• Idiopathie Sam Byers Bibliolingus

    Rentrée littéraire 2013

    Idiopathie

    Un roman d’amour, de narcissisme et de vaches en souffrance

    Sam Byers

    Éditions du Seuil

    2013

     

    Idiopathie, une comédie plus cynique et grinçante que romantique sur les travers égocentriques des trentenaires bobo d’aujourd’hui.

    « Tu es ceinture noire en hypocrisie, tu le sais, ça? »

    Une idiopathie est une maladie qui apparaît spontanément, ou dont on ignore la cause. Par ici, les maladies sont davantage dans l’âme que dans le corps mais rassurez-vous, si le premier roman de Sam Byers brille par son cynisme réjouissant, il n’a rien de pathétique.

    Idiopathie ouvre le bal avec Katherine, une trentenaire en rogne contre tous les hommes de la terre qui enchaîne les plans cul depuis qu’elle s’est séparée de Daniel. Katherine respire, mange, boit, fume le sarcasme. Volontiers antipathique, mais aussi touchante, elle est agressive, excessive, manipulatrice. Difficile d’atteindre Katherine qui cache sa solitude et ses blessures d’enfance sous des montagnes de méchanceté. Râleuse, chiante, rabat-joie..., la liste serait très longue, mais le personnage en est d’autant plus excellent. 

    De son côté, Daniel se comporte lâchement avec Angelica, sa nouvelle copine. Il se montre aimant mais sans trop savoir lui-même où il en est. Par lâcheté, ou par facilité, il refuse de se poser les bonnes questions par rapport à sa situation amoureuse.

    «“Je t’aime mon cœur. Pourrais-tu me passer le lait ?

    - Bien sûr trésor. Tiens. Je t’aime.

    - Je t’aime aussi.”

    Ils avaint, se disait Daniel, franchi toutes les frontières de la décence.

    “Et le jus ?

    - Désolé trésor.

    - Merci mon chou.

    - Je t’en prie mon amour.

    Ils mastiquèrent bruyamment leurs céréales. Daniel se faisait du mauvais sang en parcourant les gros titres. Angelica était plongée dans un livre de poche intitulé L’Accoutumance au développement personnel : apprenez à laisser tomber les livres pour avancer dans la vie. Au bout d’un certain temps, elle leva les yeux et sourit.

    “Je t’aime, dit-elle doucement.

    - Moi aussi, dit Daniel. Tu reveux du muesli2 ?”»

    Mais Katherine et Daniel vont devoir arrêter de se triturer cyniquement le nombril parce que leur ami Nathan, qui a disparu de la nature un an et demi plus tôt, revient à la surface. Une nouvelle d’autant plus destabilisante qu’ils ont développé un mécanisme efficace de déculpabilisation par rapport aux problèmes de Nathan.

    « [Angelica] était l’anti-Katherine. Ni corrosive ni abrasive. Elle ne criait pas, n’était pas difficile, et, élément décisif, Daniel ne pouvait pas l’imaginer déféquer. Après Katherine, qui traitait les faits du corps sur le registre du bulletin d’informations en continu ; qui analysait son transit intestinal au petit déjeuner ; qui le suivait dans la salle de bains quand il se brossait les dents et étudiait ses serviettes hygiéniques comme les gros titres du matin, Daniel avait répudié la vulgaire réalité physique des femmes avec qui il couchait, et jugeait donc chacune de ses rencontres à l’aune de la facilité avec laquelle il pouvait l’imaginer chier ou avoir ses règles3. »

    « Le clan des dreadloqueux4 »

    Au-delà des problèmes de cœur des trois personnages, Idiopathie brosse le portrait des jeunes adultes d’aujourd’hui. Et le portrait est peu valorisant. Narcissiques et égocentriques, pour la partie la plus visible.

    Et puis il y a ceux qui, comme Nathan, assument leur attitude libérale et cherchent à se fondre dans le monde capitaliste tel qu’ils se présente aujourd’hui. Carriériste et matérialiste, il se confronte à ceux qui, comme Angelica et ses amis, revendiquent un engagement politique et écologique. Pleins de convictions fortes mais aux angles flous, ils manifestent contre le mal étrange qui sévit chez les vaches - l’idiopathie. Ils s’indignent le temps d’un repas entre amis, chacun s’écoutant parler et en faisant allègrement des « fascistes » tous ceux qui ne sont pas d’accord avec eux, et rentrent s’occuper de leur linge de manière tout à fait individualiste. Opposés au consumérisme, ils aiment pourtant le confort et l’accumulation de biens. Soucieux de l’environnement et de la qualité de vie, ils aiment pourtant le confort et la facilité qu’apportent les divers équipements et technologies de la maison. Bref, l’éthique ne les étouffe pas puisqu’ils s’embourgeoisent.
    « C’est sûr, elles auraient aimé avoir plus de choses, mais leurs maisons et leurs appartements étaient encombrés et il fallait qu’elles fassent le tri parce que le minimalisme avait la cote, mais d’un autre côté ce n’était pas très accueillant], le minimalisme, hein5 ? »

    Par certains aspects, cette critique est transcrite de manière caricaturale (les personnages concernés parlent de manière familière comme s’ils étaient ignorants et indécis, pp 220-224), ce qui dessert injustement la jeunesse, mais elle dérange aussi par ses côtés réalistes.

    « Daniel et Angelica rêvaient d’un monde meilleur, mais ils continuaient à faire la grimace en sentant la merde de l’autre, ce qui nécessitait moult diffuseurs à base de lavande et, lorsque masquer simplement l’odeur ne suffisait pas, un arsenal de chimie lourde qui ne promettait rien de moins qu’un Armageddon bactérien6. »

    Mon avis

    Individualistes, pleins d’éthiques et de principes écologiques mais consuméristes et égocentriques, voilà le portrait que brosse Sam Byers des trentenaires d’aujourd’hui. Malades d’amour et de solitude, ils se voilent la face et se couvrent de non-dits. Idiopathie est une remarquable dissection des comportements et des mécanismes de défense que le lecteur n’aurait pas soupçonné en lui-même. Les Anglais en prennent aussi un coup, tout comme le voyeurisme à la télévision et le moutonisme des goûts. Mais la force de ce roman est son cynisme particulièrement drôle, exacerbé par de longues phrases denses et souvent disgressives et des dialogues qui claquent.

    L’histoire, resserrée sur ses personnages particulièrement fouillés, manque pourtant d’élan pour parvenir jusqu’à son terme, même si ce resserrement illustre justement l’individualisme. Si le roman, construit comme une comédie sentimentale, commence en force, il souffre quand même d’un rythme inégal, car la dernière scène intervient trop tard dans la narration. Malgré un début en force avec le personnage de Katherine, l’histoire s’étire en longueur et la narration se dilate à l’excès. Toutefois le cynisme, le style et de nombreux passages savoureux rattrapent l’ensemble : Idiopathie est un premier roman amusant et grinçant.


    « Les gens renonçaient à leur allure quand ils avaient des bébés. Ils vieillissaient ; mouraient un peu. Katherine l’avait constaté au bureau. Des zombies : les traits tirés, à bout de nerfs. Vêtus des haillons de la défaite. Sans parler des questions psychologiques. Cette petite éponge absorbant tout ce que vous lui déversiez, pour aller le recracher en bloc à son psy au bout d’une demi-existence d’échecs relationnels et de choix de vie relevant de la navigation à vue. Encore fallait-il que le gamin soit nromal. Elle se demanda comment les gens arrivaient à s’inquiéter de manière exhaustive avant Google, qui dressait la liste des peurs dont vous vous ignoriez capable dans l’ordre dans lequel les autres les éprouvaient. Retard du Développement Psychomoteur, Trisomie, Paralysie Cérébrale, Surdité, nageoires à la place des mains7. »

    Lisez aussi

    Macadam Butterfly Tara Lennart 

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    Idiopathie

    Un roman d'amour, de narcissisme et de vaches en souffrance

    (traduit de l'anglais par Nicolas Richard)

    Sam Byers

    2013

    352 pages

    21,5 euros

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    Le challenge lancé par Mina du blog Mon salon littéraire est terminé ! Il fallait écrire une critique odieuse et la soumettre aux votes. Bon, même si je n'ai pas gagné, j'ai plaisir à partager ma critique de Sept jours pour une éternité de Marc Levy.

    Sept jours pour une éternité Marc Levy Bibliolingus

    Bonne lecture !

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  • Sept jours pour une éternité Marc Levy Bibliolingus

    Sept jours pour une éternité

    Marc Levy

    Robert Laffont

    2003

     

    J’ai écrit cet article dans le cadre du challenge Écris-moi une critique odieuse de Mina. Lorsque j’ai créé mon blog, il y a deux ans, le 6 janvier 2012, je m’étais fixée trois objectifs : faire connaître les éditeurs indépendants, rendre justice aux auteurs peu connus du XXe siècle qui n’ont pas vendu deux palettes de livres et critiquer l’un des romans de Marc Levy.

    Pourquoi lui ? Parce que je sais que, avec le succès planétaire qu’il rencontre, je ne lui ferai pas un grand tort (je respecte le temps et l’engagement des auteurs). Et parce qu’il est dénigré par les critiques littéraires dit « sérieux » qui préfèrent l’ignorer, et apprécié par les magasines dit « populaires ». Au milieu, entre professionnalisme et dilettantisme, j’ai voulu écrire ce que je pensais des textes de Marc Levy. J’ai voulu dire pourquoi je ne les aimais pas, mais aussi pourquoi je comprenais en quoi ce sont des succès commerciaux (qui doivent beaucoup aux milliers d’euros déversés pour les campagnes publicitaires), et ce sont souvent pour les mêmes raisons.

    C’est également une manière de montrer qu'il ne faut pas seulement juger la qualité d'un livre par rapport aux nombres d'exemplaires vendus et au nombre d'articles et de chroniques télé qui lui sont consacrés. Le succès doit beaucoup aux moyens financiers et matériels que les éditeurs peuvent mettre en œuvre. Le marketing et les copinages avec les journalistes des grands quotidiens doivent beaucoup au succès d'un livre. C'est donc une manière d'attirer l'attention sur un phénomène qui masque une multitude d'auteurs et de livres qui méritent autant d'attentions, et même parfois davantage parce qu'ils sont moins étranglés par la question de la rentabilité, laquelle influe souvent sur le contenu du livre.

    Si je remplis autant que je peux les deux premiers objectifs, je n’avais toujours pas franchi le cap du troisième. Il est pénible de se farcir volontairement un livre et un auteur qu’on n’aime pas.

    Mais voilà que grâce à Mina, la chose est faite. Entre deux papiers cadeaux, je lisais Sept jours pour une éternité, d’abord excitée à l’idée d’écrire mon odieuuuuse critique (mais attention au spoil), puis ennuyée à l’idée de le lire jusqu’au bout. Mais je l’ai fini : je suis sincère avec les livres, et avec ceux qui lisent mes articles. Bonne lecture !

    « Avant de te rencontrer, Zofia, je pensais que les vrais bonheurs de cette terre n’existaient que dans les mauvais bouquins, c’est comme ça, paraît-il, qu’on les reconnaissait1. »

    Le Bien et le Mal s’affrontent depuis des milliers d’années, c’est ce que dit la quatrième de couverture. Pour commencer, une vision aussi manichéenne donne plutôt envie de fuir. Dieu et Satan, un peu comme des ennemis égaux devenus complices à force de jouer des muscles, se sont lancés un grand défi : ils envoient l’un et l’autre leur meilleur agent qui ont sept jours pour remporter la partie et décider qui du Bien ou du Mal gouvernera le monde.

    Là, on est en droit de s’interroger sur les intentions de l’auteur : faut-il rire d’un tel manichéisme ? d’une telle simplicité ? est-ce au contraire une dénonciation ? C’est pile ou face : soit vous acceptez l’histoire comme elle vient, vous jouez le jeu et vous vous laissez emporter à partir de cette base stupide, et la lecture peut être agréable ; soit votre esprit prosaïque rejette en bloc et vous refermez le livre.

    Mais continuons. La représentation de Dieu et Satan confirme le manichéisme du livre. Dieu, appelé le Patron, assis à son bureau, a les yeux bleus et une belle carrure malgré les années : c’est l’archétype du beau et du bon mâtiné de sagesse. Il est le patron d’une petite entreprise : on ne s’adresse à lui qu’avec respect et que quand lui le désire, en échange il est très agréable mais exigeant. Son équipe est aimable, patiente et dévouée. Satan est dans le bureau d’à côté, puisque leurs administrations occupent chacune une partie de la même tour qui domine San Francisco. Méprisant et agressif, il se fait appeler Président et ses larbins sont obséquieux, laids et stupides, comme dans tous les bons mauvais livres.

    Zofia, la représentante de Dieu, est la générosité la plus pure. Elle est très belle mais vierge, car les anges ne connaissent pas l’amour comme les humains. Elle partage sa vie entre son travail de chef de la sécurité des docks, les bons soins aux SDF et aux toxicos, ses cours d’histoire pour les aveugles et les lectures pour les enfants malades à l’hôpital. Elle vit chez une vieille dame, Reine, qui incarne la sagesse.

    Zofia, gluante d’attention et de bons sentiments, respecte les limites de vitesse et offre même un sourire à la contractuelle, laquelle va à son tour donner ce sourire aux personnes qu’elle va rencontrer. C’est aussi simple que ça : faire le bien, c’est un sourire, une attention, un petit geste, qui ne changent pas le monde mais qui le fait avancer. Gluante, je vous dis.

    Parfois Zofia, si dévouée aux autres, a elle aussi besoin d’une épaule sur laquelle se poser. Heureusement, lorsqu’elle rentre le soir, Reine l’attend avec ses albums photo et ses petits gâteaux au chocolat. Une main tendre sur le genou, elle lui dit des choses réconfortantes de grand-mère qui a fait son temps et espère que sa petite fille adoptive vivra un jour pleinement sa vie de femme. Elle la mettra même en garde mais fichtre ! les jeunes n’en font qu’à leur tête.

    Lucas, le beau gosse qui représente Satan, c’est le méchant qui roule toujours dans de belles voitures volées. Machiavélique, il embrasse à lui seul les sept péchés capitaux et provoque la mort sur son passage.

    Mais jeunes, beaux et uniques comme ils sont, ils n’auraient pas pu ne pas se croiser. Le premier jour du pari, arrive ce qui devait arriver : Lucas s’immisce dans la vie de Zofia et ils ont un coup de foudre. Les opposés s’attirent, comme on dit. Après une suite de quiproquos vus des milliers de fois dans les mauvaises comédies romantiques, ils découvrent leur identité d’ange et de démon et cherchent une solution avant le septième et dernier jour du pari. La première essaie d’être méchante pour entrer dans son monde à lui et renoncer à sa gluante gentillesse ; le second tente d’être gentil mais c’est vraiment plus fort que lui d’aider un vieux à traverser le passage piéton (si, si !). Mais ils ne peuvent pas changer de nature et ils s’aiment l’un l’autre précisément pour ce qu’ils sont.

    Follement épris, ils consomment leur amour (et Zofia tombe enceinte, c’est une évidence) et perdent l’un et l’autre leur statut d’ange et de démon. Devenus de simples humains, ils vivent une vie heureuse avec leur marmots, un garçon et une fille (c’est l’autre évidence). Dieu et Satan, comme des grands pères qui ont fini par s’accepter l’un et l’autre, se promènent bras dessus bras dessous dans un parc, car le bien et le mal ne sont que les deux faces de l’humanité et ne peuvent vivre séparément, à l’image de nos deux héros.

    « Avec ce troisième roman, [Marc Levy] nous faire croire de nouveau à l’incroyable, et nous entraîne dans un univers plein d’humour, de tendresse et de rebondissements2. »

    Il faut le dire, la recette de Sept jours pour une éternité est efficace : de l’action rapide comme dans les meilleurs mauvais films, de l’amour sans nuance, de l’humour convenu même pas drôle, une symétrie facile à assimiler, des supra gentils, des méchants en fait gentils et des méchants vraiment méchants. C’est une machine à lire où tout est calculé pour fabriquer une lecture facile, pour divertir sans prendre la tête. Même la typo est énorme dans l’édition grand format et dans le poche.

    Est-ce là ce qu’on attend de la littérature ? On a l’impression de lire sans être impliqué dans l’histoire : c’est trop facile et rapide pour apprécier l’histoire d’amour, c’est trop creux et trop caricatural pour être pris au sérieux, c’est trop débile pour éprouver un quelconque attachement pour les personnages.

    Ceux et celles qui lisent ce type de livre attendent quelque chose d’autre de la littérature. J’aimerais leur montrer d’autres livres tout aussi efficaces, plus profonds et nuancés, plus captivants et faciles à lire quand même.

    1. Page 238. -2. Extrait de la quatrième de couverture.

     

    Sept jours pour une éternité

    Marc Levy

    Pocket

    2004

    312 pages

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