• La Fureur de la langouste Lucia Puenzo

    Salon du livre de Paris

     La Fureur de la langouste
    Lucía Puenzo
    Éditions Stock
    2012

    Tino, onze ans, voit sa vie basculer lorsqu’il découvre à la télévision, en même temps que des millions d’Argentins, que son père est un homme d’affaires proche du pouvoir qui a trempé dans de sales affaires.

    « Les hommes comme ton père rendent le monde chaque jour un peu plus laid1. »

    L’empire de Razzani est sur le point de s’effondrer, des infos ont filtré : Razzani serait le bras droit du président argentin, mais aussi détenteur de plus de trente sociétés écran et mêlé à des histoires de trafic de drogues et de blanchiment d’argent.

    Le présentateur d’une émission sensationnelle, dit le Chasseur, est déterminé à le faire tomber. Une ruée de journalistes et de paparazzi sont désormais aux trousses de Razzani, qui est contraint de s’enfuir pour une durée indéterminée.

    « À dix heures pile du soir, des millions de téléspectateurs (40 % de parts de marché) prirent place face au petit écran pour connaître le nom de l’homme qui jouait au golf avec le Président tous les week-ends. Dans la résidence de Barrio Parque, la secousse fut telle que Tino et Juana, oubliés dans la cuisine entre les domestiques et les gardes du corps, réussirent à voir les deux premières parties de l’émission, avant qu’Irma leur ordonne de monter dans leurs chambres.  Ce que ni elle ni personne n’aurait pu imaginer, c’était que le reportage serait aussi instructif pour Tino que pour des millions de téléspectateurs. Il était si didactique que même les enfants pouvaient comprendre : les dizaines d’entreprises que Razzani ne déclarait pas, les alliances, hommes de paille et cercles de gardes qui constituaient son dispositif de sécurité2. »

    « Tu as onze ans, tu ne peux plus ne pas savoir3. »

    Tino, le seul fils de Razzani, découvre à la télévision, en même temps que des millions d’Argentins, qui est son père, ce père qu’il ne voit que rarement et qui, dès ses huit ans, lui a parlé de ses nombreuses responsabilités lorsqu’il serait adulte.

    À présent que Razzani est exilé, la vie de Tino et de tous ceux qui gravitaient autour du magnat s’effondre. Razzani a bâti un empire, imposé ses règles et son mode de vie à ses proches, avec l’excentricité que seuls les ultra riches peuvent aimer. L’empire Razzani compte des dizaines de résidences, jusque sur les plages de Punta del Este, des voitures, des hélicoptères et des gardes du corps armés pour toute la famille.

    Leur vie décomplexée, préservée des chocs économiques qui frappent l’Argentine, est saccagée par la tempête médiatique. Tino, qui a été élevé par Irma, la gouvernante, et par le garde du corps le plus proche de Razzani, doit faire face au regard changeant des autres. Vulnérables, arrachés à la catégorie des intouchables, le cercle intime de Razzani craint pour son avenir, mais il se libère aussi de son emprise. Qui croire ? Qui est vraiment son père ? Qui sont les bons, qui sont les méchants ?

    Pour finir

    La Fureur de la langouste met en scène l’effacement du grand magnat Razzani et l’éveil de Tino, qui découvre que son père n’est pas ce qu’il croyait être. Pour autant, le roman se contente de raconter les quelques mois qui suivent la fuite de Razzani, s’arrêtant tantôt sur Tino qui ne part pas sur les traces de son père ni ne formule de critique à son égard, tantôt sur les autres membres de la famille qui reprennent le cours de leur vie, sans la présence écrasante de Razzani.

    On retrouve ici encore l’immobilité et l’égarement propres à l’œuvre de Lucía Puenzo, mais sans la tension et le réalisme magique. Il n’y a rien de furieux dans l’histoire ni dans l’écriture, rien qui transcende la vision du monde de Tino et des siens.

    Si on considère ce roman comme celui du passage de l’enfance à l’âge adulte, il est peu évocateur. Si on considère plutôt la condition sociale de cette famille millionnaire, il apparaît difficile de compatir à son sort. Le roman est d’ailleurs focalisé sur leur point de vue et occulte quasiment celui des détracteurs. Par ailleurs, l’ambivalence entre ce qui constitue un malheur familial et ce qui est justice sociale est assez peu appuyée, dans la mesure où les actes de corruption de Razzani sont totalement passés sous silence. Ce choix rend l’ensemble incomplet et psychologiquement plus simpliste que les autres textes de Lucía Puenzo.

    De la même autrice

    La Malédiction de Jacinta

    Wakolda

    Lisez aussi

    Claudia Piñeiro Les Veuves du jeudi

    Littérature d'Amérique du Sud


     

    1. Page 92. -2. Pages 22-23. -3. Page 92.

    La Fureur de la langouste
    (La furia de la langosta)
    Traduit de l’argentin par Anne Plantagenet
    Lucía Puenzo
    Éditions Stock
    Collection La Cosmopolite
    2012
    224 pages
    19 euros

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    4 commentaires
  • A jeter aux chiens Dorothy B. Hughes

     

    À jeter aux chiens

    Dorothy B. Hugues
    Gallimard
    1963

     

    Au mauvais endroit, au mauvais moment

    Arizona dans les années 1960. Hugh avait pris la route pour se rendre à Phoenix et se rendre au mariage de sa sœur. En chemin, il avait pris une autostoppeuse, une jeune fille, peut-être 14 ou 15 ans, qui avait semblé lui débité des mensonges sur sa destination. Mais Hugh l’avait déposé à l’endroit convenu et avait rejoint sa famille lorsqu’il a été interpellé par la police.

    Selon la police, il serait impliqué dans le meurtre d’une jeune fille dont le cadavre vient d’être retrouvé près de Phoenix. Plus exactement, ce meurtre aurait été entraîné par un avortement qui aurait mal tourné. Or, Hugh est médecin. Et en plus, il est noir.

    Coupable parce qu’il est noir

    Si la ségrégation a été abolie justement dans les années 1960, les mentalités n’ont pas évolué au même rythme que les lois. À jeter aux chiens raconte comment Hugh, qui se trouve au mauvais endroit, au mauvais moment, est le coupable tout désigné d’un fait divers. Doublement coupable, parce qu’il est accusé de crime envers une personne blanche, et parce que l’avortement est interdit.

    Ce que semble vouloir montrer Dorothy B. Hugues, et qui est terriblement frappant, c’est la facilité avec laquelle les policiers qui mènent l’enquête sont enclins à accabler Hugh ; comme si, avec deux ou trois preuves et des témoins anonymes, ils pouvaient objectivement conclure à la culpabilité de Hugh. Il ne semble pas y avoir de corruption ou de coup monté, mais un racisme profondément enraciné dans le cœur des Blancs, même dans une ville comme Phoenix. Hugues montre combien les policiers ont l’écœurante satisfaction du travail bien fait, d’une enquête bien menée. Et combien, face à un tel « professionnalisme », il est quasiment impossible d’éviter la prison sans un bon avocat, surtout quand on est noir.

    Quant à l’avortement, interdit à l’époque, Hugues décrit dans quelles conditions misérables il était pratiqué. Les conditions d’hygiène déplorables, à la va-vite sur un canapé, dans le salon, avec de vieux instruments. L’avortement à la sauvage, ou comment les femmes, encore dans les années 1960, étaient des sous-êtres humains (comme les Noirs), prisonnières de leur corps.

    Mon avis

    Ce roman n’a aucune portée si on ne connaît pas le contexte. La tension monte en même temps que l’étau se referme autour de Hugh, mais il manque quelque peu d’intensité, comme si l’autrice n’avait pas voulu aller trop loin dans l’injustice. Elle aurait pu pourtant, car la réalité a bien souvent dépassé cette fiction. La langue est simple, sans fioritures, brutale puisque le racisme y est évoqué sans ambages.

    La collection Arcanes chez Joëlle Losfeld, malheureusement en suspens depuis quelques années, est une collection de littérature engagée. L’injustice, les inégalités, la peine de mort, le racisme... C’est rare de lire des textes à la fois littéraires et politiques (le combo ultime), mais Arcanes les avait saisis. C’est vrai que la littérature engagée, ce n’est pas vendeur, mais rien que pour elle, ça vaut la peine d’être éditeur. Chers éditeurs de Joëlle Losfeld…

    Lisez aussi

    L’amour de nous-mêmes Erika Nomeni 

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    Americanah Chimamanda Ngozi Adichie

    Voici venir les rêveurs Imbolo Mbue

    Tant que je serai noire Maya Angelou

    Décolonial Stéphane Dufoix

     

    À jeter aux chiens

    (The Expandable Man)

    Traduit de l’américain par Raoul Holz

    Dorothy B. Hughes

    Éditions Joëlle Losfeld

    Collection Arcanes

    2003

    192 pages

    8,5 euros

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    2 commentaires
  •  Faut-il arrêter de manger de la viande ? Collectif

    Faut-il arrêter de manger de la viande ?

    René Laporte
    Élodie Vieille Blanchard
    Éric Birlouez

    Éditions Le Muscadier
    2014

     

    L’animal, un gros émetteur de CO2 ?

    Il n’y a pas que les rots des vaches qui participent à l’effet de serre, mais aussi tout l’arsenal construit autour pour les sucer jusqu’à la moelle (chair, peau, lait). L’élevage, qui a explosé pour satisfaire la demande mondiale, implique aussi la déforestation pour créer davantage de prairies, notamment en Amazonie où les populations locales sont chassées au nom du sacro-saint capitalisme. Les animaux sont aussi gourmands en eau, en espace et en céréales, ce qui pose problème sur le long terme, d’autant que la demande dans les pays en développement ne fait que balbutier. C’est un problème difficile à trancher parce qu’il implique d’un côté un animal qui a des besoins naturels incompressibles et de l’autre une population qui considère la viande comme un symbole de richesse (comme les Occidentaux avant les Trente Glorieuses).

    L’animal, une viande malade ?

    Depuis une cinquantaine d’année, l’élevage a été concentré et rationalisé pour optimiser le rapport entre le poids pris par les animaux et les coûts associés à leur élevage. « [...] hypersélection des races ; concentration dans des espaces réduits (les poules pondeuses tiennent sur une surface d’une feuille A4 !) ; utilisation de lumière artificielle et d’hormones pour accélérer la croissance des animaux (interdites pour les bovins en France mais utilisées pour d’autres espèces) ; administration massive d’antibiotiques de manière préventive afin de prévenir le développement et la transmission de diverses pathologies (que la concentration des élevages favorise)1. »

    Sans oublier les mutilations systématiques pour contrer les comportements pathologiques bien compréhensibles, les coups de pile électrique pour les forcer à se déplacer ou le crochet passé dans l’anus pour les tracter… L’objectif est d’atteindre au plus vite le poids d’abattage pour les garder moins longtemps en batterie, qu’importe si leurs pattes sont frêles et leurs estomacs gonflés de produits chimiques.

    Ce sont des choses qu’on ne veut pas voir ni savoir, et pourtant, manger un animal stressé, bourré d’antibiotiques, nourri aux OGM et aux farines animales, a forcément un impact sur la santé de l’être humain… et sur le goût de la viande.

    L’animal, un être sensible ?

    Manger de la viande issue d’élevage intensif, c’est cautionner l’exploitation des animaux au nom de la rentabilité économique. C’est accepter que ce qu’on mange a été un animal qui a vécu quelques mois, voire quelques années, et qui a eu une vie de merde, seulement faite d’angoisses et de souffrances. Quant à manger de la viande issue d’un élevage « biologique », pour les puristes, c’est tout de même un meurtre.

    Mais manger de la viande tout court, c’est nier que l’animal est un être sensible, alors qu’il y a des animaux que nous ne mangerions pour rien au monde : votre chat/chien/furet/lapin lové contre vous pendant que vous lisez cette chronique.

    Pour finir

    « Entre 1950 et 2000, la production mondiale de viande a été multipliée par cinq (pendant cette même période, la population de la planète a doublé)2. »

    Malgré les crises alimentaires des vingt dernières années (crise de la vache folle en 1996 et en 2000, poulets belges contenant de la dioxine en 1999, grippe aviaire en 2005 et les bactéries Escherichia coli dans des steaks hachés surgelés en 2012), manger de la viande est devenu normal et nécessaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

    Mais la France compte 3 % de végétariens qui ont fait le choix de ne plus en manger du tout (et s’intoxiquent aux légumes issus de champs intensifs). Quant aux véganes, leur démarche est plus complète : ils s’abstiennent complètement de consommer des produits issus de l’exploitation des animaux (cela inclut la viande et les produits laitiers, les vêtements et les chaussures en cuir, et en théorie les bonbons gélatineux, le maquillage, les shampoings, les crèmes hydratantes, le dentifrice…) C’est la démarche la plus totale, la plus engagée, la plus respectable, mais la plus difficile à tenir.

    Ce petit livre, publié par les éditions du Muscadier, a le mérite d’aborder les questions qui dérangent : qui y a-t-il dans notre assiette ? est-ce que manger de la viande nuit à la planète ? et surtout, notre propre existence justifie-t-elle de maltraiter et de tuer l’animal ? l’alimentation végétarienne est-elle équilibrée ?

    La collection Le choc des idées propose une fois encore un ouvrage clair, abordant les deux points de vue en moins de 100 pages, qui permet de se forger une opinion sur un sujet en particulier. Les deux partis exposent à tour de rôle leurs arguments (parfois retors) et ont un droit de réponse, comme dans un débat télévisé mais sans interruption ni publicité.

    Et vous, que préférez-vous ? Une viande moins chère, nocive pour la santé et au goût douteux ? Une viande plus chère respectueuse de l’animal et de l’environnement ? Ou des légumes ?

    1. Page 78. -2. Page 15.

     

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    2014
    128 pages
    9,90 euros 

    Bibliolingus

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