-
La Belle Affaire
Sonia Ristić
Éditions Intervalles
2015Nadja, la quarantaine, qui donne des cours d’écriture dans le Vermont pendant l’été, remonte dans ses souvenirs d’enfance en Afrique, et repense particulièrement à un événement qu’elle n’a pas su oublier.
« Une belle vie, avec un mari qui s’obstinait à la sauver jour après jour, des enfants,
un travail, des voyages1. »Nadja, auteur de films et de livres, a quarante ans. Chaque été depuis quelques années, elle anime des ateliers dans une fac en Nouvelle-Angleterre aux États-Unis, loin de son mari et de ses deux enfants. Mais Nadja est une femme étrange, un peu lointaine et détachée de la réalité, et une fois de l’autre côté du continent, elle oublie tout, tout sauf la seule chose qu’elle aurait dû oublier, cet événement qui a eu lieu il y a 25 ans lorsqu’elle vivait en Afrique avec ses parents.
Petit à petit, dans cet été caniculaire, elle déroule le fil de ses souvenirs, par petites touches, et renoue avec son enfance. Habitée par ses souvenirs, nous faisons des allers et retours entre les États-Unis et sa petite ville proprette et ennuyeuse, la France où elle vit avec sa famille et son enfance en Afrique. Elle y retrouve l’instant de tous les possibles et se libère progressivement des limites que les parents posent pour nous, à notre insu, à travers l’éducation.
Pour finir
La Belle Affaire, publié par les éditions indépendantes Intervalles, est un roman féminin, du genre de ceux que j’évite. Même si j’ai vu d’emblée que la trame était somme toute assez classique, de la femme tourmentée qui, parvenue à la quarantaine, remonte le fil de sa vie, j’ai trouvé que l’ensemble fonctionnait et était addictif et engageant.
C’est vrai qu’on trouve le côté un peu usé et agaçant de la femme fugace, inaccessible, pas du tout terre à terre, carrément irréaliste et romancée, à commencer par le choix du prénom Nadja (ouh ces écrivains !). Et pour forcer sa personnalité mystérieuse, voire vaporeuse, on devine certains ajustements dans l’histoire pour ménager de l’effet, et le résultat n’est pas toujours crédible honnêtement. Par exemple, quel écrivain n’angoisse pas de savoir si son texte va plaire à un éditeur ?! Qui a déjà oublié de choisir les prénoms de ses jumeaux avant l’accouchement ? Je vous le demande !
Mais il fonctionne car il est composé de chapitres courts, écrits au présent, qui ouvrent des portes et appellent d’autres chapitres, le tout formant une lecture entraînante. Au-delà de la forme que l’auteure maîtrise avec assurance, ce roman fonctionne car c’est justement le mystère entourant son enfance en Afrique dans des pays politiquement instables qui apporte une valeur à l’histoire a priori ordinaire. Mine de rien, on a envie de savoir ce qui s’est véritablement passé à cette époque, et la chose est bien conservée, dévoilée peu à peu, avec une petite claque à la toute dernière page !
Ce n’est pas le roman de l’année, mais c’est un bon roman addictif avec lequel on passe un moment agréable et qui évoque de belles images de l’enfance fait de joie, de tolérance et de transparence.
Merci aux éditions Intervalles pour leur confiance.
1. Page 31.
La Belle Affaire
Sonia Ristić
Éditions Intervalles
2015
152 pages
15 euros
2 commentaires -
Écologie et cultures populaires
Les modes de vie populaires
au secours de la planète
Paul Ariès
Éditions Utopia
2015Soyez pauvres, c'est écolo ! Selon Paul Ariès, les milieux populaires ont un meilleur bilan écologique que les riches. C’est avec la culture populaire, souvent marginalisée ou confondue avec la culture de masse, avec sa façon de vivre et de penser, que la transition écologique se fera.
Les milieux populaires ont un meilleur bilan écologique que les riches
Voilà une prise de position étonnante, et pourtant réaliste. Il s’appuie sur des études et des statistiques pour montrer que les milieux populaires ont un meilleur bilan écologique que les riches et que les personnes se prétendant écolos elles-mêmes. Pourquoi ? parce que leur façon de penser, leur histoire, leurs modes de vie (l’alimentation, les transports, le logement, les loisirs), les amènent à consommer autrement. Ce n’est pas qu’ils consomment moins, ils consomment différemment grâce à leurs prédispositions culturelles, leur culture du peu.
Paul Ariès ne dit pas que leur mode de vie est exemplaire, mais qu’il offre une bonne base pour une attitude écologique. Nous ne devons pas attendre le changement d'en haut, mais de la base.
« L’époque est à la déculpabilisation des riches et à la culpabilisation des pauvres1. »
On entend souvent qu’on ne peut rien attendre des milieux populaires, définis comme une masse indistincte, abrutie par la télé et dans l’imitation des modes de vie et des loisirs des riches, dont la surconsommation est présentée comme la norme sociale.
D’une manière générale, le peuple est défini négativement, même par les penseurs de gauche. À rebours des théories bourdieusiennes, Paul Ariès défend l’idée que le peuple n’est pas dans un rapport d’exploitation et de domination à sens unique et dans une adhésion totale aux valeurs des dominants et à leur culture, car c’est compter sans le « refus de parvenir », la capacité de résistance culturelle, autrement dit l’absence de désir d’avoir une Rolex.
« Ce n’est pas parce que nous manquons d’argent que nous n’achetons pas de montre de luxe, malgré les délires de Jacques Séguéla, c’est parce que ce n’est pas notre culture2. »
La culture populaire vit avec d’autres valeurs, d’autres loisirs, d’autres moments de partage qui sont mal connus. Paul Ariès déplore le manque d’études sociologiques récentes sur les pauvres et des classes populaires, qui accentue l’invisibilité de cette classe dans les médias, les pouvoirs publics et l’imaginaire français. L’émancipation est toujours possible et le peuple est une source de créativité.
Paul Ariès va plus loin en pointant du doigt la haine des riches envers les gens du commun, dans une vision misérabiliste des gens du commun qui vise à monter les uns contre les autres : les Smicards contre les RSAistes, les SDF contre les immigrés… On entre alors dans une culpabilisation des pauvres et des gens modestes, responsables de leur situation, et de la richesse érigée en modèle de réussite sociale, alors que les riches doivent beaucoup à leurs familles, leurs relations, leur milieu social, leur fortune...
Pour finir
Paul Ariès, auteur prolixe et militant actif, fascine par l’étendue, la complémentarité et le sérieux de ses sujets d’analyse remarquablement documentés et appuyés d’une grosse bibliographie. En homme entier, pas frileux, sûr de ses convictions, il écrit là un essai très pertinent mais délicat. En effet, le mot « populaire » s’emploie difficilement, tant il recouvre des conceptions différentes et des préjugés dérangeants. Qu’à cela ne tienne, ceux qui le taxeront de populiste auront mal lu ses propos.
Même si parfois le contenu est ardu, j’ai apprécié le ton personnel de l’auteur. J’aurais tout de même bien aimé qu’il parle un peu de ses origines et de son vécu pour connaître son point de départ et apprécier davantage son cheminement, car l’objectivité n’existe pas. Pour ma part, étant issue du milieu populaire, je retrouve beaucoup d’éléments et de valeurs propres à ma famille.
Pour en finir avec la société du « toujours plus », Paul Ariès ne défend pas la décroissance austéritaire, ni la « croissance propre » ou la « croissance verte » comme on peut l’entendre à l’occasion. Il défend de nouveaux rapports à la consommation, au travail, à la jouissance, aux loisirs, à la nature, au temps (formidable analyse du temps !), lesquels passent par un renforcement des services publics (qui influent sur le taux d’émission de CO²) et l’instauration d’une démocratie locale où chacun a voix au chapitre.
« La révolution se fera d’abord dans les faits, par un changement progressif des modes de vie sous l’impact décisif des politiques nationales et locales3. »
Toutefois, il a conscience que la culture populaire passe davantage par l’oralité. Alors, à qui s’adresse cet ouvrage ? Aux chercheurs, aux élus locaux, aux gens comme moi, issus du milieu populaire ? Paul Ariès, en boulimique de l’engagement, travaille donc sur les deux terrains, puisqu’il participe à un ensemble de manifestations d’éducation populaire, notamment le Forum national de la désobéissance une fois par an.
Un dernier mot sur les éditions Utopia, issues du mouvement du même nom, qui publient des essais passionnants, développant une pensée altermondialiste et des solutions concrètes, sur les thèmes de la décroissance, de la justice sociale, de l’écologie. Un éditeur engagé qui m’a totalement conquise !
Du même auteur
Nos rêves ne tiennent pas dans les urnes
Lisez aussi
En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté ATD Quart Monde
Sociologie de la bourgeoisie Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon
Un job pour tous Christophe Deltombe
La Violence des riches Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon
Je vous écris de l'usine Jean-Pierre Levaray
Paris 2024 Jade Lindgaard
+ Plein de romans sur Bibliolingus traitent de la pauvreté et de la précarité.
1. Page 67. - 2. Page 231. -3. Page 31.
Écologie et cultures populaires
Les modes de vie populaires au secours de la planète
Paul Ariès
Éditions Utopia
Collection Décroissance
2015
240 pages
10 euros
(l'acheter chez Alterlibris, ma librairie associative ici)Pour ne pas manquer les prochaines chroniques, inscrivez-vous à la newsletter !
Suivez-moi sur Instagram !
4 commentaires -
Elena Balzamo Cinq histoires russes
Mika Biermann Booming
Mikaël Hirsch Libertalia
Iain Levison Ils savent tout de vous
Young-ha Kim J'entends ta voix
Pascal Manoukian Les Échoués
Sonia Ristić La Belle Affaire
Bouba Touré Notre case est à Saint-Denis 93
votre commentaire
Suivre le flux RSS des articles
Suivre le flux RSS des commentaires