    J'entends ta voix Kim Young-ha
    (titre original : Noewi moksorika deulyeo)
    Traduit du coréen par Kim Young-sook et Arnauld Le Brusq
    Éditions Philippe Picquier
    2015
    320 pages
    19,50 euros

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