• Le-sel 

    Le Sel

    Jean-Baptiste Del Amo

    Éditions Gallimard

    2008

      

    L'ennui estampillé

    Au matin, Louise se lève et organise sa journée – choix du menu, courses au marché de Sète, préparation des plats et présentation de la table – en vue du dîner de famille : elle reçoit ses enfants et leur conjoint.

    La narration, relayée de l’un à l’autre, propose toute la panoplie du drame : croyant casser la banalité de leur vie, Jean-Baptiste Del Amo s’est acharné à accrocher à la cheville de ses personnages un boulet (un enfant mort, une homosexualité mal vécue par l’entourage, un père et un époux tyrannique et homosexuel), qui enchaîne chacun d’eux aux vicissitudes du passé.

    Aucun détail n’est épargné : on saura où Louise a acheté ses légumes, quand et comment elle a épluché les carottes et broyé l’ail du plat principal. On connaîtra par le menu le rituel du matin d’Albin devant sa glace et les fréquentations de Jonas lorsqu’il ne travaille pas. Ils parcourent inlassablement les murs de leur incarcération mentale, se remémorant leurs souffrances par vagues successives.

    Armand en est le point de mire : défunt mari de Louise et père des trois enfants, cet immigré italien et pécheur à Sète a consacré sa vie à la mer, au détriment de sa famille. Son absence d’amour, son étrange homophobie et surtout sa cruauté ont fait de lui un homme craint et haï. Comme une sorte de justification du personnage terrible, on retrace l’enfance difficile du petit Armando lors de la terrible traversée des Alpes pendant la Seconde Guerre mondiale, et la mort du vieil homme, plongé dans sa folie et ses excréments, qui continue pourtant à hanter leur vie.

    Del Amo se pourlèche

    Les sujets éculés du Sel sont portés par un style policé, avec quelques saillies d’impudeur (les scènes de masturbation sont nombreuses). L’écriture trop léchée, trop intelligente, trop française, noie l’émotion au profit de paysages méditerranéens décrits avec un soin excessif : « Les cloches de l’église Saint-Louis éparpillaient midi sur les hauteurs de Sète. Leur rondeur de métal vibrait dans la moiteur du port et sur les plages où les vagues s’ourlaient et chuintaient, drapaient les cris des enfants1. »

    Mon avis

    Comme il est de bon ton aujourd’hui de ne plus prendre de risques pour répondre aux impératifs de la rentabilité financière, Gallimard publie toujours plus de titres. Parmi la multitude de livres parus dans la collection Blanche, il est des œuvres qui n’ont plus à voir avec l’ambition littéraire des années 1920. Comme le signale Olivier Besssard-Banquy, « Gallimard publie ce qui peut se vendre tout en étant d'une certaine tenue littéraire2 ». C’est dire : Gallimard a osé publier Bélard et Loïse de Jean Guerreschi dans l’une des plus prestigieuses collections françaises.

    Lisez aussi

    Zoyâ Pirzâd C'est moi qui éteins les lumières

     

    1. Page 119. -2. Marielle Bedek, « Gallimard fête ses cent ans », La Presse, 20 mai 2011.

     

    Le Sel

    Jean-Baptiste Del Amo

    Éditions Gallimard

    Collection Blanche

    2010

    304 pages

    19,50 €

     

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  • ce-que-le-jour-doit-a-la-nuit

     

    Ce que le jour doit
    à la nuit

    Yasmina Khadra

    Éditions Julliard

    2008

     

    Du parcours initiatique...

    L’Algérie des années 1930 vit les prémisses de l’indépendance. Le mouvement nationaliste nait, des consciences s’éveillent. Younes, le narrateur, a grandi dans un bidonville près d’Oran, dans la misère absolue. D’emblée, on imagine une prise de position sociale, politique, humaine : l’homme indéfectiblement mêlé à la naissance de son pays – comme l’Indien Saleem Sinai dans Les Enfants de minuit de Salman Rushdie – pourrait raconter une époque révolue à travers le prisme de son intimité. Or, si le premier tiers du roman évolue dans ce sens, la suite est toute autre. Younes est confié à son oncle, un riche pharmacien marié à une Française. Il devient Jonas ; il habite le quartier aisé des colons ; il s’arrache à la pauvreté de ses origines. Identité brouillée et compagnie faussée, le garçon se déchire entre deux univers qui ne cohabiteront plus que pour quelques années.

    ... aux histoires de copinage

    Les réalités sociales et matérielles sont alors occultées au profit de considérations radicalement différentes. Alors qu’il découvre les rapports sexuels avec Mme Cazenave, une femme plus âgée et respectée au village, Jonas se lie d’amitié avec une bande de jeunes colons, interchangeables et insipides, et s’enferme dans une passion impossible : amoureux d’Émilie, la fille de Mme Cazenave, il s’isole, s’enlise dans un quotidien aussi ennuyeux pour lui que pour nous.

    La banalité est affligeante, les querelles amoureuses et les trahisons entre camarades n’ont plus de fin ; le livre non plus. L’intrigue, qui n’avait pas vraiment démarré, s’affaisse lors de la conquête de l’indépendance en 1962 et peine à s’achever. L’homme ne saisit jamais son bonheur ; il laisse filer la femme qu’il aime, le pays qu’il dénigre pour d’insignifiantes disputes, et le lecteur qu’il lasse.

    Au final l’Algérie, profondément marquée par son histoire toujours fascinante et pourtant cruelle, n’est pas au cœur de ce roman ; transposable à l’infini, Younes (Jonas !) aurait pu vivre en France avec sa bande d’amis et son amour inaccessible.

    Ce que Yasmina Khadra doit rendre à la littérature

    Si l’histoire manque de l’aura algérienne, le style est tout aussi décevant. Yasmina Khadra a privilégié la narration au détriment de l’action. Pour preuve, le récit de la torture a été résumé ainsi : « Je persistai à nier en bloc. Les interrogatoires s’enchaînèrent, les uns piégés, les autres musclés. Krimo attendait la nuit pour revenir à la charge et me torturer. Je tins bon1. » À coup sûr la torture, qui a particulièrement marqué les esprits à propos de la guerre d’Algérie, aurait gagné en intensité avec l’évocation de circonstances précises sur l’état psychologique du personnage, sans forcément tomber dans l’excès de détails sordides.

    Enfin, l’usage abusif de l’imparfait et des expressions toutes faites – dont voici l’exemple le plus remarquable : « Ses yeux brillaient de mille feux. Il était aux anges2. » –, écrasent l’événement et lui enlèvent sentiment, surprise et saveur.

    D’autres romans traitent mieux l’Algérie et son passé colonialiste, et renouvellent avec plus de conviction l’éternelle histoire de la jeunesse, de ses amours et de ses trahisons.

    Mon avis

    La collection Pocket, abondante de milliers de titres variés, plus souvent médiocres que sublimes, est peu soignée. Sans aucun travail éditorial, la composition des textes laisse à désirer : nombreuses sont les fautes de frappe, surtout à la fin de l’ouvrage.

    Du même écrivain

    L'Attentat

    Lisez aussi

    Alice Zeniter L'art de perdre

    Autres auteurs et autrices d'Afrique

     1. Page 372. -2. Page 77.

    Ce que le jour doit à la nuit

    Yasmina Khadra

    Éditions Julliard

    Pocket n°14017

    2009

    448 pages

    7,60 €

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  • trois-hommes-deux-chiens-et-une-langouste.jpg

     

    Trois hommes, deux chiens et une langouste

     Iain Levison

    Éditions Liana Levi

    2009

     

    Des héros ordinaires

    Mitch, vendeur de produits automobiles à Accu-mart, le seul supermarché de Walston, une commune de Pennsylvanie ; Kevin, anciennement sorti de prison pour avoir fait pousser du cannabis, tout juste devenu promeneur de chiens de bourgeois, et accessoirement mari et père de famille ; et enfin Doug, cuisinier d’un restaurant actuellement fermé pour licenciement collectif, qui rêve de devenir tantôt pilote d’hélicoptère, tantôt écrivain pour enfants, sont les trois compères de ce roman.

    Les points communs entre ces trois individus ? La consommation intensive de cannabis, une situation économique minable et une aptitude infaillible à faire les mauvais choix. Pour preuve, ils n’auraient pas dû tenter de voler une Ferrari, ni essayer de revendre des médicaments illicites, et encore moins vouloir s’attaquer à un convoyeur de fonds !

    Au fil des embrouilles, Iain Levison nous emporte dans les confins de la ville de Walston, morte après l’arrêt des usines super-polluantes des années 1970, où ces trois personnages essaient de survivre au milieu des problèmes financiers. Ils n’auront de cesse de contourner les lois et d’échapper à cette sinistre ville, avec toujours beaucoup d’humour, offrant une vision sordide de la société capitaliste dans laquelle nous vivons.

    Iain Levison nous emmène où bon lui semble, déambulant entre les hommes ordinaires qui font le peuple, ni plus ni moins intelligents que la moyenne, bercés des discours officiels sur les bienfaits de l’argent et sur les stéréotypes du bonheur de posséder une belle maison et une grosse voiture. Bob Sutherland, chef de rayon à la société Accu-mart veillant au bon fonctionnement de son service et très consciencieux du travail de ses sous-fifres, n’est-il pas un employé modèle ? Les réunions du dimanche entre parents exemplaires ne sont-elles pas charmantes pour rencontrer des gens tout à fait passionnants ? Posséder une grande maison avec jardin n’est-il pas le désir de toute personne aspirant au bonheur ?  

    La société des profits

    Mitch, Kevin et Doug dressent au-dessus de leurs têtes l’étendard des laissés-pour-compte d’une société qui n’a que faire du bonheur de l’individu ; ils s’évertuent — en vain — à entrer dans une communauté qui n’a pas prévu de place autour du foyer où l’argent est tisonné par les plus riches. Croyant pouvoir tendre leurs mains et se réchauffer auprès du bonheur qui leur est vendu, les trois jeunes hommes enchaînent les mauvais coups en quête de la fortune et, par là-même, courent à leur perte, mais sans jamais se départir d’humour et de surprises.

    Le courage désespéré et le je-m’en-foutisme, teinté de cynisme, de ces marginaux, dépeignent dramatiquement la vision d’Iain Levison sur la société, mais sans jamais épargner la cocasserie et la drôlerie de ces situations. 

    La « liberté » des hommes politiques

    « Mais les informations gâchèrent sa belle humeur. Elles présentaient les discours de campagne de divers candidats et Mitch s’amusa à compter le nombre de fois où il entendait prononcer le mot “liberté”. Quel que soit celui pour qui ils roulaient. C’était une sorte de mot magique qui exaltait instantanément n’importe quelle foule de braves crédules.

    La liberté, se répète Mitch. Qui donc essaierait de nous réduire en esclavage ? Nous sommes une forteresse militaire à des milliers de kilomètres de quiconque. La plupart des pays du monde se tiennent tranquilles et espèrent que nous ne les remarquions pas, en priant le ciel que les États-Unis ne découvrent jamais sur leur sol un minerai nécessaire au bien-être de l’Américain. Liberté, mon cul. Les seules menaces réelles pour la liberté sont les types qui font ces discours1. »

    Mon avis

    Une fois de plus, les éditions Liana Levi soulignent leur positionnement idéologique à travers le choix des publications. La maison privilégie des textes de qualité, toujours pertinents et bien écrits, originaux et issus de cultures variées, défendus auprès des libraires et du public avec une forte conviction.

    Du même écrivain

    Tribulations d'un précaire

    Ils savent tout de vous

    Lisez aussi

    Un job pour tous Christophe Deltombe

    En crachant du haut des buildings Dan Fante 

    Retour aux mots sauvages Thierry Beinstingel 

    La Tête hors de l'eau Dan Fante

    Macadam Butterfly Tara Lennart

    Éloge de la démotivation Guillaume Paoli

    Dandy Richard Krawiec 

    Je vous écris de l'usine Jean-Pierre Levaray 

    La Conjuration des imbéciles John Kennedy Toole

    1. Page 209.

    Trois hommes, deux chiens et une langouste

    The Dogwalkers (titre original)

    Iain Levison

    Traduit de l’américain par Fanchita Gonzales Batlle

    Éditions Liana Levi

    2009

    272 pages

    18 €

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