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    Les Lépreuses

    tome 4

    Henry de Montherlant

    Éditions Grasset

    1939

     

    « “Éloignez-vous… rapprochez-vous… aimez-moi un peu moins… comme ceci, comme cela… non, ce n’est pas tout à fait cela encore…” Une petite chienne à qui on apprend à sauter dans un cerceau1. »

    « La femme ? Un être qui racole et un être qui relance2 »

    Dans ce quatrième et dernier volume, Costals va-t-il épouser Solange ? En goujat qui se respecte, Costals cumule les avanies, les insolences et les petites trahisons auprès de sa donzelle, laquelle, naguère si naïve, apprend la séduction et la manipulation pour se faire épouser.

    La mère, en connaisseuse du genre hippogriffal, va à la rencontre de l’écrivain et négocie : ma fille, voyez-vous, vous sera d’une aide indispensable ! Par exemple, elle entretiendra la maison et tapera vos textes à la machine…

    « La glande d’hippogriffe, injectée à un homme vigoureux, lui donne une faiblesse d’agneau. À force d’ennuyer un homme, de le bourrer de soucis, de responsabilités, d’obligations, de scrupules, de décisions à prendre, de retours sur lui-même, on peut arriver à l’ahurir et à le ronger tellement, qu’il n’oppose plus de résistance à une volonté, même quand il la connaît mauvaise ; les femmes le savent, et c’est pourquoi, introduire une femme quelque part, c’est y introduire le casse-tête : comme les navires de guerre, elles progressent derrière les fumées qu’elles répandent3. »

    Montherlant montre du doigt : voilà comment le mariage devient un outil d’intégration sociale, au détriment des sentiments amoureux. À force de s’obstiner, Solange en fait une fixation dénuée de sens. Mais sans cesse prise et rejetée par Costals comme une poupée, elle dépérit.

    « Le sot dans l’abîme4 » 

    « Ce paysage symbolique. Derrière moi, ma vie avec ses êtres, comme cette vallée vivante. Et à l’arrière-plan, mon œuvre, comme cette montagne. Et moi, un voyageur que presse la nuit5. »

    De son côté Costals, habile jongleur des sentiments et des femmes, cumule les aventures, souvent risquées, avec d’autres femmes. À trente-cinq ans, il vit intensément, frénétiquement, et sent une menace sourdre. C’est l’heure de faire des comptes, et pour Costals, ils sont vite faits : la littérature prime sur tout le reste ; s’il avait juste le temps d’achever la suite logique de son œuvre, il serait heureux. On filtre, à travers Costals, l’inquiétude de Montherlant qui, au faîte de son œuvre, se voit dépassé par la postérité. En homme inquiet, plus grave qu’à l’accoutumée, Costals se consacre à son journal intime – diversifiant encore le mode de narration. En quatre volumes, son portrait est remarquablement fouillé ; sa personnalité changeante et complexe ressort avec vivacité bien après avoir refermé le livre.

    Mon avis

    « Costals l’avait souvent pensé : une jeune fille, pour un écrivain, quel triste, quel pitoyable sujet ! Certes, son corps et son visage, s’ils sont beaux, sont à cet âge au comble de leur beauté. Mais là-dessous6 !... »

    C’est ici que Montherlant, toujours prompt à s’immiscer dans les actions et les mensonges de ses personnages, jette tout ce qu’il a à dire des hommes et des femmes. Au résultat, aucun des deux n’échappe à son œil connaisseur.

    Sûr de son talent, il s’amuse, il taquine : quel écrivain barbant aurait pu consacrer une œuvre sur les jeunes filles et leurs relations sans ennuyer le lecteur ? Montherlant l’a fait, et avec brio. Au détour, il règle quelques détails avec ses détracteurs : le roman est-il un genre périmé ?

    Si la vision du couple est négative, l’autre apparaissant comme une entrave à l’épanouissement, elle comporte certaines vérités sur le « chimérisme féminin7 ». Montherlant l’oublié, la victime d’une injustice littéraire, dissèque les comportements sociaux, le préjugés, les goûts, le rapport à l’autre sexe, à la famille, à l’amour. Des succédanés se font passer pour des dépeceurs de mœurs, mais lui, il n’a pas d’égal.

    Du même écrivain

    Les Jeunes Filles tome 1

    Les Jeunes Filles tome 2

    Les Jeunes Filles tome 3

    Les Célibataires

     

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    Les Lépreuses

    Montherlant. Romans et œuvres de fiction non théâtrales

    Préface de Roger Secrétain

    Henry de Montherlant

    Éditions Gallimard

    Collection Bibliothèque de la Pléiade

    1959

    1566 pages

    59 €

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    Les réseaux sociaux sont-ils nos amis ?

    Julie Denouël, Éric Delcroix et Serge Proulx

    Le Muscadier

    2012

     

    Opération La voie des indés sur Libfly

    Outils de réseautage ou de fliquage ?

    Les réseaux sociaux numériques, on croit les connaître. Qu’ils soient des sites à tout faire ou dédiés au réseautage professionnel ou culturel, ils sont omniprésents. Tour à tour qualifiés d’instruments de démocratie dans les conflits sociaux ou accusés d’incarner  Big Brother, ils échappent pourtant à l’analyse et au contrôle.

    S’ils prennent de plus en plus d’importance dans nos vies, s’ils deviennent des plateformes incontournables des opérations courantes, comment ne peuvent-ils pas être la proie des gouvernants, lesquels chercheront (si ce n’est pas déjà fait) à s’accaparer cet outil dans le but de surveiller le peuple ?

    La géolocalisation et les règles de confidentialité hasardeuses ne sont-elles pas en contradiction avec la liberté individuelle ? Pouvons-nous accepter que nos interactions ne soient que le prétexte à la négociation des contrats ; de n’être que des « sponsorisés consentants » de Facebook ? Jusqu’à quel point Facebook est-il le propriétaire des contenus mis en ligne ? Que fait-on du droit de propriété intellectuelle, du droit à l’oubli ? Doit-on tolérer que les méthodes de marketing viral des entreprises s’immiscent jusque dans notre cercle d’amis ?

    Depuis que Facebook est entré en bourse, tous les dangers sont permis. Désormais, nos interactions avec nos « amis » ne feront plus seulement la fortune de Facebook et des annonceurs publicitaires ; nous sommes les petites fourmis ouvrières des actionnaires et des investisseurs comme Goldman Sachs.

    Tous les réseaux sociaux ne sont pas comme Facebook, heureusement. Mais plus généralement, ils sont devenus trop importants pour ne pas être l’objet des manipulations à des fins commerciales, politiques ou criminelles. Si les dangers sont minimes en l’état actuel, ils seront en revanche potentiellement élevés lorsque les réseaux sociaux auront pris leur pleine maturité au sein d’une société gouvernée par les intérêts davantage que par les individus.

    Mon avis

    Quel tour de force pour les éditeurs du Muscadier ! Les auteurs de cet ouvrage ont joué le jeu : leurs opinions, radicalement opposées, sont mises en scène dans un débat écrit où les contradicteurs prennent le temps d’exposer leur position sur les enjeux des réseaux sociaux numériques. Pour tous ceux qui les utilisent ou qui s’en méfient sans bien savoir pourquoi, ce petit ouvrage fournit les pour et les contre utiles pour se faire une idée précise de la question : « À vous, ensuite, de vous forger votre propre opinion ! »

    Dans la même collection

    Faut-il renoncer au nucléaire ?

    Faut-il arrêter de manger de la viande ?

    Agriculture biologique : espoir ou chimère ?

    Du même éditeur

    Altergouvernement. 18 ministres-citoyens pour une réelle alternative Collectif

    Les Mains dans la terreCathy Ytak

    Les réseaux sociaux sont-ils nos amis ?

    Julie Denouël, Éric Delcroix, Serge Proulx

    Éditions Le Muscadier

    Collection Le choc des idées

    2012

    128 pages

    9,90 €

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